Gang de Requins

Dreamworks entre deux eaux

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Les artisans de Dreamworks auraient-ils dû attendre que Le Monde de Nemo, dernier succès des studios Pixar, s’efface de nos mémoires avant de mettre au monde leur têtard ? En effet, la comparaison ne peut être évitée puisque les deux films se déroulent sous l’océan et mettent en scène des poissons. L’histoire est certes différente, mais on décèle quand même des points communs : un petit poisson nerveux, un requin végétarien mal dans sa peau. Mais c’est malheureusement au niveau technique que Shark Tale se saborde.

Sans être techniquement raté, l’esthétisme de Dreamworks-PDI ne peut rivaliser avec celui de Pixar : là où Le monde de Nemo nous offrait des fonds marins aux couleurs et aux textures incroyables, on assiste ici à un défilé d’images aux couleurs pastels souvent peu harmonieuses. Même si le rendu d’un New-York sous-marin en effervescence est réussi, nous ne retrouvons jamais le même luxe de détails, ni la fluidité des mouvements, ni les effets de lumières diffuses qui nous faisaient croire à l’univers aquatique de Nemo. Pourquoi cette aridité qui nous donne l’impression que les poissons évoluent dans le vide et non dans de l’eau? La réponse se trouve peut-être dans le travail des animateurs, qui semblent s’être surtout concentrés sur le rendu humain des têtes de poissons, leur prêtant les expressions faciales des vedettes qui fourmillent au générique : on retrouve ainsi des détails caractéristiques tels que les oreilles de Will SMITH, les lèvres d’Angelina JOLIE, les épais sourcils de Martin SCORSESE ou les expressions et le fameux poireau – de Robert DE NIRO. Mais ce choix esthétique, amusant avec les deux méduses rasta, n’est pas du meilleur résultat avec certains protagonistes.

Histoire à nager debout

Une fois la déception visuelle digérée, on peut se laisser aller à suivre un récit amusant qui, sans être ennuyeux, n’apporte cependant aucune surprise. L’histoire est divisée en deux parties. Dans la première, nous faisons la connaissance de deux personnages. Lenny est un requin bien particulier qui fait la honte de sa famille ; il est végétarien. Son père, Don Lino, grand parrain de la maffia locale, confie à Frankie, son fils aîné, la difficile tâche de faire de Lenny un vrai requin.

Parallèlement, Oscar, un jeune poisson baratineur travaillant dans une station de lavage, rêve de gloire. Celle-ci va arriver à la suite d’un quiproquo qui va le faire passer pour un tueur de requins auprès de la faune locale. Profitant de sa soudaine renommée, Oscar va s’enfoncer dans le mensonge, bien décidé à profiter de cette gloire à laquelle il aspire depuis longtemps. Cherchant à fuir sa famille trop étouffante, Lenny passe un marché avec lui. L’un doit prouver qu’il est un tueur de requins, l’autre veut disparaître. Malheureusement, tout ne se passera pas comme prévu pour les deux nouveaux amis, surtout que le parrain croit Oscar responsable de la mort de Frankie.

Pétard mouillé

Comme on peut s’en douter, l’histoire est prétexte à une leçon de morale prévisible traitant de l’importance de la vérité, de se sentir bien dans sa peau et de la loyauté envers les amis, le tout saupoudré du concept de faux héros. Les gags s’enchaînent avec rythme dans la première partie, mais deviennent vite répétitifs. La parodie de films célèbres et le détournement d’éléments contemporains sont en effet devenus la marque de fabrique de Dreamworks. Fourmiz était relativement discret sur ce point, mais le succès des Shrek est entièrement conçu sur ce canevas. On croise ainsi, dans Gang de Requins, des poissons aux couleurs des taxis new-yorkais, l’emploi de coquillages en guise de téléphones cellulaires, ainsi que des références au Parrain, aux Sopranos, à Ali et aux Dents de la Mer. Ajoutons une longue succession de sponsors publicitaires dont les noms ont été « aqua-modifiés » pour l’effet comique (Coral Cola pour Coca Cola et Gup pour Gap). Les chansons occupent aussi une place importante, mêlant hip-hop et R&B, afin de coller au contexte urbain de ce New York sous-marin et à la personnalité de Will SMITH (Christina AGUILERA et Missy ELLIOT feront une apparition).

Dans la forme comme dans le fond, Shark Tale ne présente donc aucune réelle innovation, comme si le produit final reposait sur le prestige de sa distribution. Reconnaissons que Robert De NIRO côtoyant son réalisateur fétiche, Martin SCORSESE, est une belle surprise, comme, en son temps, le duo Woody ALLEN et Sylvester STALLONE dans Fourmiz. La version française peut elle aussi se vanter d’une belle brochette de vedettes : Eric JUDOR (du duo comique Eric et Ramzy, doubleurs sur Ratz), Ludivine SAGNIER (égérie de François OZON), Virginie LEDOYEN, Patrick TIMSIT et Jean BENGUIGUI, sans oublier la présence essentielle du doubleur attitré de Robert De NIRO, Jacques FRANTZ.

Morale lisse… voir réactionnaire

La prétendue hardiesse de Dreamworks, ses clins d’oeil incessants aux adultes, ne cachent-ils cependant pas une morale bien plus lisse qu’il n’y paraît ?

Malgré l’aspect bon enfant et ses belles valeurs, l’utilisation excessive des clichés a en effet de quoi faire grincer des dents. La Columbus Citizens Foundation s’est ainsi insurgée contre l’abus des stéréotypes ethniques négatifs touchant la communauté italo-américaine (voir http://www.animeland.com/index.php?rub=news&id=420″ target=”_blank” class=”lienvert”>notre news)

Il est vrai que Dreamworks n’a jamais vraiment fait dans la dentelle : on se souvient de la polémique autour de Shrek et sa morale conservatrice voire raciste sur le mélange des beaux et des laids.

Gang de Requins poursuit les allusions suspectes. L’ascension sociale d’Oscar semble démontrer que la communauté noire est destinée à vivre dans la rue, pour des petits boulots ou à devenir un rappeur riche et arrogant ; le comportement « gentil végétarien travesti » de Lenny masque une homosexualité stéréotypée, inavouable parce que dégradante pour les proches (ce qui prouve que la « dégayfication » hollywoodienne n’est pas pour demain). Propagande réactionnaire déguisée ? Coïncidences ? Mauvaises interprétations ? Le doute flotte à nouveau.

Revendiquant depuis ses débuts s’intéresser aux adultes, Dreamworks persiste et signe avec une production grouillante de clins d’oeil, de référence hip-hop destinées aux adolescents, et de cette même impertinence qui donna succès aux Shrek. Malheureusement, sous couvert de morale et d’humanité, on y retrouve aussi les mêmes allusions réactionnaires. Nonobstant ce fait, Gang de Requins n’est pas un mauvais film, mais il ne possède pas les qualités techniques et scénaristiques nécessaires pour rivaliser avec Le monde de Nemo. Et la sortie prochaine de The Incredibles de Pixar risque de le renvoyer très vite dans les abysses.

Gang de Requins, sortie dans les salles françaises le 14 Octobre 2004.

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