Arnaud DEMUYNCK

L’animation est une mine d’or d’expressivité

0

Dans ce court en noir et blanc d’une sobriété graphique étonnante, une jeune femme, veuve, part se suicider au bord d’une falaise. Mais la vie, plus forte, ressurgit. Soudain sous l’emprise de la danse, elle se libère de son désespoir, et renaît.

Le réalisateur de Signes de vie, Arnaud DEMUYNCK, était venu accompagner le film, son second en tant que metteur en scène, mais sa première oeuvre en animation. DEMUYNCK est aussi un scénariste et un producteur aguerri, qui depuis 1991, parvient à donner corps à nombre de projets nés en Belgique et dans le Nord de la France. Après avoir produit principalement des films documentaires et de fiction, il se consacre depuis 2001 à l’animation, qu’il promeut avec énergie. Rencontre avec cet homme-orchestre qui est aussi un réalisateur passionné.

De la production à la réalisation

« Après des études de commerce et de cinéma, je me suis lancé dans la production en 1991. Avec les cinéastes que je produisais, nous avions une sorte de deal moral : je produisais leurs oeuvres, et eux réalisaient mes scénarios. Mais comme ils écrivaient aussi leurs propres scénarios, ils n’étaient plus disponibles pour les miens. Après 25 courts métrages en tant que producteur, j’ai estimé avoir suffisamment d’expérience sur la façon dont se faisait un film pour me lancer. J’ai donc réalisé l’Ecluse en 2000, un court de fiction en prises de vue réelle, avec le chorégraphe Cyril VIALLON. Suite à ce film, mon travail a changé. Je commençais à m’épuiser dans la fiction, notamment pour des raisons matérielles, et comme j’aime beaucoup l’animation et qu’il n’y a personne qui s’y attelle en Belgique et dans le Nord Pas-de-Calais alors qu’il y a là une énorme richesse en traditions graphiques j’ai monté mon studio, et créé une famille. Depuis 2001, je me consacre exclusivement à l’animation, alors que je suis un très piètre dessinateur, et c’est un euphémisme, car je ne sais pas dessiner !»

Une famille de créateurs

« Mon but est de créer une famille d’auteurs-réalisateurs qui soient aussi techniciens en animation, pour pouvoir travailler sur les films les uns et des autres, comme assistant, réalisateur, décorateur… Ca permet de vivre du court d’animation d’auteur. C’est possible dans des conditions extrêmes, parce qu’on travaille comme des fous, et qu’on est passionnés ! Aux gens qui intègrent la structure, je dis : « Ne vous inquiétez pas de la production, c’est mon boulot. Vous êtes le studio », même si je suis très impliqué dans la création. On développe même notre propre logiciel d’animation depuis Square Couine (2002), et chaque film permet de le faire évoluer, en partenariat avec la société Digital Graphics. »

Fiction et animation

« En fiction, je rencontre moins de cinéastes qui ont le talent de triturer la réalité pour se l’approprier. En animation, l’idée peut venir du graphisme, qui est généralement très personnel, et l’artiste crée aussitôt quelque chose qui lui est propre. L’animation est, pour cette raison, une mine d’or d’expressivité. »

Signes de vie, un film « inspiré »

« N’étant pas dessinateur, musicien, ou chorégraphe, je m’entoure de gens qui m’enrichissent de leurs talents. J’aime beaucoup le spectacle vivant, théâtre et danse. Pour Signes de vie, tout est parti d’un spectacle de Cyril VIALLON, intitulé Les petits riens, dans lequel il y avait une séquence autour du relâchement du corps. Ca m’a touché : j’étais en train de perdre mon père, ça m’a aussi rappelé la mort d’une amie. Avec VIALLON, nous avons retravaillé sa chorégraphie en fonction de l’histoire et d’un découpage particulier. Concernant l’écriture, c’est la lecture d’Henri MICHAUX (1) qui m’a poussé dans cette voie : en lisant Misérable miracle et Connaissances par les gouffres, j’ai découvert qu’il était possible de faire sortir de moi des choses par l’écriture, pour, ensuite, construire. C’est un des poèmes graphiques de MICHAUX, Mouvement, inspiré d’idéogrammes chinois, qui est à l’origine visuelle de Signes de vie. Comme autres références, il y a l’auteur de bande dessinée Edmond BAUDOIN, dont j’avais adoré Le Voyage (2). Ses personnages ont quelque chose d’éthéré, comme peints à l’encre de Chine, et il y a de la danse dans certains de ses albums. Bien sûr, d’autres influences viennent de loin, comme la lecture, il y a longtemps, de La petite Roque, de MAUPASSANT. Dans cette nouvelle, le maire d’un village, après avoir commis un crime pédophile, tente de se suicider en se jetant d’une falaise. Mais la rosée, le vent, la nature, lui font prendre conscience de son envie de vivre. Dans Signes de vie, il y a ce même sursaut. A ces influences littéraires, picturales, narratives, s’ajoute la musique. D’où la présence dans le film du chant, accompagné d’un violoncelle, interprétant le Nisi Dominus de VIVALDI. Je voulais créer un couple : le brouillard représente l’homme et prend la voix du violoncelle, et le chant figure la femme.»

Le choix du noir et blanc

« Au départ, pour restituer le passage d’un désir morbide à un désir de vie, je voulais aller du bleu vers le rouge. Mais ça risquait d’être kitsch. J’ai donc tenté le passage de l’obscurité à la lumière, en adéquation avec les idéogrammes chinois de MICHAUX, de noir sur blanc. Plus que sur la couleur, c’est sur la matière que nous avons travaillée, à travers les décors. Le décorateur a donné une vibration, un frémissement à la nature, via le brouillard, le feuillage, le vent. »

Une épure graphique

« Il s’agissait de réaliser quelque chose de fort au niveau du sens, mais sans en mettre plein la vue. Le sujet du deuil impose la sobriété, la retenue. Il y a un respect de la douleur, avant d’arriver à la danse. D’où la grande différence entre la partie fictionnelle, réaliste, et la partie dansée, qui est dans l’épure. Le personnage aussi est dans la sobriété, on ne voit de son profil que l’arrête du nez, les cheveux et le bout de sa lèvre. Il fallait de l’intime, de la simplicité, qu’on soit dans l’essence de la personne et des choses.»

L’expressivité du personnage

« C’est par la danse que la femme endeuillée exprime ce qu’elle ressent. Dans la chorégraphie, elle se bat un moment contre le vent. Puis elle adopte une position foetale, et finit par renaître. Le désir de vivre est érotique, sensuel : le brouillard qui tourne autour d’elle, la caresse, l’invite à la vie. »

La recherche du mouvement

« A partir d’Henri MICHAUX comme référence, les animateurs ont visionné la vidéodanse qu’on avait filmée, où un homme, incarnant le brouillard, dansait avec une femme, puis ils ont dessiné les poses-clés. Les derniers dessins sont très beaux ; aussi n’a-t-on pas respecté la chronologie du récit, afin qu’on ne puisse pas déceler l’évolution constante du dessin. En découvrant le film, Cyril VIALLON a dit avoir vu ce qu’il ressent lorsqu’il danse : n’être plus qu’un mouvement, une ligne de force, ne plus être un corps. Je pense qu’on est parvenu à travers le dessin à quelque chose d’essentiel au mouvement. »

Influences japonaises ?

« L’animation japonaise n’est pas du tout dans mes références, mais l’animateur Gabriel JACQUEL, notamment, est un passionné. Les japonais sont maîtres dans l’art d’exprimer des choses dans le non-mouvement : ils parviennent à donner une grande émotion à une pose dans l’instant. Dans Signes de vie, la femme est parfois immobile, à des moments graves et intenses. Il y a un dialogue entre mouvement et non-mouvement, car les 2 sont expressifs à leur manière. Paradoxalement, l’animation de la marche, lente et réaliste, a été très dure. C’est beaucoup plus facile de faire du grotesque, du cartoon, souvent émotionnellement vide. »

Signes de vie à Cannes et à Annecy

« A Cannes, le film était sélectionné dans la Semaine Internationale de la Critique, avec deux autres courts d’animation : L’homme sans ombre, et Ryan, primé dans cette sélection. Lors de la projection, un court métrage passe devant un long. Signes de vie figurait avant Brodeuses, d’Eléonore FAUCHER (3), un très beau film, un film de femme. Elle était heureuse de voir que des hommes car notre staff est entièrement masculin, mais ce n’est pas fait exprès ! fassent un film aussi sensible sur une femme. Et il y a eu un vrai dialogue, lors des projections, avec le public, car le lien entre le court et le long était fort. Nous avons aussi reçu, dans la salle qui le décerne, le prix du public.

À Annecy, l’accueil a été plutôt bon d’après ce qu’on m’a dit, moi je n’ai rien entendu, j’étais trop stressé ! Lors de la séance, Fishes, un ovni, a suivi Signes de vie. Après plusieurs films graves, ça a permis de respirer, tout le monde a ri, c’était génial ! »

Sur Ryan, Cristal d’Annecy 2004

« La 3D est rarement utile et intéressante au niveau émotionnel, mais là, chapeau ! Avoir lié aussi bien le fond et la forme en 3D, c’est très fort. Chris LANDRETH est un cinéaste, un artiste, pas un faiseur. »

Projets de réalisation

« Signes de vie est le 1er volet d’une trilogie d’animation chorégraphique, réalisée avec 3 chorégraphes, une structure narrative et un graphisme différents. Les 3 films seront en noir et blanc, et le propos commun est l’expression d’une libération mentale et physique. Le second traite d’un enfermement carcéral, l’autre psychologique. Ce dernier se situe dans la communauté maghrébine : la danse exprime le désir de libération d’une femme par rapport au voile. C’est très politique ! Avant j’étais tout à fait pour le port du voile, pensant que tout le monde est libre de faire ce qu’il veut, et une de mes amies me l’a reproché. Elle m’a traité d’égoïste, me disant « Tu ne peux pas comprendre que porter le voile n’est pas une liberté mais une obligation, et que si moi je suis devenue une femme épanouie, c’est parce que je suis passée par l’école laïque, et que j’ai pu m’échapper de cette contrainte religieuse. » Ca m’a bouleversé, je m’en voulais de cette paresse intellectuelle, et j’ai voulu faire ce film pour lui répondre. Je veux dire, avec ce film, que la liberté, c’est d’enlever le voile. Dans le scénario, la mère d’une jeune fille ne peut plus le faire, elle n’a plus l’âge. Elle dit à sa fille, à travers la danse, de se libérer, d’avancer, de se battre. La danse est un langage auquel le mari et père ne peut pas répondre, ça sort de son pouvoir. »

Les autres films de Suivez mon regard en cliquant ici

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur