AnimeLand : Depuis le 12 mars 2003 est sorti sur les écrans le film Stupeur et tremblements où vous jouez le personnage central MORI Fubuki. Quand a eu lieu le tournage ?
TSUJI Kaori : A Tokyo pendant une semaine pour les plans d’extérieur, puis à Paris, à la Défense, pendant 8 semaines. Le tournage a commencé en avril 2002.
A.L. : Comment avez-vous vécu cette expérience ?
T.K. : C’était très amusant, une très bonne expérience, vraiment. Tout le monde était très gentil avec moi sur le plateau.
A.L. : Tourner en japonais vous a semblé plus facile ?
T.K. : Oui, oui. C’était d’ailleurs plus facile de jouer en France qu’au Japon. J’aurai eu beaucoup de pressions au Japon. Je n’y suis pas connue et beaucoup de grandes actrices japonaises ont auditionné pour le film. Je me sens mieux en France. Je pense que c’était mieux pour moi ici, plus libérateur pour jouer. Au Japon, je suis trop grande. Il est difficile d’avoir un rôle pour une femme comme moi.
A.L. : Pourquoi dire que vous êtes trop grande ?
T.K. : Parce qu’en moyenne les japonaises sont bien plus petites. Si vous êtes grande au Japon, vous êtes cataloguée. Les hommes n’aiment toujours pas qu’une femme soit plus grande qu’eux. Une amie à moi, très grande aussi, a fait un téléfilm au Japon. Elle jouait la petite amie trop grande d’un garçon. Elle n’a plus eu de travail depuis. C’est difficile. Une femme d’1 mètre 70, c’est le maximum. Alors moi et mon mètre 78, c’est trop.
A.L. : Que pensez-vous de votre personnage dans le film ?
T.K. : Je pense que Fubuki a une personnalité très complexe. Je pense que sa froideur c’est son caractère dans son entreprise, mais pas dans sa vie privée. Pour autant, je ne crois pas qu’il aurait été bon de montrer ce coté là, sinon le film durerait trois heures !
A.L. : Quels retours avez-vous eu sur votre performance ?
T.K. : Je n’ai entendu que des choses positives, beaucoup d’encouragements de la part d’Alain CORNAUD et de Sylvie TESTUD. La première fois que je me suis vue dans une copie complète du film, j’ai eu très mal car il m’était impossible d’être objective. Je me suis trouvée très mauvaise. La seconde fois, j’ai eu l’impression que mon jeu était meilleur. Et qu’il était de mieux en mieux en allant vers la fin du film.
A.L. : Savez-vous si l’histoire de Stupeur et tremblements est imaginaire ou basée sur le réel ?
T.K. : Je ne suis pas sûre, mais j’ai entendu dire que l’histoire est vraie. Quelques éléments sont sûrement romancés. Amélie NOTHOMB a dit que c’est vrai, mais je ne sais pas jusqu’où. J’ai entendu dire que mon personnage était vraiment inspiré d’une très grande femme japonaise. Alain CORNAUD a demandé à rencontrer cette femme au Japon mais sa société a refusé.
A.L. : Si vous présentez le film au Japon, vous ne craignez pas de la voir arriver ?
T.K. : Oh, non, je la rencontrerai avec plaisir. Remarquez, ce pourrait être bientôt puisque le film devrait être présenté au festival de Yokohama en juin prochain.
A.L. : Les rapports tendus et conflictuels décrits dans le film, vous en avez des exemples dans votre entourage ?
T.K. : Oui. Ce n’est pas tant des affrontements entre femmes comme dans le film, mais aussi entre hommes. Il y a des choses comme ça. Une amie est entrée dans une entreprise japonaise et on ne lui a demandé que de faire le thé et les photocopies. Elle a changé de travail et s’est fait embaucher dans une entreprise étrangère où elle peut davantage agir. J’entends beaucoup parler de situations similaires à celle d’Amélie. Je ne sais pas si ça va jusqu’à la dégradation en Dame Pipi (sourire perplexe)… C’est vrai qu’il y a beaucoup de choses et de règles dans la société japonaise à respecter. Il est plus rapide de les enfreindre si on ne les connaît pas.
A.L. : Aviez-vous lu le roman originel d’Amélie NOTHOMB ?
T.K. : Oui. Mais je dois avouer, en japonais (rires) ! Par contre, je n’ai jamais rencontré Madame NOTHOMB.
A.L. : Est-ce que vous avez participé à d’autres films depuis Stupeur et tremblements ?
T.K. : Non. Mais j’ai pris l’aventure du film comme une expérience unique. Refaire du cinéma, ça m’intéresserait bien sûr. Mais c’est un métier très dur. Je me suis bien amusée.
A.L. : Connaissez vous le cinéma français ?
T.K. : Pour être sincère, je n’ai pas beaucoup vu de films récents, davantage de films anciens. Pour donner un nom, je dirai que j’aime beaucoup François OZON. J’ai beaucoup aimé Sous le Sable avec Charlotte RAMPLING. Je connais aussi un peu Olivier ASSAYAS.
A.L. : Vous connaissez mieux le cinéma japonais…
T.K. : Bien sûr, oui. Coté réalisateurs, je veux citer tout d’abord SABU. Il est mon préféré. J’aime beaucoup aussi KITANO qui a de plus en plus de succès après son prix à Venise. Il n’y a pas beaucoup de place dans les salles pour le cinéma japonais. Les gens vont voir les films américains. Le marché de la vidéo est plus dynamique et propice au cinéma japonais.
A.L. : En France, on adore les productions du studio Ghibli, et vous ?
T.K. : J’aime beaucoup Mon voisin Totoro. J’aime aussi énormément Le Voyage de Chihiro. Il y a un rapport particulier au Japon avec les films de MIYAZAKI. J’ai vu Laputa – Le château dans le ciel à dix ans à l’école ! C’est un cinéma avec lequel j’ai grandi. C’est très familial. MIYAZAKI habitait à coté de chez mes parents et un copain de mon père travaillait pour lui. Ma ville a servi de modèle dans Mimi o Sumaseba (1995).
A.L. : Vous lisez des mangas ?
T.K. : Oui, j’en ai beaucoup lus. J’aime beaucoup les travaux de MATSUMOTO Taiyo comme sa série Tekkonkinkurito (en France, Amer béton chez Tonkam). Kazu Mezu est très bien. J’aime beaucoup les 20th century boys. Je lis aussi tous les manga sur les histoires de comédiens avec des filles.
A.L. : Et la création française, vous connaissez ?
T.K. : Très peu. Mais je suis intéressée. Je connais Jean-David MORVAN. Il se trouve que mon mari travaille avec lui. Il s’appelle Nicolas NUMIRI et finit un album pour Glénat. De MORVAN, j’ai lu Sillage et j’aime bien. Pour ma part, j’écris des scénarios de manga dessiné par mon mari, pour le marché japonais. C’est l’histoire de quatre filles qui débarquent à Paris et qui vivent plein d’histoires amusantes. Je veux raconter mon expérience sur ma vie en France. Mais c’est pour plus tard !
A.L. : Comment êtes-vous arrivée en France ?
T.K. : Paris est la capitale mondiale de la Mode et j’étais mannequin. A Tokyo, j’ai été repérée dans la rue à la sortie de mon lycée par des chasseurs de tête. J’ai pris leur carte. Et puis un jour j’ai passé un casting car ils cherchaient une femme grande. Je me suis retrouvée entre Tokyo et Paris. J’ai commencé à 23 ans. J’ai défilé pour John GALLIANO, Christian DIOR, Hermès… J’ai aussi défilé pour Agnès B. et Jean-Charles de CASTELBAJAC…
A.L. : Quand vous étiez mannequin, avez-vous défilé au Japon ?
br> T.K. : Non, seulement en France ! Au Japon, mon visage est trop “japonais”. Ils aiment un visage type Lolita. Je ne suis pas du tout connue comme mannequin au Japon. Les seules à me connaître étaient mes confrères. Ca fait trois ans que je suis en France de manière stable.
A.L. : Vous défilez encore ?
T.K. : Rarement. J’ai arrêté il y a un peu plus d’un an parce que j’en avais marre. Je suis allée dans une école pour apprendre le français, pour tenter d’avoir par exemple une licence de traductrice. Puis le film est arrivé. Après le tournage, j’ai pris quelques vacances et j’ai repris cette école il y a peu.
A.L. : Quel est votre objectif aujourd’hui ?
T.K. : Etre traductrice pour le moment. Il y a aussi des possibilités dans les échanges entre la France et le Japon, dans le marketing par exemple. J’ai un diplôme universitaire d’économie. Je suis ouverte à de nouveaux projets.
A.L. : Votre famille est toujours à Tokyo ?
T.K. : Oui. La distance, ce n’est pas facile, mais j’ai l’habitude. J’ai toujours envie de rentrer au pays…
A.L. : Pensez vous que vous resterez en France ?
T.K. : Je pense que je resterai encore deux ans à Paris puis je rentrerai à Tokyo. Avant je n’aimais pas beaucoup la France. Maintenant je l’aime davantage. Je commence à vivre en France. Je veux mieux comprendre le pays, sa langue, sa culture…
A.L. : Que n’aimiez vous pas en France ?
T.K. : Pour être honnête, j’avais du mal avec les gens. C’était très dur. Notamment parce que j’ai eu des problèmes avec mon agence de mannequins, qui a disparu maintenant. Il y a un truc qui me choque en France, c’est qu’il y a énormément de crottes de chien et ça me gène. Ca n’existe pas ça, à Tokyo. Je trouve que cette saleté, c’est très naze. J’avais un esprit un peu négatif, je me foutais de savoir parler français. Puis un jour j’ai décidé de l’apprendre et j’ai changé mon regard. J’aime beaucoup la France maintenant que… je comprends !
A.L. : Kaori-san, une dernière anecdote ?
T.K. : Eh bien, j’ai rencontré le public lors d’une projection du film Stupeur et tremblements et j’ai eu l’impression qu’il a été effrayé par l’image du Japon. Je veux leur dire “Non, venez, le Japon ce n’est pas ça !” (rires).
Un grand merci à TSUJI Kaori pour sa disponibilité et à l’agence VMA
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