Petit retour en arrière. En 1997, le studio Sunrise, qui anime depuis plus de deux décennies la saga Gundam, entame la production d’une série dont le titre sonne comme un manifeste : “The work, which will become a new genre in itself, will be called… Cowboy Bebop” (en gros : “cette oeuvre, qui deviendra un nouveau genre, se nommera Cowboy Bebop”), peut-on lire ça et là. Rien que ça ! Il faut dire que le studio a mis le paquet et lâché la bride à ses créateurs. Le résultat : 26×26 minutes d’un space opera fondamentalement moderne, écrit par NOBUMOTO Keiko (d’après le manga original de YADATE Hajime), dessiné par KAWAMOTO Toshihiro et mis en scène avec brio par WATANABE Sin’Ichiro. Quant à la musique de KANNO Yoko, elle est d’ores et déjà un classique. L’ensemble dégage un charme indéfinissable : les auteurs transcendent un matériau presque banal (trois chasseurs de primes, une gamine et un chien, unis par les hasards de l’aventure, sillonnent l’espace à bord d’un vieux rafiot, le BeBop, à la recherche de proies lucratives), pour signer une série dense, émouvante, toujours élégante, et au final aussi cohérente qu’attachante. Cowboy Bebop englobe pêle-mêle, en une sorte de fourre-tout jubilatoire, 30 ans de cinéma populaire, pour créer quelque chose de neuf, presque un nouveau genre effectivement, un mix, un collage post-moderne, entre recyclage et modernité.
Et dans la logique économique de l’industrie de l’animation nippone, qui dit série à succès, dit long métrage cinéma… Dans le cas présent, on ne s’en plaindra pas ! Sorti à l’été 2001, Tengoku no tobira – Knocking on heaven’s door (titre international), reprend tous les ingrédients de la série, sans en briser le charme, pour une histoire qui n’en est pas un prolongement, mais une sorte de «bonus», un petit plus, qui prend place entre les épisodes 22 et 23, juste avant que nos héros suivent chacun leur propre route… Le résultat ? Jugez-en plutôt.
Sur Mars, la vie s’écoule tranquillement, pour les occupants du BeBop. Jet et Spike chassent le menu fretin des braqueurs de supérette, et se nourrissent exclusivement de nouilles instantanées. Que voulez-vous, les temps sont durs pour les cow-boys du futur !… Faye, elle, est sur la piste d’un plus gros gibier : Lee, un hacker (pirate informatique) soupçonné d’avoir dérobé une cargaison appartenant au laboratoire pharmaceutique Cherious Medical. Alors qu’elle suit le camion, un homme à la silhouette fantomatique, drapé d’un long manteau noir, s’en extrait. A peine la jeune femme a-t-elle le temps de réaliser qu’il ne s’agit pas de Lee, que le camion explose, dégageant une substance provoquant des hallucinations et menant à une mort certaine. Faye, préservée par l’habitacle étanche de son véhicule, rejoint le BeBop à temps pour apprendre avec les autres que, dépassées par l’ampleur de la catastrophe, les autorités lancent une prime de 300 millions d’Urons sur la tête du mystérieux criminel…
Spike part alors glaner des tuyaux dans le quartier marocain et fait la connaissance d’un énigmatique marchand de graines, qui disparaît aussi subitement qu’il était apparu, en lui laissant dans les bras… un pot. Et dans ce pot, une bille contenant le virus mortel ! Nos héros analysent cette substance, qui, en fait de virus, est composée de nano-machines, se reproduisant dans l’organisme et paralysant le système nerveux… Proviendraient-elles du mystérieux laboratoire Cherious Medical, qui compte dans ses rangs la belle Electra Ovilo, plus habile au combat rapproché qu’à la manipulation des éprouvettes, et elle aussi sur la piste du terroriste? Faye, de son côté, est toujours sur la piste de Lee et, grâce à Ed, localise le hacker ainsi que le terroriste, qu’elle a identifié comme étant Vincent Volaju, ancien soldat d’élite. Capturée, elle découvre un homme à la force surhumaine, ayant totalement perdu pied avec la réalité, qui projette d’anéantir la planète, seul moyen pour lui d’accéder à un paradis salvateur… Nos héros sauront-ils mettre en échec son plan nihiliste ? Et qui, de Spike ou de Vincent, sortira vainqueur du face à face qui se prépare sur la plus haute tour de la ville ?
Et tout cela a de l’allure ! Le staff de la série est au rendez-vous et de fait, visuellement, le film ne s’en distingue pas fondamentalement. Techniquement, on remarque bien sûr des améliorations : décors mieux soignés, couleurs plus subtiles, recours à l’image de synthèse quasiment invisible, animation simultanée de plusieurs personnages au sein d’un même plan (dans les scènes de foule par exemple), mouvements de caméra ambitieux… Graphiquement, les personnages sont fidèles à eux mêmes (sauf peut-être Faye, qui bénéficie d’un design plus fin, moins caricatural) et l’animation s’apparente à celle, déjà d’excellente qualité, de la série, à part dans les scènes d’action. Le gunfight dans le métro et le combat aérien sont deux séquences d’anthologie, parmi les plus belles de ce type qu’il nous ait été donné de voir. Quant à l’affrontement final à mains nues entre Spike et Vincent, c’est une pure prouesse d’animation, d’une violence fulgurante, qui rend obsolète tout combat d’arts martiaux post-Matrix. La mise en scène de WATANABE Sin’Ichiro brille d’une invention de tous les instants, aussi bien dans ces séquences d’action, que dans les scènes de vie quotidienne à bord du BeBop ou de déambulation urbaine.
Les nouveaux personnages, Electra et Vincent en tête, bénéficient d’un design superbe dans le plus pur style KAWAMOTO. Par contre, les « figurants » du film sont dessinés de manière plus réaliste, dans un style proche de Jin-Roh. C’est d’ailleurs le réalisateur de ce film, OKIURA Hiroyuki, qui a dirigé l’animation du générique de début, composé d’une suite de portraits très vivants, que l’on croirait filmés sur le vif dans les rues de New-York. Mais la métropole nord-américaine n’est plus la seule référence pour la ville martienne, décidément cosmopolite, puisque l’on découvre un quartier marocain, plus vrai que nature, croqué lors d’un voyage du staff au Maroc, et une réplique de la… Tour Eiffel.
Selon Alfred HITCHCOCK : « plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film ». Les créateurs de Cowboy Bebop ont dû se souvenir de cet adage en écrivant Tengoku no Tobira. Car Vincent est un véritable démon : sa silhouette à la fois cadavérique et puissante enveloppée de noir, ce profil d’aigle inexpressif, effraient et séduisent tout autant. Vincent ne tue pas par vice, mais pour l’accomplissement de son plan, sans hésitation ni remords, presque sans en avoir conscience. Si il planifie la mort de millions d’innocents, c’est pour mettre fin à ses propres souffrances. Victime d’expérimentations militaires qui ont fait de lui un fantôme amnésique, il reste bloqué à jamais entre terre et enfer, incapable de distinguer le rêve de la réalité. Si Vincent a au moins cette excuse, Lee, lui, abruti de jeux vidéo, ne distingue plus la mort virtuelle de la mort réelle et, à la recherche de nouvelles sensations, « joue » au terroriste. Lequel des deux mérite notre compassion ? A vous de juger.
Face à ce mort-vivant (créé par l’Homme, à l’instar du monstre de Frankenstein), à la force décuplée par la folie, Spike trouve un curieux reflet de lui-même. Solitude, indifférence au monde, sensation d’être déjà mort… Spike se bat contre ses propres démons, son reflet obscur, et trouve ainsi, temporairement, une raison de vivre et de combattre. Leur affrontement prend la forme d’un « choc des titans » mythologique, de l’issue duquel dépendra le sort du monde. Electra, elle, se battra jusqu’au bout pour retrouver l’humanité perdue de Vincent, l’homme qu’elle aimait.
Qu’est ce qui rend finalement ce film si attachant ? La réalisation technique irréprochable, le scénario bâti de main de maître, la mise en scène virtuose ? Tout cela, oui, mais plus encore. On retrouve, pour la dernière fois (les propos du réalisateur ne laissent guère de doutes à ce sujet) dans Tengoku no tobira tout ce qui fait la saveur de Cowboy BeBop : un subtil cocktail d’action, de glamour, d’aventure, d’humour et de pathos maîtrisé ; des personnages inimitables (mention spéciale encore une fois à Ed et à sa doubleuse TADA Aoi) unis par des liens subtils… Ou peut-être simplement ce mélange, à l’image de Spike, fait de folie douce, de nonchalance et d’élégance tragique.
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