SEEBD

Ne lâche pas le morceau

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Lorsque le lecteur de manwha et de manga dévore des volumes issus de la collection Tokebi, Saphira ou Kabuto, il s’abreuve en fait à la même source : SEEBD. Cette maison d’édition est dirigée par un homme, Christophe LEMAIRE.

Christophe LEMAIRE, le bâtisseur

Christophe LEMAIRE a toujours eu un pied dans la bande dessinée. La preuve, en 1986, il signe son premier album de BD, L’histoire de Cambrai, commandé par la Mairie de la ville ! Très vite, il a la volonté de lancer une collection de BD. Sa rencontre avec Jean WACQUET, responsable de feu la librairie Dangereuses Visions (spécialisée dans le comics), l’amène à lancer une collection Vertigo chez Le Téméraire. Les titres Vertigo, tels que Preacher, Death, Sandman ou Transmetropolitain, sont tous issus de la prestigieuse maison d’édition américaine DC (Superman, Batman …). Mais, à la différence des titres plus commerciaux mettant en scène des super-héros, il s’agit de BD aux graphismes adultes et aux thèmes matures (magie, violence, réalisme social…). En parallèle à cette collection, sort le magazine Golem proposant de la prépublication de Vertigo et de la BD française, le tout en noir et blanc.

Christophe LEMAIRE et Jean WACQUET ont déjà en tête l’idée de lancer une collection asiatique. La mort des éditions Téméraire les pousse chacun à prendre un chemin différent. Si Jean WACQUET part s’occuper de la collection comics chez Soleil, Christophe LEMAIRE rentre dans la société SEEBD en novembre 2000, 6 mois après sa création. Sous cette raison sociale, apparaît un premier label de comics, Bulldog, s’inscrivant dans la ligne éditoriale du Téméraire. Avec des titres comme Strangers in Paradise, Bafflerog le Sorcier ou Camelot 3000, l’éditeur s’intéresse à des oeuvres américaines moins grand public que les comics de Spider-Man, et artistiquement plus exigeantes.

La maison d’édition a aussi lancé, en septembre 2000, un label de BD érotique, BDErogene, avec l’aide de Cédric LITTARDI (actuel responsable de Kaze Vidéo). Les titres publiés sont en majorité d’origine japonaise, bien que l’on trouve des oeuvres en provenance d’Italie, par exemple. On y retrouve des titres comme Urotsukidoji, Hot Tails de YUI Toshiki ou encore La caresse du fouet de OH ! GREAT, mais aussi le magazine Hentaï Mag.

L’envie de travailler sérieusement le manga n’abandonne pas pour autant Christophe LEMAIRE qui y voit l’avenir de la BD. En 2002, il lance le label Akuma et achète les droits de Strain, de IKEGAMI Ryoichi et FUMIMURA Shô, à Viz Comics. Cette édition, décevante d’un point de vue graphique (le rendu des trames pose de sérieux problèmes), a au moins le mérite de proposer un titre d’un duo apprécié des lecteurs de manga seinen. Les éditions Shogakukan ont alors vent de cette sous-traitance opérée par Viz et décident de contacter directement Akuma pour renégocier les droits du titre avec eux. Christophe LEMAIRE découvre aussi que le nom Akuma ne plaît guère aux Japonais. Ce terme signifie démon, mais avec une connotation péjorative. Akuma disparaît donc aussitôt née. Gardant contact avec les Japonais, Christophe LEMAIRE se rend en 2002 au festival d’Angoulême et découvre la bande dessinée coréenne.

Le pays du matin calme

L’exposition d’Angoulême (voir notre dossier) a créé une petite révolution des mentalités. D’un seul coup, la France découvrait, médusée, une bande dessinée d’un genre nouveau et visiblement ambitieuse. Seulement, Christophe ne se sent pas attiré par les oeuvres présentées sur place. Un an plus tard, au festival de Francfort, il fait la connaissance de René PARK, agent littéraire coréen. Ce dernier lui explique que les oeuvres présentées lors de l’exposition d’Angoulême « ne sont pas représentatives du marché de la BD en Corée. » Christophe LEMAIRE, conscient de la potentialité du manwha décide alors partir pour le pays du matin calme.

Les nombreux contacts pris sur place imposent un marathon difficile à tenir. Christophe raconte : « Nous avions rendez-vous avec trop d’éditeurs à la fois. Ils étaient très désireux d’exporter leurs oeuvres. À peine arrivés dans leurs studios, ils nous étalaient sous les yeux des dizaines de planches de manwha en nous demandant de faire notre choix sur ce que nous voulions acheter. » René PARK surenchérit : « Parfois, nous avions tout juste entre 30 à 45 minutes pour nous présenter, lier contact et faire notre choix. De fait, afin de ne pas paraître impolis, nous avons acheté plusieurs titres aperçus sur le coin d’une table et dont nous ignorions tout ! » Ainsi, Christophe et René achètent ce que l’on appelle des package, soit des lots de titres. Parmi les titres sélectionnés, on retrouve néanmoins des best-sellers de la BD coréenne comme Chonchu, High School ou Priest.

En juin 2003, le label Tokebi fait son apparition. Les titres tirent à 5 000 exemplaires, une volonté sans doute motivée par le désir de tester un marché. Parmi les sonyun (BD coréennes pour garçons) publiés, nombreux sont ceux qui déçoivent Christophe LEMAIRE et René PARK. Omega, Hunter, Pendémonium ou Zero Taker ne reçoivent pas les suffrages d’un public inondé par trop de manga et de manwha. Heureusement, des oeuvres comme Chonchu, Dragon Hunter, PK ou Priest rattrapent les mauvaises ventes de leurs grands frères.

À la lecture de ces titres, on ne peut toutefois s’empêcher de leur trouver comme un air de ressemblance avec le manga. Si des titres comme High School ou Chonchu tirent leur épingle du jeu, des manwha comme Hunter, PK ou Yureka épousent quant à eux un graphisme très japonais, et finalement bien peu original. « Avec ces titres, nous voulions attirer un public relativement jeune, notamment des joueurs de jeux vidéo », s’explique Christophe LEMAIRE. Lorsqu’on lui fait remarquer la relative pauvreté thématique de ces titres, le directeur de Tokebi précise que « la bande dessiné coréenne n’a pas encore réalisé sa mue. À la différence de la BD japonaise, le manwha n’est pas encore arrivé à maturité. » Mais alors, que penser de l’exposition d’Angoulème ? « Pour moi, il s’agit d’oeuvres intéressantes dans leurs démarches créatrices, mais trop politiques, ou amateurs et surtout très éloignées de la réalité du marché du manhwa », insiste le responsable de Tokebi.

En parallèle à cette édition librairie, sort en juin 2003, Tokebi, le magazine de prépublication de manwha. L’idée consiste à faire connaître les titres du catalogue Tokebi en publiant l’intégralité du 1er volume d’un manwha avant sa sortie en librairie. Edité tout d’abord à 30 000 exemplaires, il n’arrive pas à atteindre le seuil de rentabilité nécessaire à sa survie. Le numéro 6 sera le dernier proposé en kiosque. Le magazine disparaît alors pendant 3 mois, pour revenir avec son numéro 7 en librairie en mai 2004, sous le titre de Tokebi Génération. Cette nouvelle formule, plus épaisse, propose aussi un poster et un concours permettant de gagner un lot. Par contre, le tirage a été revu à la baisse : 8 000 exemplaires. L’édition en librairie permet de cibler les meilleures zones de ventes, et de mieux mettre en valeur le magazine.

Oh les filles ! Oh les manga !

En janvier 2004, un nouveau label voit le jour chez SEEBD : Saphira, destiné à éditer des sunjung, BD coréennes pour filles. Conscient de quelques ratés dans les achats de droits Tokebi, Christophe LEMAIRE se montre prudent et signe des titres d’une plus grande qualité. « Nous voulions bien démarrer la collection, et nous sommes assez contents du choix des sunjung », explique-t-il. Parmi les BD disponibles, on repère quelques oeuvres ne laissant pas indifférents. Audition joue ainsi sur un ton un peu délirant avec un graphisme à contre courant, Vitamin, plus classique dans sa conception, propose un scénario bien travaillé. Enfin, avec des titres comme Model ou Les Bijoux, Saphira propose des oeuvres d’obédience gothique, plus sulfureuses, et propres à séduire un public amateur de YUKI Kaori ou de groupes de Visual Rock (X-Japan, Gackt…). Toutefois, ces BD sont très commerciales et destinées à un public d’adolescentes, Saphira ne proposant pas de tchungnyun, titres pour jeunes adultes.

À la même date, le label Kabuto fait son apparition. Christophe LEMAIRE, ayant gardé contact avec les ayant droits japonais, peut enfin éditer des manga. On retrouve sous ce label des titres plus matures : « Pour nous différencier des autres éditeurs, nous souhaitions proposer des manga plus adultes, même s’il ne s’agit pas de seinen. » Et, entre Umizaru (signé par l’auteur de Say Hello to Black Jack), Patlabor ou Sanctuary, on retrouve effectivement des manga présentant un visage susceptible de séduire un public plus mûr. Toutefois, on se doit de souligner un problème commun à l’ensemble des titres de SEEBD : celui de l’adaptation graphique. Si les titres de Saphira sont relativement épargnés par ce problème, les BD de Tokebi et surtout de Kabuto présentent un mauvais rendu des trames, trop grisées et ternes. « Nous ne travaillons pas à partir des films originaux, se défend Christophe LEMAIRE, nous scannons directement les albums pour pouvoir retoucher les pages, comme la plupart des éditeurs de manga. Parfois, les trames sont tellement complexes qu’elles ne passent pas toujours bien au scanner. » René PARK affirme quant à lui que « si les planches sont grises dans l’édition française, elles le sont aussi dans l’édition originale ».

Un avenir à construire

Aujourd’hui, SEEBD a su s’imposer dans le paysage des librairies françaises. La tactique consistant à occuper les linéaires avec des titres à la qualité irrégulière, paraît critiquable, d’autant que Christophe LEMAIRE a été un éditeur de comics soucieux de proposer des oeuvres d’exception. On aimerait donc pouvoir découvrir chez Tokebi, ou Saphira, des titres plus culturellement marqués, et pas forcément situés dans la mouvance du manga. Mais il ne faut pas non plus oublier que l’implantation d’une nouvelle BD requiert du temps.

Après un an d’existence, Tokebi a pris ses marques en tant qu’éditeur, et a encore de beaux jours devant lui. Ainsi, Christophe LEMAIRE nous a révélé travailler sur « une nouvelle maison d’édition, Akiko, qui devrait voir le jour en fin d’année, et sera principalement dédiée aux shojo. (1)» De plus, Panini, Pika ou Asuka s’intéressent eux aussi à la Corée. Une concurrence qui, loin d’effrayer Christophe LEMAIRE, l’excite bien au contraire : « plus des titres coréens seront présents sur le marché, et plus les consommateurs auront envie de les acheter. » Quant à l’avenir de Tokebi et de Saphira, Christophe et René se montrent confiants : « Jusque là, nous avons signé quelques titres sans grande envergure et nous le regrettons. La prochaine salve des auteurs à être publiés chez nous sera d’un niveau au moins équivalent à des Chonchu, Priest ou High School. » Après le boom du manga, faut-il s’attendre à un boom du manwha ? On ne peut que l’espérer.

Remerciements à Nathalie B., Julien BASTIDE, Eric BROUTTA, Stéphane FERRAND et HAN Sanjung

Note : Christophe LEMAIRE nous a aussi confirmé deux choses : premièrement, certains titres Tokebi et Saphira proposent, en Corée, des pages en couleurs, ou un petit poster. Pour des raisons de coûts, l’éditeur n’a pas pu les intégrer, mais envisage sérieusement de rééditer les titres les plus populaires de son catalogue avec ces pages et de les inclure poru les futurs manwha de leurs collections. Ensuite, les titres de la collection Saphira sont, toujours en Corée, d’un format supérieur à celui des titres Tokebi. Là encore, afin de garder une ligne uniforme, le format a été réduit. Enfin, certaines BD de Saphira proposent aussi de petites pages BD sans lien avec le récit. La plupart du temps, elles ont été supprimées, même si le tome 3 d’Audition propose un petit quizz en fin de tome.

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