Je remonte un peu tardivement ce topic par choix de placer ici cette déclaration d'amour pour ce coup de coeur que fut cette découverte inattendue d'un manga sur lequel je lorgnais pourtant depuis fin 2005 !
Titre : L'Arbre au soleil (Hidamari no Ki)
Auteur : Osamu Tezuka
Publié entre 1981 et 1986 dans la revue Big Comic
ATTENTION NOMBREUX SPOILS POSSIBLES !!!!!
Il y a de ces mangas qui au début ne vous intéressent pas beaucoup et puis un jour, une scène voire une unique illustration attire votre attention puis vous passionne tant qu'au final, vous devenez accro à ce titre. Le 31 août 2009, naquit de cette manière une véritable passion entre moi et Lupin III. Aujourd'hui, un autre manga a réussi à me passionner autant que le manga de Monkey Punch. Il s'agit de l'Arbre au soleil d'Osamu Tezuka.
Le titre met en scène deux protagonistes aux objectifs et au caractère radicalement différents
Ryoan Tezuka
Jeune médecin formé aux techniques occidentales, son principal objectif est d’obtenir l’autorisation de pratiquer librement la médecine hollandaise et surtout de pouvoir vacciner la population d’Edo contre la variole, une technique alors rejetée par les partisans de la médecine chinoise traditionnelle et interdite par le gouvernement.
Son grand défaut : les jolies filles. À l’époque où il était étudiant à l’école de médecine occidentale d’Osaka, il préférait fréquenter le soir les maisons closes de la ville plutôt que de rester étudier comme ses camarades d’étude, ce qui lui valut d’être menacé de renvoi s’il persistait dans ses frasques au détriment de ses résultats scolaires. Son mariage (forcé) n’arrangera pas les choses, bien au contraire : dotée d’un caractère fort, sa femme ne supportera pas ses multiples infidélités qui seront le sujet principal de nombreuses crises conjugales.
À l’exception de son côté dragueur et amateur de galipettes nocturnes et de romans pornographiques (Eh oui, ça existait déjà à cette époque), Ryoan a un bon fond et fait tout son possible pour sauver au mieux des vies humaines. Il déteste la mentalité guerrière des samouraïs et leur sens de l’honneur, car se sont eux qui combattent, blessent et provoquent la mort. C’est un homme plutôt calme et réfléchi, du moins en apparence car il peut assez facilement se montrer violent dès qu’on lui sort une réflexion tournant en sa défaveur.
Ryoan est fréquemment en conflit avec le samouraï Manjiro (voir plus bas), principalement lorsque ce dernier se trouve en état de déprime et se met à boire. Les raisons de leurs disputes tournent en général autour de l’idéologie guerrière de Manjiro, ses relations désastreuses avec les femmes ou encore ses projets de réformer le Bakufu, une idée que Ryoan n’hésite pas à qualifier ouvertement de stupide. Il se plaint d’ailleurs souvent du comportement empoté et peu réfléchi du jeune samouraï.
Vers la fin de la série, il sera envoyé au front comme premier médecin militaire du Japon lorsque le gouvernement décidera de réformer son armée. Il était également l’arrière-grand-père d’Osamu Tezuka.
Manjiro Ibuya
Jeune samouraï partagé entre les vieilles idéologies guerrières que lui a inculqué son père et la nécessité de réformer le Bakufu pour le préserver. Exact contraire de Ryoan, Manjiro est un guerrier bouillant, tête brûlée et entêté qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui n’hésite pas à tuer pour se défendre ou protéger d’éventuels innocents, ce qui lui vaudra notamment d’être renvoyé du dojo auquel il appartenait. Pourtant à l’origine non-violent et plutôt pacifique, son éducation de samouraï le force à se consacrer au sabre pour l’honneur de sa famille et pour protéger la vie de son maître. L’honneur des guerriers est pour lui un devoir primordial, au point qu’il ira jusqu’à divorcer d’avec sa jeune épouse qu’il venait fraîchement d’épouser pour partir au combat lutter contre ceux voulant la perte du Bakufu.
Contrairement à Ryoan, champion en drague, Manjiro – de par son éducation – est incapable de tenir une conversation correcte avec un membre du sexe opposé, son visage virant au rouge-écrevisse à peine quelques mots difficilement bafouillés. Il est également maladroit dès qu’il s’agit de les consoler voire même de comprendre ce qu’elles ressentent réellement, au point d’avoir loupé plus d’une fois la possibilité d’obtenir la main de sa dulcinée. Autant dire que ses chances de convoler se réduisent au fil du temps, même s’il finira par trouver la perle rare en la personne d’Aya. Bref laissons parler Ryoan pour résumer la situation de Manjiro avec les filles :
Manjiro n’aime pas beaucoup Ryoan qu’il surnomme ''le charlatan'' ou par un autre mot bien moins sympathique faisant allusion à sa vie nocturne débridée. Il lui arrive néanmoins de lui venir en aide ou de l’estimer, voire de le considérer comme un ami, mais leur relation se résume globalement aux beuveries en commun et aux bagarres.
Graphiquement d’ailleurs, Manjiro – contrairement à Tezuka – ne fait pas vraiment ses 26 ans. Il est plus petit, plus juvénile d’apparence et physiquement, il donne davantage l’impression d’un étudiant rebelle. Autant dire qu’il n’a rien d’un play-boy et pourtant, il réussit au cours de l’histoire à attirer l'attention de trois jeunes (et jolies) filles malgré son caractère d'empoté. Chapeau !
Si Ryoan est cité comme l’arrière-grand-père de Tezuka, les origines de Manjiro ne sont pas claires et il n’est pas impossible (voire même quasi certain) que ce personnage soit directement issu de l’imagination de l’auteur. Quelques indices laissent parfois présager le contraire, notamment l’extrait des Mémoires du consul américain Harris (que je n’ai pas encore achevé, donc indice à prendre avec des pincettes), personnalité historique fort connue au Japon, qui dans le manga mentionne son «domestique Manjiro» sans donner davantage de précision. Si vraiment un samouraï ou un simple domestique de ce nom a existé, sa vie a probablement été fortement romancée par Tezuka.
La première chose qui frappe avant tout dans cette œuvre, c’est son contexte à la fois historique et très réaliste pour qui est habitué aux histoires nettement plus humoristiques de Tezuka. On se rapproche ainsi davantage du ton d’Ayako et j’irai même jusqu’à dire que l’Arbre au soleil annonçait déjà L’Histoire des 3 Adolf de par sa narration, sa cible plus adulte et son graphisme. Globalement, les différents événements historiques – chute progressive du shogunat, arrivée des Américains, début de l’ère Meiji – sont respectés bien que mêlés à des éléments fictifs comme par exemple la présence d’un personnage très certainement inventé par Tezuka ; de même, la reconstitution de l’époque est minutieuse et très détaillée (architecture, ustensiles du quotidien, costumes).
Le titre du manga fait allusion au symbole même d'un arbre – un cerisier – planté au début du shogunat des Tokugawa désormais envahi par les vers, pourri de l'intérieur et prêt à sombrer dès le premier tremblement de terre. Il annonce ainsi la fin d'une ère vieille de 250 ans, menacée de disparition. Cette métaphore, qui donne à la fin tout son sens à l'histoire, donne vraiment matière à réfléchir.
De nombreux personnages ayant réellement existé apparaissent au fil des pages, à commencer par Ryoan Tezuka qui fut l’arrière-grand-père de l’auteur (et qui n’est pas toujours présenté sous un jour très glorieux par son descendant…), son maître (dont l’école de médecine occidentale a réellement existé) ou encore les différents conseillers et ministres de l’époque, ajoutant une ambiance crédible au manga. Notons également l’emploi de diverses langues au travers des conversations des personnages et là encore, la minutie de l’auteur est stupéfiante : que ce soit l’hollandais ou l’anglais, les dialogues sont scrupuleusement exacts tant sur le côté grammatical que lexical. Etant très attachée au respect de l’Histoire et de l’environnement de l’époque, cette minutie m’a positivement surprise.
Au travers de ces éléments historiques et réalistes, Tezuka – comme à son habitude – met le doigt sur les travers de l’époque : la corruption politique, la progressive disparition d’une ère archaïque qui n’a plus sa place dans un monde désormais industrialisé, l’avènement de la médecine moderne encore rejetée par le gouvernement en place, la xénophobie dans les deux camps, Américains comme Japonais, ou encore la guerre. Il nous offre ainsi un récit plein d'humanisme, complexe et aux personnages ambigus sans aucune distinction, qu'ils soient Japonais ou Américains, pauvres ou riches.
À côté, il nous conte les péripéties de Tezuka (le personnage, pas l’auteur) ou Manjiro dans différents contextes, qu’ils soient humoristiques, tragiques ou périlleux. J’avoue pour le moment n’avoir vu héros aussi attachants et drôles que Tezuka et Manjiro sur l’ensemble d’un titre de Tezuka : entre la volonté de fer du chirurgien Tezuka pour sauver des vies et sa relation avec la prostituée O-Kon (autre personnage fort intéressant de l’œuvre) ou le destin tragique du samouraï Manjiro – sans parler de ses déboires sentimentaux qui le poursuivront jusqu’à la fin – difficile de ne pas les aimer tous les deux bien que j’avoue avoir une légère préférence pour Manjiro, plus actif et mieux développé psychologiquement parlant que Tezuka (ce qui ne veut absolument pas dire que Tezuka soit doté d’une personnalité basique, bien au contraire).
Finissions sur une petite note à la fois humoristique et touchante : en parallèle de son intrigue historique, l’auteur réussit également à nous passionner avec les aventures sentimentales de ses deux protagonistes !
Tezuka est un séducteur pro, amateur des bordels nocturnes et des jolies filles, qui semble posséder un certain charme attirant ses futures proies vu qu’il utilisera avec un peu de succès ce «talent» pour proposer à une jeune fille de se faire vacciner (Notez qu’il surestime pas mal ses performances dans la galipette). Malheureusement pour lui, même marié à une lointaine cousine, ses pulsions seront loin de s’atténuer, d’où de nombreuses crises conjugales avec son épouse. On le sent bien plus proche d’O-Kon, la jeune femme mariée de force à un mari violent qui la poussera à vendre son corps avant de l’abandonner, en qui il viendra en aide plus d’une fois.
Quant à Manjiro, le Ciel ne semble pas avoir été en sa faveur pour ce qu’il est de ses relations avec les femmes : éduqué par un père rigoriste en matière de sexualité, il est incapable de s’adresser normalement à une femme sans se perdre dans des bafouillages incompréhensibles et son avenir sentimental s’annonce bien sombre… Une lueur d’espoir voit le jour lorsqu’il fait par pur hasard la rencontre d’Aya. Lui qui prétendait ne pas être sujet aux coups de foudre en tombe amoureux dès le premier regard, à la grande stupéfaction de Tezuka qui n’y croyait plus et qui lui donnera d’ailleurs un petit coup de main utile pour aider un Manjiro tremblant de peur à obtenir la main d’Aya. Même si ici, nous nous trouvons davantage dans une ambiance plutôt romantique, l’intrigue sentimentale ne manque absolument pas d’intérêt, notamment en ce qui concerne le développement de la psychologie de Manjiro. On se passionne pour sa relation avec Aya comme on s’est passionné pour ses péripéties en tant que samouraï, bref on ne s’ennuie absolument pas et on en ressort même partagé à la fin du dernier volume de voir finalement cette relation si prometteuse finir en eau de boudin par la seule faute de Manjiro.
La seconde rencontre entre Manjiro et Aya
Graphiquement, les planches sont magnifiques grâce à un dessin mieux détaillé tout en conservant l’habituelle rondeur tezukienne mais avec un graphisme plus mature tel qu’on le retrouve dans ses œuvres plus complexes, ainsi que par un découpage hors-paire. Pour donner un bon exemple : sur une planche de 18 cases, 14 seront utilisées pour décrire les différents états d’âme du protagoniste avant de terminer sur une petite métaphore sous la forme de comptine puis sur une chute du personnage en question, à la fois tragique et hilarante.
Bref, Tezuka maîtrise son œuvre de A à Z, parvient autant à nous faire rire, à nous passionner, nous instruire et nous émouvoir. Jamais l’ennui ne m’a traversé sur ces 8 tomes impeccablement réalisés. L’auteur prend son temps pour bien développer son histoire sans rajouter de passage inutile mixé à un graphisme de toute beauté. Assurément l’un de ses meilleurs travaux retranscrivant une époque charnière dans l’Histoire du Japon.
L’Arbre au soleil est pour le moment le manga de Tezuka qui m’a le plus passionné, ce fut un réel plaisir à la lecture et un véritable coup de cœur que je n’avais plus eu depuis Lupin III en septembre 2009 ! Et pourtant, j’assure avoir lu de nombreux titres de qualité depuis…
Pour finir : le manga a été adapté en 2000 par les studios Madhouse en un anime de 25 épisodes. Le résultat est globalement réussi, avec une narration qui suit le manga assez fidèlement, une accentuation du tragique, certaines scènes bien meilleures que dans le manga et surtout des musiques superbes qui m’ont donné l’envie d’acheter le CD un de ces jours.
Outre un design qui, bien que fidèle au manga, rend parfois très mal sur certains personnages – Manjiro étant celui qui en souffre le plus – on pourra regretter que deux passages pourtant primordiaux dans l’intrigue aient été occultés ou raccourcis, comme par exemple la rencontre entre Manjiro et les deux consuls américains, Harris et Heusken, qui est quasiment oubliée alors que le manga montre bien comment cette rencontre et surtout son amitié pour l’interprète Heusken seront le moteur du changement psychologique du jeune samouraï, jusqu’à alors confronté à une vision archaïque du monde et de la politique du pays. Ces deux personnages historiques n’apparaissent donc dans l’anime que pour quelques scènes où ils sont traités avec le plus grand sérieux, comme si les montrer sous un jour plus ambigu comme le fit Tezuka serait blasphématoire. De même, le long exil de Manjiro dans les montagnes reculées de Mito après avoir été arrêté et accusé de trahison par le gouvernement n’est même pas mentionné. Quant au personnage d’Heisuke, il disparaît complètement. Ces coupes ont-elles été effectuées pour des questions de format de série (25 épisodes pour 11 tomes) au détriment d'une intrigue moins bien développée que dans le manga ?
Si certaines scènes sont bien mieux traitées dans l’anime, mon préféré étant le dernier épisode, magistral et bouleversant à la fois, d’autres le sont un peu moins. J’avoue – et ce n’est que mon avis – avoir été un peu déçue du traitement de la relation entre Aya et Manjiro. Si on laisse de côté l’absence du développement progressive des sentiments d’Aya pour Manjiro dans la version animée, on reste surtout dubitatif que l'anime ne fait qu'esquisser leur relation commune. De plus, si dans le manga, le coup de foudre de Manjiro pour Aya est explicitement illustré, ce n’est pas le cas de l’anime qui laisse sous-entendre que Manjiro ne tombe pas immédiatement amoureux d’elle.
Enfin, même si l'anime se rattrape par la suite en nous servant un Manjiro explicitement fou de sa dulcinée (des images très touchantes), un autre point dérange : alors que Manjiro semble dans le manga avoir définitivement tiré un trait sur son comportement de «coincé» grâce à sa rencontre avec Aya et se comporte en véritable séducteur, l’anime le présente une nouvelle fois comme maladroit et extrêmement timide dès qu’il s’agit de s’adresser à Aya. Le Manjiro de l’anime n’aurait-il donc finalement pas dépassé le stade de l’écrevisse ?
Il existe également un drama adapté du manga. Ne l’ayant pas vu et n’étant pas très intéressée, je ne me plongerai pas dedans. J’espère juste que les acteurs auront été choisis pour leur talent et non pour leur physique – argument de toute façon sans importance vu que Tezuka et Manjiro sont loin d’être des play-boys chez Tezuka. De même, j’espère que le drama n’a pas trop insisté sur la rivalité amoureuse entre Manjiro et Tezuka pour la jolie O-Seki et que l’histoire du drama ne se résume donc pas à ça :
Cet article se base sur les tomes édités par Tonkam entre 2005 et 2007 (édition épuisée) et l'édition espagnole de Planeta DeAgostini. Les images sont tirées soit de la version française soit de scans japonais. Les images appartiennent à son éditeur respectif. Le texte est intégralement de moi.