MANA fait partie de ces artistes dont on dira pudiquement qu’ils sont aussi étranges qu’ambigus : efféminé, asocial, attiré par les femmes ressemblant à des poupées, il a créé son personnage, fascinant et morbide. Poussé par un souci de perfection constante, l’homme travaille ses albums comme la composition de ses groupes : MOI DIX MOIS n’est pas sa première aventure musicale, ni sans doute la dernière…
MANA a commencé sa carrière de guitariste en formant MALICE MIZER en 1992 avec KOZI, un autre guitariste. S’il faut attendre 1994 pour que le groupe sorte ses deux premières démos Sans logique et Sadness , il aura aussi fondé entre temps son propre label, Midi : nette. Le premier album du groupe, Memoire, parait la même année, mais TETSU, le chanteur, quitte le groupe suite à un désaccord. Il est alors remplacé fin 95 par le talentueux GACKT. MALICE MIZER se voit alors distribué par une major et se retrouve le vent en poupe avec deux albums remarqués : Voyage sans retour et Merveilles. GACKT, sans doute désireux de voler de ses propres ailes quitte le groupe en 1999. Ce départ se double d’une tragédie : la mort de KAMI, le batteur du groupe… En 2000, un quatrième et dernier album sort, Bara no seidou, plus sombre que les opus précédents avec un nouveau chanteur, KLAHA. On sent le groupe s’engager dans une direction morbide. Et puis en 2001, à la surprise générale, MANA dissout MALICE MIZER(1) et crée MOI DIX MOIS.
Goth and dark
MOI DIX MOIS : en vérité, MANA nous l’affirme, le M représente la première lettre de son nom, le 1 marque le début et O l’infini. Enfin, un mois correspond à l’idée de naissance… Groupe pensé et construit autour de son leader, MOI DIX MOIS sera la chose de MANA.
Leur premier album, Dix infernal, sort en 2003 suivi de Nocturnal Opera en 2004. On retrouve KAZUNO à la basse et TOHRU à la batterie. Plus tard, ils seront rejoint par un deuxième guitariste K et par un membre officiant uniquement sur les live : JUN. Au chant, on retrouve un certain JUKA dont le timbre de voix se trouve proche de celui de GACKT. À se demander si MANA s’est remis du départ du charismatique interprète de MALICE MIZER. Malheureusement, JUKA n’a pas le niveau technique de GACKT, ce qui crée un certain déséquilibre à l’écoute… Musicalement, le groupe a toutefois une bonne tenue. MANA définit sa musique ainsi : « Ma musique n’a rien à voir avec [le Visual Key]. Je fais avant tout, comme je le disais, un mélange de musique classique et de musique moderne. J’essaye de créer un style unique. », loin des productions hardcore américaines. On retrouve des morceaux aux titres étranges (Gloire dans le silence, L’intérieur Dix…) et marqués par l’omniprésence du chiffre 10. Les paroles baignent quant à elles dans un style morbide et romantique, typiquement gothique, avec un champ lexical du sang, du sommeil et des baisers… Bref, ça ne rigole pas.
I control you
MANA s’occupe de tout dans MOI DIX MOIS : des paroles, de la composition, de la production, et des arrangements, laissant toutefois la production et le mixage (éléments prépondérants) aux mains d’un certain AKABE Atsuo… Ce souci de contrôle se ressent jusque dans les concerts du groupe. Preuve en est le DVD de Dix infernal scars of Sabbath . Sur une petite scène de Shibuya, on retrouve le groupe face à un parterre de jeunes filles surexcitées, dans un show réglé au millimètre près… L’importance accordée à l’esthétisme se révèle prépondérante dans ce concert : les membres du groupes sont grimés en Lolita goth, les cheveux dressés sur le crâne. Leur androgynie est poussée au paroxysme, à tel point qu’on a bien du mal à savoir si l’on a affaire à des hommes ou des femmes. Même les instruments des membres du groupe jouissent d’un design particulier… Le show se révèle très professionnel, mais aussi assez froid. JUKA ne bouge quasiment pas et fais très poseur, avec ses mouvements alanguis et précieux. Sa voix, trop calme, joue un peu en rupture du groupe, plus énervé. On aimerait pourtant sentir MOI DIX MOIS s’enflammer, mais à de très rares exceptions près, le show restera sage. On regrette aussi une utilisation manifeste du playback ! Plusieurs morceaux sont ainsi accompagnés par un clavier absent de la scène… Toutefois, reconnaissons que le groupe prend une toute autre dimension en concert. Les compositions sont magnifiées, les costumes donnent une imagerie de messe satanique et le groupe se déchaîne musicalement avec de très beaux passages.
So what ?!
Si l’on se fait l’avocat du diable, on ne peut nier que MOI DIX MOIS s’inscrit dans un courant musical de type hard rock, sans pour autant se révéler aussi subversif ou musicalement violent. Mais, peut-être faut-il tout simplement remettre les choses dans leur contexte : au Japon, les groupes de Visual Key s’adressent majoritairement à des adolescentes. Inspiré par le mouvement glam rock des années 1970 (dont David BOWIE fut le parangon), il s’agit d’un mouvement musical plaçant le visuel au coeur même de la performance musicale. Ce qui séduit ces jeunes filles ne tient-il pas, dès lors, surtout à l’atmosphère des morceaux, l’esthétisme affiché par le groupe et le romantisme morbide des textes ?
MANA, pour un Japonais, incarne déjà une figure subversive : il s’habille en femme, refuse de parler à haute voix et déclare ne pas aimer les relations sociales, préférant rester seul. Bref, il attire le regard sur lui, ce qui tient presque de l’anathème. Et même si le Japon s’occidentalise, il continue à privilégier le groupe sur l’individu(2). MANA par ses tenues, sa personnalité exigeante et critique et son androgynie , renvoie sans doute à la jeunesse nipponne l’image de son propre déchirement. Et il en va de même pour la majorité des groupes de Visual Key… En France, MOI DIX MOIS séduit aussi de nombreu(ses)x adolescent(e)s : sans doute faut-il y voir outre un goût pour leur son qui ne ressemble pas à celui d’un groupe européen , une fascination pour leur style et aussi le désir de s’offrir ses propres références. Celui qui veut en savoir plus sur MOI DIX MOIS doit faire l’effort de se renseigner par lui-même, de fouiller le Net, de rencontrer ou discuter avec d’autres fans. Et lors de l’édition 2004 de Japan Expo, on a pu prendre la mesure de l’accueil réservé à MANA : certains fans campaient sur place et leur fascination était palpable. Sans doute cet accueil n’est-t-il pas étranger au fait que MANA ait adressé quelques mots dans la langue de MOLIERE à son public, déchaînant des applaudissements. Pour un homme prétendant haïr le son de sa voix, il fallait sans doute y voir là un message d’amour.
L’album Dix Infernal de MOI DIX MOIS est disponible en édition française chez Mabell dans une édition proposant une traduction complète des paroles. Le DVD live Scars of Sabbath propose l’intégralité du concert et de nombreux bonus comme des morceaux de tournées précédentes, un reportage ou encore des informations sur le groupe.
Pour plus d’informations sur MOI DIX MOIS, n’hésitez pas à cliquez sur ces liens officiels :
Lire l’interview de MANA sur notre site :
Ces sites amateurs ont été consultés pour la rédaction de cet article :
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.