C’est dans l’arrière salle de la très sympathique boutique Dimension Fantastique (Paris Xe) que nous avons pu rencontrer Miya et Samantha Bailly. Respectivement dessinatrice et scénariste, mais avant tout amies, elles présentent leur tout nouveau projet, Alchimia, déjà disponible via un éditeur qui fut d’un grand soutien dans l’aboutissement de l’œuvre, Pika.
Avant-propos :
Avant de vous laisser découvrir cet entretien, précisons que le premier tome d’Alchimia offre un bonus de quelques pages sur la genèse de la relation Miya/Samantha Bailly. Des propos très intéressants et rondement présentés (sous-forme de dessins). Afin d’éviter les redites, nous passons outre ce point là pour attaquer directement le projet Alchimia (et respecter le temps d’interview !).
AnimeLand : Peut-on savoir qui a posé la première pierre du projet Alchimia ?
Miya : “Depuis mes 11 ans, j’ai toujours eu envie de faire un manga baignant dans la fantaisie. J’étais fan de Fushigi Yugi, de L’Histoire sans fin et plus largement du genre shôjo/fantasy. Je voulais donc de l’aventure, du combat, de la romance… J’ai fais part de mes envies à Samantha et je lui ai demandé : “Qu’est-ce que tu peux me proposer avec ces éléments là ?”
Samantha Bailly : “J’ai pioché dans les univers qui m’intéressaient avec le bateau itinérant, de la vie de nomades, de l’alchimie. Je suis donc partie d’une base mêlant fantasy et poésie, pour ensuite y intégrer les ingrédients de Miya. Il faut savoir que pour un tel projet, on se lance dans une aventure qui va prendre 3 ans de nos vie (rires) ! Donc faut que le projet nous passionne. Il faut également rappeler que Pika était revenu vers Miya pour lui proposer de retravailler avec, et qu’après son expérience sur Vis-à-vis (son ancienne série, rééditée chez Pika) elle ne voulait plus être seule. Vu notre histoire et notre amitié, un lien a pu se faire très rapidement”.
Miya : “On s’est rencontrées autour de la création il y a 10 ans ! À l’époque, aucune de nous deux n’était professionnelle mais j’illustrais déjà ses histoires. Donc quand Pika est revenu vers moi, il était naturel de me tourner vers Sam. Il y a une confiance mutuelle, et c’est plus confortable pour avancer”.
“Miya a toujours eu cette grande qualité de différencier narration et illustration” Samantha Bailly
AL : Une fois ce projet lancé, comment se passaient les discussion pour figer les différents designs ?
M : “Quand je travaille seule, les inspirations peuvent venir de l’histoire, ou inversement, je crée un personnage qui va m’inspirer un univers. Là, c’est différent, car Sam me donne les synopsis. Le deal, c’est que le storyboard est entièrement fait par moi-même. Sam me donne donc les fiche perso, et la ligne directrice en matière de scénario”.
SB : “Je m’occupe de monter un dossier qui soit le plus complet possible : dialogue, détail de l’univers, images pouvant servir de repère, le déroulé de l’histoire… Ça fait une base de documents, et Miya peut ensuite être libre pour consacrer 1, 2 ou 5 cases pour certains événements. “
AL: Samantha, quand on travaille avec une amie, est-ce compliqué d’être exigeante ? Avez-vous refusé certains travaux de Miya ?
SB : “Pas vraiment car c’est un système dans lequel on se sent bien. Elle a besoin de liberté dans ses créations et je suis en phase avec ça. Je trouve qu’il existe de très bons illustrateurs, mais faire du manga c’est aussi raconter une histoire. Miya a toujours eu cette grande qualité de différencier narration et illustration. Elle va toujours apporter un truc en plus à ma demande. Venant du monde de la littérature, je n’ai pas les codes manga qu’elle connait. Du coup, tous les instants en SD, les petits délires, ça vient d’elle (rires) !”
M : “Oui, je l’avoue, c’est moi qui suis à l’origine des blagounettes !”
AL : Justement, comment est-ce qu’on arrive, surtout à deux, à bien doser toutes les facettes d’Alchimia ? Il y a de la romance, des combats, de l’humour…
SB : “Je me sers de mon expérience. J’ai publié 13 romans, je commence à avoir du métier, donc je sais équilibrer d’avance. Par contre, la surprise, c’est que par moment Miya a pu étirer certains séquences qui me sont difficiles à décrire, et notamment les scènes d’action. Je savais que là c’était sa petite récréation, et qu’elle avait toute la liberté pour se faire plaisir”.
M : (elle se tourne vers Samantha) “Tu vas écrire “ils s’affrontent, untel prend le dessus” et c’est à moi de jouer. Le choix des armes par exemple, c’est totalement moi.
SB : “Elle fait du kung-fu donc c’est son domaine et je n’avais aucune leçon à lui donner !”
M : “Disons que j’aime autant dessiner de purs moments de shôjo comme de véritables scènes d’action ! Sur Vis-à-vis c’était difficile parce qu’il n’y a que peu d’action, donc j’ai dû feuilleter certains œuvres pour avoir une première approche et m’inspirer”.
SB : “C’est aussi un échange. Sur le jeu des émotions, elle n’hésite pas du tout à me dire si telle ou telle situation serait plus intéressante à intégrer ou modifier. C’est un émulation qui permet de donner plus de mouvement au scénario, qui n’est finalement pas totalement figé. Et lorsqu’il y a une incohérence, on en discute toutes les deuxe.
AL : Du coup, ça nous amène à nous interroger sur le poid du 3e acteur majeur de cette aventure : l’éditeur. À quel niveau Pika s’est-il impliqué dans Alchimia ?
SB : “En fait, Alchimia n’est que le deuxième projet que nous savions suggéré à Pika. Le tout premier se voulait plus mature, très psychologique. Trop, en fait”.
M : “Oui, c’était entre le seinen et le josei…”
SB : “En tant qu’éditeur, Pika a un comportement logique qui est d’observer le marché. Du coup, on s’est dit que si on passe 3 ans sur un tel projet, faut qu’on s’éclate dessus. Je ne voulais donc pas être dans la demi-mesure, j’ai alors proposé de repartir sur autre chose, Alchimia. C’était assez shôjo pour eux, et ils ont dit oui rapidement. Enfin, on a eu des petites retouches concernant Sae qui apparaissait trop femme !”
M : “C’était un profil de véritable femme, avec un côté plus bohème/romantique”.
AL : Pour rester dans la sphère du dessin, et cela concerne davantage Miya, on sent des influences des CLAMP…
M : “Oui, Magic Knight était la première œuvre de CLAMP que j’ai lue, et c’était du shôjo/fantasy (rires) ! C’est-ce qui m’a fait aimer le manga. L’univers de ses artistes m’a aidée, car petite j’ai appris a dessiner en refaisant du CLAMP, avant de m’en détacher et trouver mon style. Ce que j’admire chez elles c’est qu’il peut se passer la scène la plus horrible du monde, mais esthétiquement ça reste véritablement beau. Les effets de volupté, avec la magie notamment, sont magnifiques. Les Japonais sont très forts pour ça”.
“On fait environ 20 planches par mois. Après, le facteur humain fait que parfois le planning change. Par exemple, je me suis mariée l’an dernier, donc ça prend du temps !” Miya
AL : De votre côté Samantha, quelles sont vos influences ?
SB : “Je ressens un certain amusement car en ce moment j’ai surtout travaillé sur des œuvre contemporaines. Mais à l’origine, je suis fantasy à fond. Créer des univers comme celui d’Alchimia, c’est replonger dans les jeux Final Fantasy, les films de Miyazaki…C’est mon enfance ! Cette idée de revenir dans l’aventure, les liens forts entre les personnages, et cette dose, toujours, de poésie. Mon adolescence a été empreignée de ces ambiances japonaises”.
AL : Du coup, nous voulons savoir : quelle est votre cadence de travail, et quand peut-on espérer voir le second tome ?
SB : “On s’est donné Japan Expo pour livrer le second tome. Le travail suit son cours“.
M : “On fait environ 20 planches par mois. Après, le facteur humain fait que parfois le planning change. Par exemple, je me suis mariée l’an dernier, donc ça prend du temps ! Après Vis-à-vis, je suis passée directement au storyboard sur tablette. J’imprime mon storyboard comme mon croquis de base. J’encre directement par-dessus. Je chiade le storyboard mais je gagne du temps au final. Sans parler des outils ordi qui aident énormément, que ce soit pour les proportions ou les trames ! J’ai aussi analysé mon travail sur Vis-à-vis, je trouvais ça trop saturé en trame. J’ai donc simplifié pour que ce soit plus efficace et lisible”.
SB : “C’est quand même Miya qui a la charge de travail la plus lourde. Je passe moins de temps à travailler que Miya. Une fois passés mes quelques mois d’écriture, c’est à Miya de jouer. Le reste ce sont des discussions, des échanges qui s’étalonnent. Ma grande partie, c’est de donner des personnalités, garder un côté littéraire aussi car c’est mon ADN. Ce que je trouve génial, c’est qu’on confond nos participations. Il n’y a pas le scénario d’un coté et le dessin de l’autre”.
AL : Si devenir dessinateur de manga en France est viable, en-est-il de même pour un(e) scénariste de manga ?
SB : “Oui, mais avec d’autre projets (elle sourit). C’est comme le scénario de BD je pense. Mais c’est une triangulation. D’ailleurs, Kim Bedenne (aujourd’hui chez Ki-oon) et Margaud Fosse-Boutel, nos éditrices, nous ont aidées comme jamais. Elle nous ont orientées et donné beaucoup de conseils, comme le cliffangher par exemple”.
M : “Ou en matière de découpage”.
SB : “Je pense aussi qu’en tant que scénariste, et même si nous n’avons pas le meme modèle qu’au Japon avec pléthore d’assistants, je prends volontiers ce rôle de soutien psychologique. Nous sommes une équipe, c’est certain”.
Remerciements à Laure Peduzzi de chez Pika Edition, et le staff de Dimension Fantastique qui ont réuni les conditions optimales pour cet entretien.
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Chronique expresse :
Avec un trait qui a mûri et gagné en assurance depuis Vis-à-vis, Miya met en forme un récit parfaitement maîtrisé par une Samantha Bailly convaincante. Bien qu’estampillé shôjo, le titre drague plusieurs genres sans aller jusque l’overdose. Les auteurs ne s’éparpillent pas, et bien que l’on devine les quelques influences, le tout est suffisamment bien digéré pour nous faire passer un agréable moment. Résultat, Alchimia se lit d’un trait, et saura convaincre les jeunes lectrices (et lecteurs) avides d’aventures fantastiques. Bien joué les filles !
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