Pluto

Robot, humain : même combat

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2003 : l’année de naissance d’Astro dans le manga Tetsuwan Atomu, créé par TEZUKA Osamu. Une sorte d’ «anniversaire» à marquer d’une pierre blanche. Mais comment célébrer l’événement ? Le petit-fils de TEZUKA décide alors de confier, pour une durée limitée (1), l’univers d’Astro à URASAWA Naoki. Ayant entamé sa carrière en 1982, il est devenu depuis le maître du thriller avec des best-sellers comme Monster (en français chez Kana) ou 20th Century Boys (chez Panini). De prime abord, URASAWA ne semble pas être le candidat idéal pour reprendre du TEZUKA (2). Son dessin se caractérise par un côté réaliste et anguleux, là où TEZUKA affiche un trait cartoon tout en rondeur, avec un univers où se mêle noirceur et ambiance étouffante des polars, tandis que le Dieu du manga travaille plutôt des univers fantastiques ou de science-fiction. Mais, URASAWA et TEZUKA ont un commun talent de conteur : leur découpage hors pair donne à leurs manga une tension, un rythme et une efficacité visuelle parfaite. Comme TEZUKA, URASAWA donne aussi à son récit une dimension sociale et symbolique, et crée des personnages complexes, hantés et terriblement humains.

Avec Pluto, URASAWA Naoki n’a pas exploité n’importe quel récit de Astro. Il a ainsi repris une des histoires les plus célèbres de Tetsuwan Atomu : Le Robot le plus puissant du monde (daté de juin 1964), un manga l’ayant fortement marqué. URASAWA s’inspire de cette histoire, mais modifie le point de vue du récit, apportant un éclairage inédit et nouveau sur le sujet. Le jeune URASAWA découvre le récit du Robot le plus puissant au monde, ainsi qu’une autre histoire de Astro, Le soleil artificiel, lorsqu’il a 4 ans. Ces deux manga passionnent le jeune garçon, et il se met dès lors à noircir des cahiers en recopiant les personnages, les signant même du nom de TEZUKA. Considéré aujourd’hui comme un grand nom du manga, on imagine l’excitation d’URASAWA pouvant se confronter directement à une oeuvre du maître (ce que presque personne n’a pu faire (3)), et surtout à celle lui ayant donné le goût du dessin. Le piège évident aurait été de tomber dans l’exercice de citation, de refaire du TEZUKA, et de donner à voir au public un simple pastiche du travail du maître. URASAWA évite l’écueil et décide non seulement de rendre hommage à TEZUKA, mais aussi de donner une nouvelle dimension très «fin de siècle» à Astro.

Les robots et la mort

Le robot Mont-Blanc a été retrouvé assasiné, plongeant dans le deuil l’Humanité. Robot très proche des humains, il avait voué sa vie à la protection des Hommes. L’inspecteur Gesicht, un robot fatigué et déprimé, doit alors retrouver le coupable. Une mission difficile au vu de l’absence d’indices et de la puissance de l’ennemi, vraisemblablement un autre être de métal. Gesicht entreprend alors un voyage pour rencontrer différents robots tous puissants et donc susceptibles de se faire attaquer par l’ennemi. Pendant ce voyage, le robot tueur fait une nouvelle victime…

Ce 1er tome de Pluto a fort à voir avec Monster : on y retrouve la même ambiance, la même tension et cette atmosphère sombre et mélancolique proche des récits d’un John LE CARRE, ou d’un Isaac ASIMOV. Un crime a été commis, un crime de robot. Certains les méprisent, d’autres les révèrent. Dans Pluto, on trouve des robots à l’apparence humaine, dont le comportement se fait plus humain au fur et à mesure de leurs contacts avec l’Homme, mais aussi des robots à l’apparence plus archaïque, modèles dépassés mais encore en circulation. Un robot ne peut blesser un être humain, mais il peut par contre tuer un autre robot (respectant en cela les 3 lois de la robotique édictée Isaac ASIMOV). Esclaves serviles, ils sont employés pour faire la guerre, mais aussi servir et protéger. Cela ne les empêche pas d’avoir des enfants (!), d’être heureux ou malheureux, et même de rêver.

La problématique soulevée par URASAWA est exactement celle traversant depuis deux décennies la bande dessinée américaine : l’âge d’or de l’héroïsme est-il révolu ? Dans Whatever happened to the Man of Tomorrow (inédit en France), Alan MOORE analysait ce qui se passerait dans le monde de Superman si la mort entrait en jeu. Dans Judgement Day (chez Panini), il dénonçait l’état de déliquescence moral dans lequel l’univers de la BD américaine s’aventurait, en faisant l’apologie d’une époque révolue, celle des années 50 et 60. Brian M. BENDIS, à travers Powers (chez Sémic), livre un comics très proche de Pluto en plaçant des super-héros dans un environnement réaliste, les confrontant aux questions de sexe, d’argent et de drogue. À travers ces grandes oeuvres de la BD américaine se dégage un parfum terriblement mélancolique, et les protagonistes de s’interroger : « N’était-ce pas plus beau avant ? »

URASAWA s’inscrit dans cette même réflexion : les obsèques de Mont-Blanc évoquent celles d’un Superman mort pour l’humanité. Ici, le ton est devenu plus grave que dans le Astro de TEZUKA : le graphisme froid de URASAWA tranche avec le graphisme enfantin de TEZUKA, donnant au récit une tonalité terriblement adulte. La mort se vit de manière violente, implacable, les robots souffrent… On a l’impression qu’URASAWA livre son travail tenant compte du fait que TEZUKA soit mort. Le père de la BD japonaise parti, on ne trouve plus cet humanisme si touchant, ni ce message de paix et d’espoir venant rassurer. Cette fois-ci, on se trouve dans un monde où les héros sont morts. Mont-Blanc était le dernier et ceux que Gesicht croise sur sa route ne veulent plus se battre, ils ont rangé les armes. Même le petit Astro, traumatisé par la grande guerre à laquelle il a participé, n’a plus le panache d’antan.

Guerre et Paix

Ainsi, Pluto a beau s’inscrire dans un récit déjà consommé de TEZUKA, URASAWA le reprend à zéro. Pluto n’est donc pas la suite de Tetsuwan Atomu, ni un simple remake, mais s’affirme finalement comme une histoire parallèle à ce dernier. L’auteur de Monster a créé une version sombre et mélancolique du classique de TEZUKA, traversée par ses propres obsessions pour l’espionnage, le mystère et les mensonges. Ce 1er tome de Pluto s’avère donc une réussite exemplaire. Allons plus loin, il nous a bouleversé. L’émotion est palpable : les visages, les paroles, les mimiques… tout concourt à toucher un lecteur connaissant, ou ne connaissant pas, Tetsuwan Atomu… On ne sait pas encore combien de volumes comptera Pluto. Espérons qu’il s’agira d’une oeuvre courte tant la qualité de ce premier tome se révèle immense : nous ne voudrions pas nous sentir déçus après un départ si parfait.

Pluto, manga publié depuis septembre 2003 dans le Big Comic Original de chez Shogakukan. Aucun tome édité en recueil pour l’instant.

Remerciements à Nathalie B., Stéphane FERRAND, Xavier HEBERT et SATO Naomiki

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