Tôkyô Daigaku Monogatari

0

Murakami Naoki a des capacités certaines pour l’étude. Mais il se grise lui-même en s’immergeant dans de folles illusions. Il tombe amoureux de Mizuno Haruka, une fille originale ! Leur relation démarre sur un malentendu. Plus tard et contre toute attente, il échoue aux portes de Tôdai alors qu’elle entre dans la prestigieuse Université sans peine. Ayant réussi à Waseda, il décide d’être un Rônin masqué et prépare les prochains examens d’entrée pour Tôdai. C’est le début d’un long parcours initiatique.

Tôkyô Daigaku, communément appelée Tôdai, a été fondée en 1879. C’est la plus renommée des Universités japonaises avec son équivalent dans le privé, Waseda. Sous sa coupe, plusieurs autres facultés et instituts lui sont rattachés et plus de 20 000 étudiants la fréquentent. Les candidats aux Universités publiques ou nationales doivent, au préalable, franchir une première série d’épreuves au Centre d’examens destiné aux Universités. En 1998, a été mis en place un nouveau système permettant de sauter une année et autorisant l’accès à l’Université en cours d’année de lycée ! Pour espérer entrer dans des écoles ou Universités renommées, il est nécessaire de passer et réussir une série d’examens, appelée Juken. Comme la rentrée est en Avril, le mois de tension ultime est Février. Néanmoins, pour décrocher le pass, le travail fourni uniquement à l’école ne suffit pas. Beaucoup de jeunes s’inscrivent à des cours privés (Juku) et dans des écoles préparatoires (Yubikô) afin de remédier à leurs lacunes. Elles les conditionnent à affronter la guerre des examens (Juken Sensô). Ces écoles vont jusqu’à délivrer un commentaire sur leur chance de succès pour telle ou telle Université. Embrigadé dans une telle spirale, plus rien n’existe autour de l’étudiant. L’enfer des examens (Juken Jigoru) dirige sa vie quotidienne et celle de son entourage. Vive le bachotage !
Illusions et orgueil sont les maîtres mots qui guident Naoki. Pense-t-il trouver sa place dans la société en sortant de Tôdai? Il est à constater qu’il n’a pas de réel objectif, excepté satisfaire son orgueil. Ikenohata Yuki, étudiante à Tôdai, le prévient : s’il fréquente cette Université, il perdra son objectivité et vivra une vie de campus vide de sens. EGAWA-sensei livre une critique acerbe de l’éducation à la japonaise. Il affirme que les éducateurs possèdent des opinions définitives et bannissent sans concession les autres possibilités. Le résultat ressemble à un dressage. Naoki vise à être le meilleur du Japon puis un Haut Fonctionnaire.

Le message de l’auteur est le suivant : en focalisant l’enseignement sur un seul domaine, nous favorisons la séparation et le malheur du Monde. Au lieu d’encourager les différences entres individus (nationalité, race, classe sociale), l’éducation doit encourager les rapprochements et les initiatives. A la fin du manga, Naoki accède à un large éventail de diplômes, il s’essaie à divers métiers, parcourt le globe, sans jamais trouver la stabilité. Il est un éternel insatisfait.
De son côté, Haruka a le don de s’adapter à n’importe quel environnement. Elle sait tirer parti des malheurs de la vie pour en extraire quelque chose de bénéfique. Elle est l’antithèse de Naoki et incarne l’image de “l’épouse fidèle et de la bonne mère”. Son entourage change mais pas elle car Haruka est naturelle. Derrière son excentricité, elle a de profondes pensées sur le système ici-bas. Naoki est obsédé par la perfection mais Haruka lui avoue qu’il se méprend sur lui-même : Il est en dessous de ceux qu’il méprise. Son orgueil lui fait obstacle. Naoki a été cajolé et ne comprend que la voie du corps (prouesses physiques et voie du sexe). Cette quête de perfection engendre l’obsession, l’angoisse et les folles illusions. Quelque part, il souffre d’infériorisation et se réconforte via une solution douloureuse mais qui sauve les apparences. Le pire est qu’il se rend compte de la fausseté d’une telle réaction mais il rejette l’évidence, surtout lorsqu’il s’agit d’action qui lui font croire à sa puissance. S’il se découvre, il risque de se voir tel qu’il est, de se haïr. EGAWA-sensei l’entraîne dans un voyage initiatique où il prend conscience que ses “qualités” cachent de sérieuses lacunes. Il échoue devant les ruines de son être.

L’auteur manipule ses personnages et montre les symptômes comportementaux du Moi, du Surmoi, du Ca. Haruka fonctionne principalement sur son inconscient et, Naoki, sur son ça. Ces 2 termes forment le nid des instincts, des tendances, des désirs, des souvenirs. Le ça n’est ni moral ni immoral. Il n’est pas hors-la-loi car il tend simplement à satisfaire le plus vite possible ses besoins. L’éducation entre alors en scène, impose une censure et transforme le ça instinctif en un moi social. Son égoïsme disparaît, il devient le sur-moi. Donc, (et si vous suivez toujours…), le sur-moi résulte de la pression sociale qui oblige le moi à se conformer aux usages. Les bons éducateurs sont ceux qui permettent le développement d’un sur-moi s’apparentant à un filtre épurateur et non hermétique ! Naoki est l’archétype qui obéit à ses pulsions. Il tente de se trouver et cela passe souvent par le sexe.

Les japonais ne connaissent pas les tabous sexuels occidentaux. L’art érotique (à ne pas confondre avec la pornographie) fait partie intégrante de la vie, comme se nourrir, boire, communiquer. Livres érotiques, estampes, et peintures exploitent sans honte le thème. Les puritains confucianistes du Shôgunat d’Edo ont tenté de mettre le holà, en vain. Beaucoup de situations que nous, occidentaux perclus de notions judéo-chrétiennes, considérons comme scabreuses ne choquaient pas au pays du soleil levant. Voilà t’y pas qu’un jour, le puritanisme occidental gagna du terrain. Aujourd’hui, 2 mots sont utilisés (bien souvent à la légère) pour désigner et culpabiliser les personnes un peu trop portées sur la chose : Sukebe et Hentai. S’il y avait une distinction à faire, Sukebe (cochon, vicieux) véhiculerait plutôt l’idée ” fantasmer sans toucher “, comme par exemple jouer les voyeurs ou collectionner les sous-vêtements. Hentai (pervers) signifierait davantage que l’individu n’hésite pas à passer à l’acte physique. Dans ce cas, de nombreuses déviations sont possibles… EGAWA-sensei montre, tout comme Freud, que la sexualité est omniprésente dans la vie quotidienne et influe sur la personnalité. En se caressant mutuellement (assez rarement du reste), Haruka et Naoki ont toujours une conversation à coeur ouvert. Serait-ce cela que nous appelons “confidence sur l’oreiller” ? Lorsque Naoki a des relations sexuelles, il se penche objectivement sur ses actions, ses erreurs, les vérités du Monde. Haruka refuse de le blâmer car elle ne veut pas lui imposer d’attaches. Elle désire qu’ils vivent librement. Ce qui ne l’empêche pas de souffrir atrocement quand il va vers d’autres filles. D’ailleurs Yoshino Hiroaki décèle chez elle une nette tendance au masochisme (mot dérivé du nom de l’écrivain allemand Sacher MASOCH). Quesako ?

L’individu maso obtient la satisfaction sexuelle par la souffrance imaginaire ou réelle, mentale ou physique. Haruka déteste tout en Naoki et le comportement imprévisible et blessant du garçon ne cesse de la surprendre mais elle l’en aime davantage ! Elle reste vierge jusqu’à ce qu’ils admettent la vérité sur leur être. Hiroaki qui considère le masochisme comme la thérapie du coeur attire l’impérieuse Yuki qui, selon lui, est incapable de s’éveiller à l’amour de par son comportement destructeur, et fusionne avec Katsuragi Minami.
Que dire de Yamazaki Mamoru, ancien étudiant de Tôdai, qui souhaite filmer sans voile la réalité, le coeur des gens. Jadis, il débaucha Minami en la filmant dans des situations chaudes puis lui proposa le mariage. Celle-ci refusa, déjà trop impliquée dans le sexe, et succomba au discours de Hiroaki. Mamoru assure que chaque être est pervers. Naoki balaie cette appellation en lançant qu’il peut se regarder dignement. Pourtant, quand il voit son attitude sur le moniteur, il ne se reconnaît plus. Haruka reconnaît sa propre perversité. Elle a joué un rôle qui n’était pas le sien. Mamoru veut en savoir plus sur Haruka qui, de son côté, souhaite aussi se connaître elle-même. Lorsque Mamoru menotte Haruka et Naoki, les espionne et s’en sert pour monter son film, on lui colle l’étiquette Hentai. Alors qu’en définitif, il est en quête de la réalité.
EGAWA-sensei dessine des corps fins et parfois squelettiques. Il a particulièrement bichonné les expressions faciales du héros. Il est aisé de lire ses pensées sur son visage. L’auteur aime faire “suer” les personnages et les perle volontiers d’une multitude de gouttes de sueur. D’ailleurs, l’eau est le fil rouge du manga : sueur, salive, sécrétions sexuelles. L’auteur en abuse et nous nous demandons comment les protagonistes ne meurent pas déshydratés ! Depuis que le Monde est Monde, l’eau à toujours symbolisé la fécondité, la féminité (mère, sécurité), la purification et la renaissance. L’auteur ne se foule pas sur les décors et intègre des photos retouchées. Avouons-le, l’originalité de l’oeuvre vient moins de ses dessins que de sa narration, typiquement japonaise. L’auteur n’hésite pas à consacrer plusieurs chapitres à sonder et élucider une situation bien ciblée (un passage mémorable se passe dans les toilettes entre Haruka et Naoki). EGAWA-sensei préfère mettre l’accent sur l’univers intérieur de l’être plutôt que sur “l’emballage visuel” de son manga.

Le manga pose la question suivante : Qu’est-ce qui différencie la réalité des illusions ? Où sont les limites ? Une grande partie des amoureux se méprend sur leur partenaire. Dans ce monde, bien que tous voient la même chose, chacun a une interprétation différente. Plus nous sommes trahis par la réalité de ce monde, plus les illusions prennent de l’ampleur dans l’esprit. Selon EGAWA-sensei, l’Imagination avec un grand ” I ” diminue à cause de l’éducation scolaire. Dans le cas du Japon, plus nous grimpons dans les hautes études et plus la situation est lamentable. L’isolement éradique l’imagination, l’initiative. Les sciences, la Philosophie, l’Histoire, la Justice, l’Ethique, la Morale sont autant de chimères. Le fait de les remanier et de les rabâcher sans cesse en est la preuve. Diplômé en mathématiques appliquées, EGAWA-sensei a un parti pris. Les mathématiques sont chimères mais elles règlent et délimitent notre monde. Il considère qu’il y a du pour et du contre seulement en maths ! Les maths, c’est de l’imagination mais de l’imagination démontrable ! Même s’il arrive que cela ressemble à la réalité, il n’en est rien ! Telle Haruka, plus nous sommes trahis par la réalité et plus l’imagination, l’initiative, progresse. Donc, quelle que soit l’adversité nous croirons au bonheur. D’un autre côté, tel Naoki, en multipliant ses illusions, l’impact diminue et le contact avec la réalité se perd. Nous nous créons des démons car le coeur est soupçonneux. Captifs de ces pensées impures, nous excluons totalement cette réalité incroyable. Naoki s’enfonce et devient malheureux à cause de ses pensées négatives.

Tôkyô Daigaku Monogatari est une oeuvre humaniste, un hymne à la vie. La fin en surprendra plus d’un, même si de nombreux implants, savamment distillés, la laissaient présager… L’important est d’admettre la réalité qui nous est défavorable et posséder la force créatrice qui rend possible l’imaginaire et favorise le répondant en toutes situations. A bon entendeur…

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur