L’introduction du bouddhisme (538/552 – 645)
L’histoire du Japon ancien, ou royaume du Yamato, ne débute réellement qu’avec l’introduction du bouddhisme, en 538 ou 552 ap. J.-C. selon les sources. Il n’est alors qu’un État aux structures assez primitives, dont la cour est divisée par des rivalités claniques. Il ne domine encore que partiellement les trois îles de Honshu, Kyushu et Shikoku. Pour fortifier son unité et étendre son influence à tout l’archipel, il va s’appuyer, tout en conservant ses spécificités, sur le modèle politique que lui offre la Chine et sur une doctrine religieuse importée : le bouddhisme.
Fondé au VIe siècle av. J.-C., dans le nord-est de l’Inde, par un prince népalais, Siddhartha Gautama (Bouddha) (1), le bouddhisme s’appuie sur une philosophie qui vise à l’extinction du désir, source de souffrances, dans le but d’atteindre l'”éveil” et la suprême félicité (nirvana) permettant de s’affranchir du cycle des réincarnations. Il donne lieu à la création de nombreuses écoles réparties en deux branches principales, nommées le Petit et le Grand Véhicule, et se diffuse dans différentes parties de l’Asie, dont la Chine et la Corée actuelles.
À partir du début du IIe siècle ap. J.-C., la Chine des HAN installe des commanderies et influence grandement la péninsule coréenne. Celle-ci, outre le Mimana (ou pays de Kaya) bientôt conquis par les Japonais d’alors, est divisé en trois royaumes antagonistes : Koguryo, Silla et Paekche. En 538 ou 552, le roi de ce dernier fait partir pour Asuka l’une des premières capitales du Yamato, située près de l’actuelle Nara une mission diplomatique sollicitant l’alliance de son souverain. Le monarque du Paekche envoie notamment une lettre vantant les mérites de la nouvelle religion, des rouleaux de saintes écritures, et une représentation de Bouddha. Malgré cette introduction officielle du bouddhisme au Japon, il y est certainement connu depuis au moins le siècle précédent, amené par des réfugiés coréens, voire chinois ; les mêmes qui ont contribué à la sinisation culturelle croissante de l’archipel. L’esprit de tolérance du bouddhisme s’accorde d’ailleurs bien de la préexistence de croyances locales (shinto), voire favorise les syncrétismes.
Mais son adoption contribue à aggraver au Yamato les rivalités claniques qui opposent les NAKATOMI, prêtres shintoïstes de la cour et les MONONOBE, guerriers favorables aux croyances autochtones, aux SOGA, tenants de la nouvelle religion. Au point que, si certains historiens font des SOGA une famille issue de la plaine du Yamato, d’autres leur attribuent une origine coréenne.
SOGA no Iname, chef des SOGA qui s’est appuyé sur le changement pour accentuer sa puissance, occupe une position dominante équivalente à celle de premier ministre du souverain du Yamato. Il accapare en fait la réalité du pouvoir au profit de son clan, tout en se gardant de remettre en cause l’existence de la dynastie régnante. Un tel schéma politique allait se répéter constamment dans l’histoire du Japon.
Après la mort de YOMEI, monarque du Yamato, et les luttes de succession qui s’ensuivent, SOGA no Umako, fils d’Iname, défait les MONONOBE et les NAKATOMI à la bataille de Shigisan (587). Il fait intrôniser SUSHUN, fils de YOMEI de mère SOGA, puis le fait assassiner et remplacer par une parente, SUIKO. Un certain nombre de femmes vont d’ailleurs ainsi régner jusqu’à la fin du VIIIe siècle. Mais un autre fils de YOMEI, également de mère SOGA, SHOTOKU Taishi (572-622) est nommé prince héritier et régent. Grâce à SHOTOKU, homme politique, saint bouddhiste et lettré familier des classiques chinois, la nouvelle religion renforce ainsi son statut de religion d’État, aux côtés du shinto. Les membres de la cour et de la noblesse clanique s’y rallient en grand nombre. En 593, le premier grand temple bouddhique, le Shitenno-ji ou “temple des Quatre Rois gardiens”, est fondé (actuelle Osaka). D’autres suivront, construits sur des modèles coréens.
Après une longue période de division, l’empire chinois réunifié retrouve à ce moment toute sa magnificence sous la dynastie SUI (581-618), puis leurs successeurs les TANG (618-907). La cour du Yamato va s’inspirer du modèle politique offert par la Chine et échanger avec cette dernière de nombreuses ambassades (600-838) qui entraînent l’arrivée dans l’archipel de moines, d’artistes, d’artisans chinois et de textes bouddhiques.
Dans ses relations avec la Chine, le monarque du Yamato est, pour la première fois, désigné sous le nom de tenno, encore en vigueur aujourd’hui. Plus que l’appellation occidentale d’empereur, il désigne un “Souverain céleste”, assimilé à l’étoile polaire. Entre alors également en usage le mot Nihon (Japon), grosso modo le pays du Soleil levant. Le temps va être désormais mesuré en ères, plusieurs intervenant parfois sous le règne d’un même empereur.
Vers 603-604, SHOTOKU institue à la cour, sur le modèle de la Chine et de sa culture prestigieuse, un système de “rangs” et de fonctions distingués par le port de chapeaux de différentes couleurs. Mais les cadres du système administratif de l’État vont rester plutôt des membres de la grande noblesse clanique acquérant leur fonction par la naissance plutôt que par le mérite comme les mandarins chinois recrutés par concours.
On attribue également à SHOTOKU la promulgation d’une “Constitution en dix-sept articles” inspirée par le confucianisme et le bouddhisme. À sa mort, selon les chroniques japonaises, l’archipel compte “46 monastères, 816 moines et 569 nonnes”. Mais le premier bouddhisme japonais se cantonne aux cercles aristocratiques et aux communautés monastiques. Il ne va se diffuser que lentement parmi le peuple.
Le renforcement du régime impérial (645-710)
Après la mort de SHOTOKU, les SOGA gagnent encore en puissance, se retournant même contre son héritier, qu’ils assassinent. Ils constituent de plus en plus un danger pour la dynastie régnante. Mais ils sont finalement éliminés par une conspiration qui vise à consolider le régime impérial (645). Le coup de force est dirigé par NAKATOMI no Kamatari, dont le clan avait été évincé un temps par les SOGA, et le prince NAKA no Oe. Celui-ci, futur empereur TENCHI, préfère exercer le pouvoir réel en coulisse et laisse pour le moment le trône à son parent KOTOKU (règne : 645-654).
Dès lors, toute une série de réformes et de codes, inspirés de la Chine des TANG, vont être instaurés afin de renforcer l’autorité impériale et de doter le Japon d’un gouvernement centralisé.
Ainsi, les réformes de l’ère Taika (du “Grand Changement”) réaffirment le principe de primauté de l’empereur et de l’appartenance au seul État de la terre et des hommes. Les grandes familles, dont on veut ainsi réduire le pouvoir, doivent se contenter, en principe, de charges de fonctionnaires et de compensations financières.
Une nouvelle organisation administrative et son personnel sont également mis en place. Les régions entourant la capitale forment une circonscription particulière, nommée le Kinai. Le reste des territoires de l’archipel sous la domination de l’empereur forme sept provinces divisées en “pays”, “préfectures” et “villages” de cinquante familles. En outre, le Kyushu connaît une forme de gouvernement militaire particulier.
Une division de la société en classes sociales est fixée : l’aristocratie, le peuple des hommes libres, constitué par la masse des paysans, et les “gens vils” (semmin), descendants d’anciens esclaves.
Une répartition par découpage géométrique des terres, en fonction du nombre de bouches à nourrir par famille, révisée périodiquement par des recensements, est aussi instaurée. Une telle rationalisation vise à optimiser la collecte centralisée de l’impôt, payé en nature, riz et tissu (développement de la sériciculture). Les paysans doivent des corvées à l’État, tâches agricoles et périodes de garde militaire, notamment dans l’est du Honshu, encore insoumis à la cour à l’époque.
Parmi les autres mesures prises sous le règne de KOTOKU pour réduire la puissance de la grande noblesse clanique, un édit interdit la construction de nouvelles tombes monumentales privées (fin des kofun), dont la splendeur portait atteinte au prestige impérial.
Peu après, les relations que le Japon entretenait avec la Corée connaissent une fin brutale car il doit y faire face à une intervention des Chinois et au royaume coréen de Silla. Ce dernier, déjà vainqueur du Mimana en 562, va bientôt réaliser l’unité de la péninsule à son profit. Une flotte japonaise envoyée à l’aide de son rival le Paekche est défaite à la bataille d’Haksukinoe (663) (2). L’empereur TENCHI fait bâtir de nouvelles fortifications dans l’archipel afin de prévenir une éventuelle invasion chinoise.
Aussi, l’établissement d’un pouvoir fort va se poursuivre, sous le règne de TENCHI (662-672) et, après une querelle de succession et la mise au pas de nobles non encore soumis, sous celui de son frère TEMMU (673-686). Les réformes de Taika trouvent des améliorations dans celles du code Taiho (701).
Au tournant du VIIe siècle, le Japon dispose donc d’un gouvernement centralisé, imité des institutions chinoises, dont les caractéristiques vont perdurer très longtemps. À sa tête, se trouve l’empereur et le Grand Conseil d’État, avec son premier ministre et deux ministres, l’un de la Droite et l’autre de la Gauche, chapeautant une administration divisée en huit départements. Bien que le bouddhisme fasse alors figure de religion officielle, la présence d’un département du culte shinto dans les plus hautes sphères de l’État marque cependant la spécificité nationale du Japon.
La période de Nara (710-794)
En 710 est achevé la construction de Heijo (Nara). La nouvelle ville, bâtie sur le modèle de Chang’an, la capitale des TANG, forme presque un carré, avec un palais impérial au nord, une large avenue qui coupe la cité en deux à partir du sud de cet édifice et des rues qui se coupent en angle droit. Elle occupe une position stratégique centrale dans l’archipel facilitant la transmission des ordres et le recouvrement de l’impôt.
Pour la première fois, le Japon se dote d’une capitale qui se veut permanente. Auparavant, les interdits religieux liés à la souillure faisaient changer de capitale après la mort de chaque souverain. Mais les rouages de l’État deviennent trop lourds pour tolérer de continuels déménagements.Les premières pièces de monnaie japonaises, en cuivre, font également leur apparition à ce moment (708).
Le Kojiki et le Nihon Shoki, chroniques achevées respectivement en 712 et 720, assoient la légende nationale de l’origine divine de la dynastie impériale. Les lettrés de la cour écrivent en chinois, langue des intellectuels. Mais une littérature proprement japonaise, utilisant les caractères chinois, commence à se développer avec, notamment, le Man’yoshu, une anthologie de plus de 4500 poèmes d’auteurs appartenant à toutes les couches de la population.
Une grande Statue de Bouddha (Daibutsu) (3) et le temple en bois du Todai-ji devant l’abriter (749-752) sont construits à Nara. L’enceinte de ce dernier accueille également bientôt le “musée” (Shoso-in) des collections de l’empereur SHOMU (règne : 724-749) : des objets précieux venus de Chine, d’Asie mineure, Perse et Inde par la route de la soie. Ce monarque généralise aussi la fondation de temples bouddhiques d’État dans tous les territoires sous son autorité.
Cependant, malgré la nationalisation des terres au siècle précédent, qui visait à réduire la puissance des grandes familles, celles-ci se constituent de vastes domaines exemptés de taxes, du fait du défrichement de nouvelles terres, des donations impériales et de mesures gouvernementales contradictoires. Ainsi, les NAKATOMI, rebaptisés FUJIWARA par faveur impériale d’après le nom d’une éphémère capitale de la fin du VIIe siècle, occupent une place éminente et marient leurs filles aux souverains.Les monastères bouddhiques bénéficient aussi de dons de grands domaines défiscalisés de la part de pieux empereurs et impératrices, constituant de plus en plus un nouveau pouvoir et un danger pour la dynastie en place.
Le phénomène est amplifié par une ordonnance de 743 qui reconnaît la propriété privée à perpétuité des nouveaux territoires, formant des manoirs (shoen), gagnés à l’agriculture par défrichement, notamment dans l’est du Honshu, au dépens des peuples aborigènes.
D’autant que les paysans préfèrent échapper à un impôt impérial trop lourd en se plaçant sous l’autorité des nobles et des institutions religieuses. Par ailleurs, vers la fin du VIIIe siècle, ils voient supprimer leurs corvées militaires. Ce qui va renforcer la formation, avec le temps, d’une nouvelle classe de guerriers professionnels, recrutés parmi les cadets des grandes familles et la petite noblesse.
À Nara, des rivalités opposent six grandes écoles (sectes) bouddhiques, héritières de courants de pensée chinois. Ces divisions sont d’ailleurs entretenues par des bonzes originaires du continent.
Un moine guérisseur appelé DOKYO, Raspoutine de son temps, exerce son ascendant sur une impératrice régnante, fille de SHOMU, mais est banni quand il tente de s’approprier le pouvoir. Il est alors décidé que les femmes ne pourront plus monter sur le trône.
Les empereurs KONIN (règne : 770-781) et KAMMU (règne : 782-806) vont tenter de
réduire la puissance des monastères. Un nouveau déménagement de Nara vers une
autre capitale est même décidé pour échapper à leur influence.
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