Ofuji Noburô

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Le cinéma d’animation japonais n’est pas un long fleuve tranquille. Outre la rupture que représenta la Seconde guerre mondiale et le nouveau départ qui en résulta, c’est une autre catastrophe – naturelle cette fois-ci – qui brisa une première fois dans l’oeuf, 20 ans auparavant, l’industrie naissante de l’animation japonaise : le tremblement de terre de Tôkyô, en septembre1923. C’est dans le contexte de la réorganisation de la production que OFUJI Noburô assistant de l’un des trois grands pionniers du cinéma d’animation nippon, KOUICHI Jun’ichi réalise son premier film : Le voleur de Bagdad (1926).

OFUJI est un enfant du siècle : né en 1900 dans le quartier d’Asakusa à Tôkyô, il est issu d’une famille aisée. Il a six ans quand il perd sa mère, et c’est sa soeur, Yae qui l’élèvera et gérera, plus tard, sa carrière de réalisateur…Très tôt, il se passionne pour l’animation et, grâce à la fortune familiale, fonde son premier studio à 21 ans. Formé par KOUICHI, il devient par la suite réalisateur indépendant et c’est en 1925, après avoir vu Le voleur de Bagdad (1924) de Raoul WALSH avec Douglas FAIRBANKS, qu’il se lance dans son premier court métrage, au titre éponyme. C’est le début d’une production pléthorique. La même année, il réalise La légende du singe de pierre, une adaptation de la fameuse légende chinoise du Voyage en occident. Le film relate la rencontre du bonze Sanzô, parti à la recherche de textes bouddhiques sacrés en Inde, avec un singe et un cochon qui deviennent ses compagnons. Cette animation en papiers découpés à la structure narrative improbable n’est qu’un prétexte à l’animation de monstres savamment dessinés et à l’utilisation, pour les décors, du chiyogami, un papier à motif typiquement japonais.
L’année suivante, OFUJI réalise La barque aux mandarines ainsi qu’une première version de La baleine. Le premier est encore une fois un court métrage à la progression dramatique plus que décousue (un riche marchand décide d’aller livrer ses mandarines à Edo malgré une tempête) qui permet au réalisateur de se livrer à l’animation des éléments déchaînés. Un morceau de bravoure. La beauté des décors, inspirés par la peinture traditionnelle est par ailleurs touchante. Enfin, on repère les premières traces du style graphique particulier de OFUJI, notamment dans la représentation des visages et des mains. La baleine est la première animation japonaise en ombres chinoises, inspirée par le dessin animé allemand Calif stork (1924) des frères DIEHL, dont la beauté expressive des silhouettes avait beaucoup marqué OFUJI.

Également présentée à la Maison du Japon, une série d’animations pour enfants très inventives, projetées à l’origine avec des chansons, mais que nous n’avons pu voir qu’en version muette. Dommage, tant La danse des chats noirs (1929), Fête villageoise (1930) et Chanson de printemps (1931) poussaient fort loin, semble-t-il, l’interaction entre le son et l’image, qui étaient synchronisés. Pour ces véritables symphonies visuelles, OFUJI déploie une imagination hors du commun, au rythme d’images kaléidoscopiques, mettant en mouvement des personnages extravagants, des notes de musique ou des idéogrammes, avec une énergie communicative. Comme pour beaucoup de réalisateurs, la guerre à cause du manque de ressources et des sujets imposés fut une période sombre pour OFUJI. Mais il repart de plus belle dès la fin du conflit, avec Le fil d’Araignée (1946), l’adaptation d’une nouvelle d’AKUTAGAWA Ryûnosuke (Râshomon), ainsi que Le fabuleux Chien Heihei et Le trésor marin (1947). Dans ce court métrage extrêmement inventif, un chien plonge dans un lac et y découvre le palais des poissons. Il vole leur trésor, mais les poissons finissent par le rattraper et le punir. Le film regorge de trouvailles visuelles : pour s’introduire dans le palais, Heihei dérobe la queue d’un poisson qu’il enfile. À l’issu du récit, le malheureux poisson, dont l’arrête est à l’air libre, récupérera sa queue…Dans le palais, les poissons se livrent à toutes sortes de fantaisies et quand le chien dérobe le trésor, on remarque dans la meute qui se lance à sa poursuite une « pieuvre-mitrailleuse », un « homard-lasso » ou un « poisson-bus », qui inspirera MIYAZAKI Hayao pour le Chat-bus de Mon voisin Totoro (1988). Les transformations, discipline reine de l’animation, sont ici au centre d’une intrigue qui, une fois de plus, n’est qu’un prétexte au délire visuel. Le design des animaux et l’animation surtout sont typiques du style de OFUJI : les personnages ne sont jamais immobiles, oscillant systématiquement grâce à la mise en boucle des séquences d’animation. Une manière de les rendre plus vivants, mais qui nuit parfois au rythme de l’histoire.
La même année, OFUJI réalise le Rêve par une nuit de neige, une relecture (avec « happy end » à la clé) de La petite fille aux allumettes d’ANDERSEN.

On remarque la subtilité des effets visuels (halos de lumière des lampadaires, condensation du souffle des personnages…) et la richesse expressive des silhouettes en ombres chinoises que l’on retrouve dans le remake en couleurs de La Baleine (1952). Ce film, qui est présenté au festival de Cannes en 1953, et rate de peu le prix du court métrage, est pour beaucoup dans la réputation de OFUJI en Occident. Ce conte cruel, qui voit le combat de naufragés sur le dos d’une baleine pour s’approprier une femme, est d’une beauté étrange. On retrouve les silhouettes élancées en ombres chinoises, avec leurs grandes mains ouvertes, marque de fabrique du réalisateur.
En 1954, OFUJI réalise Fleurs et papillons, une histoire qui évoque l’intolérance, mettant en scène des papillons à visage humain (un peu comme la coccinelle de L’araignée et la tulipe de MASAOKA Kenzo) et lui permettant encore une fois de représenter les éléments déchaînés. Dangobee et les quarante voleurs (1955) est une adaptation « japonisée » du conte des 1001 nuits, très amusante. En 1956, OFUJI revient aux ombres chinoises avec Le bateau fantôme, qui remporte le prix spécial du Jury à la Mostra de Venise.

Jusqu’à sa mort en 1961, c’est sa soeur Yae qui aura financé les productions d’OFUJI Noburô, qu’il réalisait seul dans son propre studio, seulement assisté de sa nièce ! Quand il disparaît, le réalisateur laisse inachevée une adaptation du Conte du coupeur de bambou, récit mythique du Xe siècle. De son vivant, il avait confié à sa soeur vouloir créer un prix qui récompenserait les jeunes réalisateurs de dessins animés. Yae exauce ce voeu dès 1962, avec le concours du quotidien Mainichi Shimbun. C’est ainsi que depuis 40 ans, le prix OFUJI est la plus prestigieuse récompense japonaise en matière d’animation.

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