Les dix premières minutes d’Harmagedon sont éprouvantes : une hideuse sorcière à la peau bleue prophétise l’apocalypse en gigotant dans un Tôkyô désert. Cette apparition est d’autant plus incongrue que ce personnage n’a rien à voir avec l’histoire ; on ne le reverra que le temps d’un très court plan, 1 heure 30 plus tard. Mais passons… Nous découvrons ensuite la princesse Luna de Transylvanie (?), à bord d’un avion, qui pressent un grand malheur. Et pour cause, son avion explose en vol. Elle est sauvée dans sa chute par Froi, une entité omnisciente, qui lui révèle l’imminence de l’arrivée sur terre de Genma, une entité maléfique qui n’a qu’un mot à son vocabulaire : “Destruction !”. Luna est promue “Guerrière psychique” et Froi lui adjoint les services d’un robot venu du fond des âges, Vega. Fin du prologue.
Nous faisons ensuite la connaissance de Jyo, lycéen taciturne et mal dans sa peau. Traqué par Vega (qui cherche en fait à révéler les pouvoirs qui sont en lui), il devient lui aussi un Guerrier psychique. Tout ce passage (la description de Jyo, son errance de cauchemar à travers la ville jusqu’à la révélation et la maîtrise de ses pouvoirs) constitue le meilleur du film, tant visuellement qu’au niveau du récit. C’est ensuite que ça se gâte sérieusement. Changement de décor. A New-York, un gamin, chef de bande, qui maîtrise déjà des pouvoirs psychiques, est attaqué par Genma. La ville est dévastée, mais Luna, Vega et Jyo arrivent à la rescousse, ainsi que d’autres Guerriers psychiques venus des quatre coins du monde. Mais pendant ce temps, des démons de Genma se sont attaqués à Tôkyô… On se désintéresse complètement de la fin qui voit la victoire des Guerriers psychiques sur Genma grâce au sacrifice de Vega. Ouf ! 2 heures 15 !
Bien sûr, il est facile de juger le film a posteriori en connaissant le parcours des deux hommes ; il faut aussi prendre en compte l’évolution technique de l’animation depuis vingt ans. Mais quand méme… Harmagedon porte à peine la marque de ses auteurs. Et quels auteurs pourtant ! OTOMO est le créateur d’Akira, qui nous a fait découvrir le manga en France, et également un grand réalisateur d’animation. Il a à son actif l’adaptation animée d’Akira et des sketchs dans les oeuvres collectives Memories, Robot Carnival et Manie-manie. RIN TARO a une filmographie extrêmement prolifique, mal connue en France, qui alterne oeuvres personnelles (Kamui, le premier sketch de Manie-manie) et de commande (X d’après CLAMP), toujours avec la même créativité. Les deux hommes sont, avec KAWAJIRI, les piliers du studio Madhouse. La qualité des sketchs de Manie-manie (disponible en France chez le même éditeur), qui a seulement 4 ans de moins que Harmagedon, laissait beaucoup espérer pour ce dernier. RIN TARO y assure la réalisation et OTOMO les character et mecha design. A leur décharge, l’histoire n’est pas d’eux, mais tirée d’un manga, lui-même adapté d’un roman. On est par contre surpris de l’échec visuel du film… On ne reconnaît quasiment pas les personnages d’OTOMO, à part les enfants et peut-être les yeux des personnages. Quant au mecha design, il est inexistant : il n’y a aucune machine dans le film. A part Vega le robot, qui n’est absolument pas caractéristique du dessin d’OTOMO et semble dessiné par DRUILLET. La mise en scène de RIN TARO manque elle aussi singulièrement de personnalité, hormis dans quelques passages inspirés. Seuls certains effets de ralenti et la rigueur de l’enchaînement des plans semblent caractéristiques de leur auteur. Mais le pire du film est dans la réalisation technique et l’ambiance visuelle.
Ce qui frappe dès le début, c’est la mauvaise qualité de l’animation et des effets visuels. Les personnages se meuvent difficilement et leurs gestes sont caricaturaux. Les visages sont sans relief, sans vie et leur ombrage maladroit. Seule l’animation des objets déplacés par le pouvoir de Jyo est réussie ainsi que celle du dragon dans lequel s’incarne Genma. Les effets visuels comme le crash de l’avion (particulièrement raté), les explosions ou les destructions, font pâle figure. Là encore quelques effets peuvent être sauvés mais l’ensemble est cheap. Harmagedon était-il doté d’un budget important, mais dilué dans la durée, ou est-ce dû à l’âge du film ? Ce qui gêne encore plus, c’est l’ambiance visuelle kitsch, voire carrément de mauvais goût. La couleur de la peau des personnages est atroce (beige-marron le jour, jaune la nuit) et les ambiances lumineuses bleues, rouges, vertes flashantes sont du plus mauvais effet. Quant à Luna, ses habits et sa coiffure semblent tous droits sortis de Jem et les holograms. Le film est un festival d’effets de lumière brillante (les éclairs, les émanations de pouvoir des personnages, les phares, les réverbères, les rayons laser de Vega, les yeux qui brillent… etc) rouge, violet, mauve, jaune fluorescents… Et ceci est sans doute l’oeuvre de RIN TARO dont l’un des tics visuels est précisément ces arabesques de lumières flashy, dont il abuse ici ! La musique est un mélange d’ambiances au synthétiseur et de thèmes orchestraux connus qui accentuent la grandiloquence de certaines scènes. L’ensemble est incohérent, à l’image du film.
On sait peu de choses sur les conditions de production de Harmagadon. Produit par Kadokawa Shoten, il s’agit vraisemblablement d’une oeuvre de commande. Et il en porte les stigmates : le film semble tiraillé entre la fidélité à l’oeuvre originale, avec un côté très commercial, et l’univers des deux auteurs. D’un côté, un scénario basique (le thème est la lutte du Bien contre le Mal. Très original !) aux ressorts faciles, des combats, des monstres, un robot sur-puissant, et même un petit côté Power Rangers (le groupe des guerriers psychiques est constitué d’un représentant de chaque continent). United colors of Harmagedon ? De l’autre, l’univers sombre et fantasmagorique de RIN TARO et OTOMO. Et bizarrement, alors qu’il n’est pas crédité à ce poste, le scénario offre des similitudes avec l’univers du créateur d’Akira. Jyo rappelle Tetsuo, dans le physique comme dans la caractère ; et la prise de conscience de ses pouvoirs s’accompagne du même déchaînement dévastateur et immature, évacuateur de frustrations. La scène où Jyo fait danser autour de lui les objets de sa chambre préfigure Akira. Mais, contrairement à Tetsuo, il apprendra à maîtriser ses pouvoirs et ses pulsions pour les mettre au service du Bien. Le jeune chef de bande qui se fait respecter grâce à ses pouvoirs est une autre incarnation de Tetsuo.
Le tout mâtiné d’influences Tezukiennes mal digérées : Jyo, écoeuré par la mort de sa soeur lors de l’attaque des monstres sur Tokyo, se perd dans la forêt. Il sauve alors un faon dans un incendie. Il prend la tête d’un colonne d’animaux et nous délivre ce message qui tombe comme un béret dans la soupe : “Nous ne formons qu’une méme chose. Nous sommes tous une partie de la vie sur cette planète”…
Résultat : Harmagedon est un film bancal et hétéroclite qui, écartelé entre des volontés et des influences contradictoires, ne satisfait personne.
On a presque envie d’essayer de dédouaner RIN TARO et OTOMO de la piètre qualité de ce long métrage, tant il leur ressemble peu et ne leur rend pas justice. Harmagedon est pourtant à conseiller à ceux qui s’intéressent à l’oeuvre des deux auteurs, car il constitue un jalon dans leur carrière commune. En revanche, le néophyte sera déçu par la piètre qualité intrinsèque du film. Métropolis, leur dernière collaboration en date, en revanche semble être une réussite éclatante. Tiré d’un manga de TEZUKA, lui-même inspiré du film éponyme de Fritz LANG, il est réalisé par RIN TARO sur un scénario d’OTOMO. Il atteint, paraît-il, des sommets de création visuelle, notamment dans la conception des décors et leur animation. Peut-être aurons-nous la chance de le voir en salle en France, ne serait-ce que pour mesurer le chemin parcouru depuis Harmagedon..
Harmagedon © STUDIO MADHOUSE / DYNAMIC VISIONS
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