Le Kowaï manga

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” Kowai ” signifie ” j’ai peur “. Ce genre s’adresse en premier lieu à un public féminin, d’où la terminologie associée ” Kowai shojo “, qui connaît ses propres mensuels de prépublication. L’histoire dramatique et horrifique se double ainsi souvent d’une intrigue amoureuse aux accents parfois mysthiques. Une vision qui privilégiera par exemple un Vampire hautement romantique, figure plus proche d’un Lestat que d’un Nosferatu. Evidemment, comme la plupart des manga plus commerciaux, le Kowai manga s’adresse en premier lieu à un public adolescent, friand d’émotions fortes.
L’occasion a été donnée au public nippon en 1998 de découvrir l’étendue de l’importance de l’horreur dans les manga par l’exposition Age of Manga du Musée d’art moderne de Tokyo. On pouvait notemment voir cette mixité des genres (science fiction, sport, romance aventure…) à laquelle participe la veine horrifique.
On distingua néanmoins 5 voies principales d’expression pour l’horreur. Nés de l’imitation des comics américains, des récits d’horreur (non parfois dénués d’humour) se sont par la suite diversifiés, recollant plus à un bestiaire typiquement japonais. Le shojo, évidement, y instilla le romantisme et l’érotisme de l’amant maudit, pour devenir le lieu d’expression favori du genre. Enfin, les deux derniers courants, mais non les moindres se tournent d’une part vers le Ero Guro, ou récit horrifique autant qu’érotique, mêlé de grotesque (toute la veine Urotsukidoji de MAEDA Toshio), et, d’autre part, l’horreur dite moderne dont les thèmes brassent les recherches biologiques, les technologies modernes ou les religions, plus angoissantes car plus réalistes.

Il est amusant de constater qu’encore une fois, les artistes japonais savent aussi bien puiser aux sources de leurs traditions comme dans les mythes occidentaux. A la source du folklore nippon, on trouve les Konjaku Monogatari, ces contes traditionnels anciens compilant diverses histoires de fantômes mais aussi le fameux conte Rashomon. 28 volumes sur 31 sont aujourd’hui connus. L’araignée géante, figure issue d’un tableau de HOSHI Kenko, se retrouve dans le théâtre de Nô et dans nombre de manga horrifiques. Le monde des rêves joue un grand rôle dans les contes du folklore asiatique où ils sont des portes pour accéder au domaine des fantômes. Se nourrissant des rêves humains, le démon Baku est aussi représenté ainsi que la femme serpent, née d’un caricatural conte érotisant japonais issu des Konjaku Monogatari. Sans oublier les figures du Chat, du Renard ou de la Sirène. Tournés vers les cultures occidentales, les auteurs japonais ont su s’inspirer des plus grands. KOBAYASHI Yasumi se sera beaucoup penché sur L’île du docteur Moreau (H.G.WELLS). LOVECRAFT, forcément, aura des héritiers japonais autant qu’occidentaux pour ses Weird Tales, MASAHIKO Inoue sera fasciné par le Alfred HITCHCOCK Theâtre. Et n’oublions surtout pas Edgar Alan POE, objet permanent de fascination pour les auteurs japonais, dont l’un s’est rebaptisé du pseudo d’Edogawa Rampo (Edoga pour Edgar, awram pour Alan, po pour Poe). La figure romancée du Vampire ou le Loup-garou sont, eux, issus de nos contrées, mais trouvent leur place dans les récits d’effroi japonais.

On considère habituellement que les deux grands maîtres du Kowai sont UMEZU Kazuo et ITO Shunji. Né en 1936, ce spécialiste de shojo d’horreur est particulièrement connu pour ses oeuvres Hebi Shojo (Snake Girl) et Umezu Kazuo no Majinai qui mettent en scène un groupe de jeunes étudiantes se confrontant à des fantômes. L’artiste s’est également penché sur l’horreur d’un monde post-nucléaire où il transporte une classe entière et son professeur. Notons également son manga Kyofu, paru en film vidéo en 1985 sous le titre Ubawareta Shinzo (Stolen heart). Autre grand du domaine, ITO Shunji s’est illustré auprès du public japonais grâce à une série de manga intitulée Tomie, narrant les aventures d’une jeune fille ayant le pouvoir de se régénérer, grâce au sang humain qu’elle ingère. Mais c’est surtout pour l’étonnant et hypnotique Uzumaki (voir notre article dans ce dossier) que ITO nous est parvenu, cette année chez Tonkam et auquel nous consacrons un article dans ce dossier. Bien d’autres auteurs pourraient être ici célébrés, et l’on confiera à la mémoire tout ceux qui auront développé l’univers du grand classique de l’horreur H.P. LOVECRAFT (1890-1937) dans les Cthulhu Mythos. Ainsi, ISHII Hisaichi ou encore ITAHASHI Shkho poursuivent l’étrange aventure de plus d’un siècle.

L’horreur fut donc toujours un thème présent dans les récits et manga japonais. Comme on le retrouve à de nombreuses occasions dans leur cinéma, que ce soit lors de la vague des Yurei Eiga (films de fantômes) des années 50/60 ou dans l’actuel revival du genre initié par la saga Ring. L’horreur en définitive fait partie du folklore de tous les peuples, puisque le genre se nourrit des peurs de l’inconnu, et que l’inconnu est un domaine sans limite. Chaque innovation de nos société modernes s’entend ainsi avec son lot d’angoisses, dont la génétique n’est pas la moindre, où l’homme retrouve ses ancestrales peurs que le ciel ne lui tombe un jour sur la tête.

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