Allez le point de K. Dick sur le livre, et la part d’autobiographie de l’histoire :
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J’avais vécu au contact de la drogue et de son milieu après le départ de Nancy en 1970, durant toute l’année 1971 et le mois de janvier 1972. Mais je suis parti pour le Canada en février 1972, puis revenu à Orange County, et je ne faisais plus partie de ce milieu.
Je voulais coucher sur le papier le souvenir des gens que j’y avais connus. J’ai écrit ce livre pour conserver ce souvenir et pour dénoncer la drogue, car je l’avais vue tuer tant de gens que je me consacrais désormais à prêcher l’évangile de ses périls. J’avais vu mourrir trop de monde…
Je crois que j’ai réussi à évoquer ces personnages avant qu’ils ne s’effacent de ma mémoire. C’est le principal.
J’ai écrit ce livre dès que cela a été possible, aussitôt après avoir quitté le milieu de la drogue. J’avais prévu de le faire dès mon installation au Canada : une semaine après avoir fui ce miliieu, j’essayais déjà d’évoquer ses membres. La véritable question était : pouvais-je les décrire avant de perdre les modulations de leur voix ? Et je crois y être parvenu. Aujourd’hui, ça me serait impossible. Quand je relis Substance Mort, ils reviennent à la vie sous mes yeux. Je me réjouis d’avoir eu le temps de les évoquer ainsi. Ils sont tous morts à présent.
Tout le monde n’éprouve que dégoût à l’égard de Donna. Mais la fille sur laquelle j’ai pris modèle – il ne s’agit guère que d’une interprétation créative – ne m’inspirait qu’admiration. Je n’ai jamais méprisé son incroyable duplicité. Elle vivait dans une strate de la société, dans un milieu où la fourberie était nécessaire pour survivre. En d’autres termes, si elle n’avait pas su se montrer aussi fourbe, elle serait morte. Il ne se serait pas passé quelques heures avant qu’on ne la tue.
C’était une dealeuse de came. Elle était dealeuse et indic en même temps. Elle avait dû se faire choper… et se voir proposer l’option de devenir indic ou d’aller en tôle. Et elle avait choisi de devenir indic. Tout ça devait rester secret. Elle se trouvait dans une position très difficile. Elle n’avait que 18 ans. Elle possédait trois identités différentes : elle avait un boulot régulier et elle vivait chez ses parents. Il lui fallait cacher à tout le monde qu’elle dealait. Elle était sans doute camée aussi, a y repenser, elle devait être accro à l’héroïne. Je ne le saurai jamais. Les camés à l’héroïne ne viennent pas vous dire : bonjour, je suis accro à l’héro.
Apparemment, elle trempait aussi dans des vols à main armée, avec un gang, pour trouver du blé pour sa dope. Elle menait une vie très compliquée, et je ne vois pas dans quelles circonstances elle aurait pu faire preuve de franchise… Mais je l’aimais beaucoup… Son petit ami est venu me voir un jour et il m’a dit : tu ne la reverras jamais, tu ne sauras jamais où elle est allée, elle veut couper toutes ses attaches et commencer une nouvelle vie. Et merde, c’est ce qu’elle a fait ! Elle s’est évanouie dans la nature… C’était la meilleure amie que j’aie jamais eue,et je doute que quiconque en ait jamais de pareille.
Mais j’ai pu mettre tout ça par écrit avant que ces souvenirs ne s’estompent. Et beaucoup de gens du milieu de la drogue que j’ai rencontrés et qui avaient lu le livre m’ont dit que c’était le seul roman qu’ils aient trouvé qui évoque aussi bien les drogués. Ils sont assis, et ils parlent, sans cesse, de rien. On peut avancer la bande de quatre heures, et ils discutent toujours du même sujet. Aucun progrès. Ils ne font jamais le moindre progrès.
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Le livre a été publié la première fois en 1977.
Edité par conishiwa le 28-02-2005 à 22:56