L’originalité du talent d’Hugues MICOL nous avait sauté aux yeux il y a quelques années déjà avec Chiquito la muerte (2 volumes aux éditions Delcourt), réalisé sur un scénario de Jean-Louis CAPRON. MICOL y dépeignait un far-west chaotique et flamboyant, par la biais d’un dessin instinctif et nerveux, porté directement sur la planche sans crayonnés préalables, surprenant plus d’un lecteur à l’époque. Même technique pour son album suivant (entamé en réalité quelques années auparavant), l’énigmatique « 3 » (éditions Cornélius), un polar complètement déjanté, entièrement muet et improvisé tant au niveau du dessin que du scénario , le tout mâtiné de références visuelles au cinéma de Hong Kong. Que nous réservait-il ensuite ? Arrivant là où on ne l’attendait pas, MICOL nous revient avec une série ancrée dans le Japon des samouraï, intitulée Les Contes du 7e souffle (Vents d’Ouest), réalisée en collaboration avec le scénariste Eric ADAM et a priori destinée à un plus vaste public que ses albums précédents. Se serait-il assagi ? Pas sûr. Continuant sa fructueuse collaboration avec CAPRON dans le magazine Ferraille, avec une série animalière trash intitulé , MICOL creuse avec Les Contes du 7e souffle sa technique de dessin particulière, au service ici de la découverte d’un époque fascinante : le Japon médiéval. L’occasion rêvée de revenir avec lui sur son parcours, et les raisons qui l’ont poussé à explorer ce nouvel univers.
Les premiers pas en bande dessinée
Chiquito la muerte, mon premier album de BD, date de 1999. « 3 » est plus ancien, je l’ai réalisé en 1997, mais l’album n’est paru qu’après Chiquito, en 2001. A l’époque de « 3 », je faisais beaucoup d’illustration, et je ne connaissais pas du tout le monde de la BD. J’en lisais pourtant énormément à l’adolescence, mais après, je ne sais pas pourquoi, j’ai décroché. Il faut dire que j’ai suivi les cours de l’Ecole des Arts Décoratifs, à une époque où la BD n’était plus du tout “tendance”. Je n’avais pas conscience des évolutions récentes du milieu, avec des éditeurs comme L’Association, Amok, Cornélius… etc. J’ai envoyé « 3 » au hasard, à plusieurs éditeurs différents, et c’est Cornélius qui a accepté de le publier. En fait, avant ça, j’avais d’abord fait un certain nombre d’essais, dans un style plus proche de la BD “commerciale”. Mais je trouvais que ça ne fonctionnait pas, j’en ai eu assez et je me suis amusé à faire « 3 » : une histoire sans texte, complètement improvisée. Je ne connaissais pas les éditeurs susceptibles de publier ce genre d’histoire, donc je pensais que ça ne servait à rien de le faire, mais au moins ça m’amusait de la dessiner. Et puis ça a marché et, à partir de là, les choses se sont enchaînées assez facilement.
Les années d’apprentissage
Avant de faire de la BD, j’ai fait un peu tout et n’importe quoi. J’ai travaillé un peu pour Nathan jeunesse, ou pour des agences de communication. J’ai fait aussi beaucoup de boulots un peu merdiques, du genre un storyboard pour un film d’Ariel ZEITOUN, avec NAGUI, qui a fait un bide monstrueux. C’était un cauchemar… J’ai aussi fait un storyboard pour un spectacle de Muriel HERMINE. Tu imagines mon style de dessin avec celui des ballets aquatiques ? Je me suis retrouvé à faire un certain nombre de trucs foireux dans ce style-là. Mais en même temps, j’étais à bonne école. Après ça, être payé peut-être pas grassement mais pour faire des BD, pour lesquelles tu es complètement libre, c’est un luxe incroyable. Après une bonne dizaine d’années de galères, de plans bizarres derrière toi, tu savoures d’autant plus d’avoir ton petit atelier, 6 mois devant toi pour faire un album… Le rêve ! J’ai fait aussi beaucoup de décoration pour des fêtes, du dessin de mode… etc. J’ai finalement touché à plein de domaines différents. Et comme à chaque fois c’était totalement nouveau, ça m’a permis de rebondir sans cesse, et d’apprendre à mieux dessiner. Maintenant, grâce à toutes ces années de galères, je pense que, graphiquement et professionnellement, je peux faire face à pas mal de situations.
Une technique de dessin particulière
Je dessine directement à l’encre, c’est-à-dire que je ne fais pas de crayonné. C’est vrai que l’on voit ça assez rarement. Lorsque j’ai fait mes premiers essais en BD, je faisais les choses de manière classique, le crayonné puis l’encrage, mais je trouvais ça laid, ça ne me convenait pas du tout. Je crois surtout que ça m’ennuyait de faire deux fois de suite le même dessin. Faire l’encrage directement, ça me permet de donner de la vie aux personnages, et de rester concentré sur ce que je fais. Quand ton crayonné est bien fait, l’encrage n’est que du décalquage, ça fige le dessin. Quand tu procèdes comme je le fais, tu dois rester très concentré, le premier dessin doit être le bon, tu n’as pas le droit de te tromper. La pratique du dessin pour moi, c’est vraiment l’expérience d’une concentration à l’état pur. Je suis très nerveux quand je travaille, car j’ai envie de réussir mon dessin du premier coup. En plus, je suis obligé de me creuser la tête pour corriger les petites erreurs, créant ainsi sans cesse de nouvelles formes, qui peuvent m’amener encore plus loin… En plus comme je travaille en noir et blanc, je peux quand même rafistoler un peu mes dessins avec du tipex. Car il ne faut pas se leurrer, aucune planche ne se fait du premier coup. Il y a des dessins que je refais 10 fois. Ca n’a donc rien de virtuose, c’est juste ma technique.
Le cas « 3 »
Pour cet album, j’étais en improvisation totale, aussi bien au niveau du dessin que du scénario. C’était complètement fou, mais ça reste un très bon souvenir. J’ai fait l’album en trois mois, à raison de quelque chose comme six planches par jour. J’étais jeune, je n’avais aucune influence en BD, et je ne connaissais pas du tout le monde de l’édition, donc j’étais totalement libre de faire ce que je voulais. Après, une fois que tu as été publié, c’est beaucoup plus dur de retrouver cet état d’esprit. Tu te dis que si tu fais ci ou ça, l’éditeur ne va pas être d’accord, et c’est finalement une forme d’autocensure qui s’installe. C’est ça le plus dur : récupérer sa confiance et se dire : “je fais ce qui me plaît et point à la ligne !” Mon problème c’est que j’adore les histoires où on ne comprend rien (rires). Et alors là, avec « 3 », les gens ont été servis ! C’est vrai qu’il n’y a strictement aucune explication, et à cause de ça il y a eu un véritable blocage. L’accueil des libraires a été catastrophique, ils ne comprenaient pas : “Qu’est ce que c’est ? Pourquoi est-ce qu’il y a des gens qui volent ?” Expliquer, toujours expliquer… Moi j’aime les histoires fondamentalement invendables, c’est comme ça. Enfin ce n’est pas tout à fait vrai, car ce que j’aime aussi dans la BD, c’est de pouvoir faire des choses un peu plus grand public, comme avec Les Contes du 7e souffle.
Les Contes du 7e souffle
J’avais juste envie de dessiner une histoire avec des samouraï. Je pense qu’on a de la chance d’avoir la bande dessinée pour ça. Si tu veux réaliser un film ou écrire un roman qui se passe dans le Japon médiéval, il est très difficile de rendre ça crédible. Alors qu’en BD ça paraît normal, pas trop étrange. Note que quand OTOMO est venu à Angoulême au début de l’année, mon éditeur lui a montré l’album et il a éclaté de rire ! Je ne sais pas très bien comment je dois prendre ça (rires)… En tous cas, c’est très amusant de dessiner le Japon à ma sauce. Je me documente beaucoup, mais après, le plus dur c’est de s’approprier tout ça, de ne pas avoir le livre de référence à côté de toi à chaque fois que tu portes un dessin. J’ai fait beaucoup d’essais avant de me lancer dans ce projet. Au départ je voulais le réaliser seul, mais je n’arrivai pas à écrire le scénario. J’ai alors rencontré Eric ADAM (le scénariste. NDLR), et on a parlé de faire un album ensemble. Je lui ai expliqué ce que j’aimais, et il m’a dit : “le Japon, pourquoi pas ?” Du coup, comme j’avais déjà fait énormément de croquis sur le sujet, on a pu partir là-dessus assez rapidement.
Le Japon
Je ne sais pas très bien pourquoi ça m’est revenu tout d’un coup. En fait je pense que c’est surtout à cause des films de KUROSAWA, Les 7 samouraï surtout, qui est vraiment le film de mon enfance. Et puis à cause des estampes aussi. J’ai essayé de m’en inspirer, pour les scènes de la vie quotidienne notamment. Je crois que j’aime beaucoup les estampes parce que, graphiquement, ça ne me ressemble pas du tout. J’ai un côté un peu brut, expressionniste, tout le contraire de ce raffinement japonais, que j’admire énormément. En plus, dans cette culture, tout a l’air simple et pourtant tout est très pensé. Rien que les sandales, par exemple. Au départ tu n’y fais pas attention, c’est juste un détail, et après il faut les dessiner, donc les comprendre. Or, que ce soient les noeuds des sandales, les meubles ou n’importe quel objet de la vie quotidienne, tout est extrêmement complexe, extrêmement bien conçu. J’aimerais arriver petit à petit à bien maîtriser tout ça. Le but c’est de comprendre comment ça marche et ensuite de l’interpréter. Mais c’est très dur, c’est tellement bien fichu que quand tu essayes d’inventer, c’est forcément moins beau que dans la réalité. En plus, ça me calme de travailler sur le Japon. Je pense que si je faisais une BD dans laquelle mon côté expressionniste se révélerait plus, ça deviendrait sans doute vite un peu vulgaire. Alors que là, à force de décrire des choses raffinées, ça m’oblige à épurer mon dessin, à ne pas trop me complaire dans mes habitudes. Résultat, je mets plus de temps pour dessiner, et, par moments, il faut que je crayonne un peu, notamment dès qu’il s’agit d’architecture. Une pagode en perspective, il faut me croire, c’est un cauchemar (rires) !
Les visages et les corps
Pour ce qui concerne les visages, j’essaie maintenant d’aller vers de plus en plus de simplicité, pour qu’on les reconnaisse bien. Tout le monde a pigé ça aujourd’hui. Moi, ça m’est venu grâce au travail de SFAR (Grand Vampire) ou de BLAIN (Isaac le pirate). Ils rusent beaucoup là-dessus. Isaac le pirate, par exemple, est un personnage très simple, que l’on reconnaît immédiatement. Alors que quand tu utilises un trait réaliste, comme je l’ai fait dans Chiquito la muerte, c’est plus difficile, il faut que le personnage soit exactement identique sur chaque image pour qu’on le reconnaisse à coup sûr. Avec un visage simple, c’est plus facile. Et puis pour les femmes des Contes du 7e souffle, c’était en quelque sorte imposé, en référence aux visages d’estampes qui sont si simples et si beaux. Quant au héros, j’aimerais que son visage ressemble de plus en plus à un masque, qu’il soit extrêmement stylisé. Cela dit, si je me réfère à mes influences japonaises, il y a d’un côté les estampes, qui sont très épurées, et, à l’inverse, les films de KUROSAWA qui sont totalement expressionnistes, en noir et blanc, avec des “gueules” magnifiques. C’est pour ça que de temps en temps je me fais plaisir avec un gros plan un peu fouillé. En plus, il faut comprendre les corps aussi. Les Japonais n’ont pas la même corpulence que nous. Les hommes ont les jambes arquées, et la moyenne de la taille au 19e siècle était d’1 mètre 30. Travailler là-dessus me passionne.
La gestuelle des combats
Je m’inspire principalement des films, mais j’ai parfaitement conscience que je fais beaucoup d’erreurs. De temps en temps, en dédicace, je rencontre des lecteurs qui font du Kendo, et qui repèrent toutes mes fautes. D’ailleurs tous ces acteurs japonais, comme MIFUNE Toshiro par exemple, étaient de grands escrimeurs. Dans les films, les combats sont magnifiques : ça dure 15 secondes, il y a 40 morts, et le tout est un véritable ballet. Quand on regarde ça au ralenti, et on a l’impression que ce n’est qu’un seul mouvement, un seul geste. Et rendre ça en dessin, ma foi, ce n’est pas évident… Tu es forcément obligé de le tirer un peu vers le kung-fu. Pour moi, l’idéal c’est de faire une image très statique, mais en même temps, que l’on sente le mouvement (cf. le dessin de couverture du volume 1. NDLR). Je pense qu’il est tout à fait possible de capter le mouvement dans une image dessinée, sans ces “béquilles” que sont les petits traits, les lignes de vitesse. Par moments, j’y arrive un peu. C’est dans le pli des vêtements, des muscles que tout se joue, que l’on peut arriver à faire ressortir ça. En tout cas, c’est ma quête, la “mission” que je me suis fixée. Pour me documenter, je prends en photo les films sur ma télévision, mais sans faire d’arrêt sur image, comme si j’étais en reportage. Et ça donne souvent des images très surprenantes, avec des plis de kimono étranges, des mouvements qui semblent anti-naturels. Et ce sont ces images-là qui permettent le mieux de restituer le mouvement.
Les couleurs
Ce n’est pas moi qui les ai faites. A la base, je voulais faire l’album en couleurs directes, mais c’était trop compliqué, ça représentait trop de travail. En plus, comme j’ai un naturel urbain, je ne connais pas bien la campagne. J’aurais eu beaucoup de mal avec les paysages japonais, je pense que j’y serais encore. Le seul problème, quand tu ne fais pas la couleur toi-même, c’est qu’il faut prévoir un peu ton dessin pour la mise en couleurs, sinon ça fait ressortir les défauts de perspective. Il faut notamment délimiter les formes au maximum, pour bien afficher l’espace. Sinon, je fais une totale confiance à ma coloriste. Je lui ai juste prêté recueils d’estampes pour qu’elle s’en inspire. Et puis j’estime que c’est son boulot. Au début je lui avais donné quelques indications, et elle a fait une page complètement ratée parce qu’elle les avait suivies à la lettre. Depuis, je la laisse faire, elle connaît mieux son boulot que moi. Au départ, j’avais pensé à des couleurs dans le style des estampes, dans des tons pastel, mais ça ne passait pas du tout. Comme je mets beaucoup de noir, le clair ça n’est pas très joli, il faut absolument des couleurs sombres. Par contre, je lui ai dit de simplifier un peu, de ne pas mettre trop d’ombre sur les visages, pour garder le côté un peu “plat” de l’estampe. Par ailleurs, elle choisit des tons vraiment bien vus, auxquels moi je ne penserais pas. J’aime bien être surpris.
Les Contes du 7e souffle, dessin de Hugues MICOL et scénario de Eric ADAM.Couleurs de Véronique DOREY. Vents d’ouest, collection Equinoxe, 2 tomes parus.
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