Surprenant et doté d’un background suffisamment bien gratté pour nous entraîner dans sa lecture, Ajin a rapidement fait son trou en France lors de sa sortie. Ce 4e tome assoit un peu plus la supériorité du titre dans sa catégorie.
Kei Nagai nous avait quittés au beau milieu de sa fuite, échappant de peu à Sato alors que Tosaki peinait à se montrer convaincant dans sa chasse aux Ajin. La suite nous place donc au cœur de la réunion donnée par Sato à tous les Ajin voulant revendiquer leurs droits.
Soucieux, bien évidemment, de ne vous livrer aucune information sur la suite des événements, nous pouvons clairement affirmer qu’Ajin possède une trame scénaristique des plus excitantes. Pour la simple raison que Gamon Sakurai et Tsuina Miura cherchent à complexifier la moindre action de leur récit. L’exemple de ce meeting entre Ajin est parlant, tant il vous sera impossible de prédire son issue. La source de cette surprise constante est à trouver dans l’ambition de ses auteurs. Une exigence qu’ils placent tant dans le fond que sur la forme. Mais ça, nous y reviendrons plus tard.
Pour poursuivre sur la construction scénaristique d’Ajin, disons que Tsuina Miura voit en chaque individu une volonté propre et non pas un élément appartenant à un camp. D’un simple refus d’un personnage né un fait; de ce fait né un passif, et de ce passif peut découler une réaction : un effet domino particulièrement bien ficelé, donnant un véritable réalisme à l’ensemble (quelques phrases ne suffisent pas à générer une motivation ou survoler une situation). Un personnage n’est jamais bon ou mauvais parce qu’on le dit ou le raconte, mais parce qu’on le montre.C’est en ce point qu’Ajin touche au but, sans jamais s’effacer quand il s’agit de légitimer un comportement. D’autant que ce sont davantage les échecs, plutôt que les victoires, qui font avancer la trame.
Concrètement, et alors que les Ajin semblent se réunir pour ne former qu’un clan, en opposition aux humains et à l’Etat, Miura ne se facilite pas la tâche et divise les clans. Ainsi, Sato ne représente personne si ce n’est lui et ses quelques partisans. A l’inverse, les décisions que prennent Kei, le personnage principal, sont des plus inattendues, mais justifiées, ouvrant d’immenses possibilités à l’histoire. De ce fait, et c’est souvent ce qui fait la différence avec les très grands manga, il apparaît presque impossible de deviner la suite des événements. Non pas par ce qu’ils sont déroutants, mais par ce qu’ils répondent à la complexité de chaque composante de l’histoire. Excitant.
Dans cette ambiance noire hyper-réaliste dans laquelle la SF s’immisce à merveille car bien dosée, Ajin profite en plus de la maestria de son auteur en matière de dessin. Sakurai ne fait pas de surenchère, ne rajoute que peu d’effet, faisant surtout valoir sa maîtrise de l’anatomie et la variété de son design. Rappelant parfois les fish-eye de Kim Jung Gi, Sakurai joue là aussi la carte de l’ambition. Plan très large d’une ville, caméra placée sur une épaule ou embarquée, vue en contre-plongée… la palette technique est large et rodée. Sa façon de gérer les espaces étroits est un régal. On sent clairement que l’auteur n’a fait aucune concession sur ses Nemu(1), découpant ses planches à la façon d’un storyboard, jonglant parfaitement avec le tempo. Nous pourrions citer plusieurs scènes particulièrement réussies (la dernière, dans l’avion, sans bruit, est formidable). Surtout, le “jeu d’acteur” que le mangaka donne à ses personnages est bluffant, comme sur le dernier interrogatoire mené par Tosaki (avec un jeu de mains saisissant).
En quelques mots, Ajin avance, allant de plus en plus haut. Le titre montre une ambition folle dans son récit et s’accompagne d’une mise en page immersive au possible. Alors oui, Gamon Sakurai et Tsuina Miura n’inventent rien dans le fond, mais ils continuent de rester fidèles à leur idée : celle de réaliser un seinen intense, vivant, bien écrit, et dont l’action fait bien mieux que la plupart des titres dédiés au genre. Parfois, l’originalité ne s’exprime pas aux travers des idées mais dans la façon de les amener. Prenez Kill Bill, qui se présente comme une classique histoire de vengeance. Son traitement, en revanche, est des plus génial. Ne voyez pas en Ajin un manga made in Tarantino, mais dans la volonté d’être marquant, il y a un peu de ça.
(1) Nemu : brouillon préparatoire d’une page de manga
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Graphisme9
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Scénario8,5
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Originalité7,5
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Audace8
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Découpage9,5
- AuteursGamon Sakurai (mangaka) / Tsuina Miura (scénariste)
- Editeur VFGlénat
- Editeur VOKôdansha
- PrépublicationGood! Afternoon
- GenreAction, SF,
- TypeSeinen
- Date de sortie3 février
- Prix7,60 €
- Nombre de pages194
- Impression130 mm x 180 mm noir et blanc
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