Interview : Moto HAGIO

Rencontre avec une grande dame du manga

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Son nom ne vous dit peut-être rien et c’est normal car elle n’avait encore jamais été éditée en France. Pourtant, Moto Hagio fait partie d’une génération de mangaka ayant révolutionné le shôjo manga dans les années 1970. Elle faisait ainsi partie du fameux “Groupe de l’An 24” où se retrouvaient d’autres auteurs féminins de sa génération. Moto Hagio a également signé les premiers manga shônen ai, ayant abouti aujourd’hui au genre yaoi.

Au début de votre carrière, vous dessiniez des shôjo comme tous ceux que l’on pouvait lire dans les magazines. Comment avez-vous fait pour changer de registre et pour convaincre vos éditeurs de faire d’autres choses ? Est-ce que ce fut difficile ?
Il faut d’abord savoir que nombre de dessinatrices de manga avaient alors des carrières pouvant être très courtes. Les plus jeunes commençaient à publier parfois dès quinze ans et il arrivait que certaines mangaka, au bout de quatre ou cinq ans, soient au bout de leur carrière. C’est lié au fait que les lectrices étaient à l’école primaire ou au collège. Les auteurs, elles, étaient d’une génération très proche en âge. Elles partageaint la même sensibilité, puis leurs préoccupations changeaient. Elles arrivaient à un moment où elles ne parvenaient plus à créer de bandes-dessinées.
Moi-même, dans mon travail, vers l’âge de 27-28 ans, j’ai ressenti une distance avec le lectorat de mes histoires. À cette époque, la fin des années 1970, le marché principal du manga était encore un lectorat enfantin. J’ai connu une certains doutes : qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire face à cette réalité ? C’est à ce moment là que les éditions Shôgakukan ont lancé une nouvelle revue (trimestrielle au départ), Petit Flower, qui était adressée à un lectorat plus âgé, plus mûr. On m’a dit que j’étais libre de faire ce que je voulais. Cela m’a permis de me rendre compte qu’il y avait un lectorat important pour une production comme celle-là. Par la suite, les autres éditeurs se sont lancés à leur tour sur ce créneau en créant leurs propres revues. Voilà comment un lectorat féminin adulte a pu trouver aussi des œuvres lui lui étaient adressées. C’est pour cela qu’aujourd’hui encore je publie dans cette revue.

Toutefois, vous êtes allée plus loin puisque vous avez publié des œuvres qui n’étaient même pas destinées à un lectorat spécialement féminin, notamment certains manga de science-fiction qui étaient publiées dans des magazines dédiés à ce thème. Est-ce que ça a été difficile de se sortir de ce lectorat ?
SF Magazine est un magazine lu par des adolescents et des adultes. Je voulais me lancer dans de la véritable science-fiction et donc j’ai contacté les éditeurs de cette revue. Ils m’ont dit qu’ils étaient partants à condition de faire seize pages par mois. Le premier récit que j’ai publié dans ces conditions est Gin no sankaku (Le Triangle d’Argent). Si j’étais restée dans le strict contexte du shôjo manga, je pense que j’aurais rapidement atteint mes limites. Cette opportunité m’a donné une grande liberté d’expression.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire des romances entre hommes ?
Lorsque j’avais la vingtaine, je voyais autour de moi énormément d’allusions autour de ces amours homosexuelles et cela me dépassait complètement. Un jour, un ami m’a emmené voir un film, qui s’intitulait en japonais Kushikusha (Les Amitiés particulières, de Jean Delannoy, NDR), mettant en scène une romance entre des jeunes garçons qui sont logés par l’école. Je m’intéressais particulièrement à la culture européenne à l’époque, j’étais donc heureuse d’aller voir un film français. C’est l’histoire de deux jeunes hommes d’apparence adorable dont la relation va plus loin que de la simple amitié. Cela m’a particulièrement frappée à l’écran.
J’aime beaucoup les écrits de Hermann Hesse (écrivain allemand, NDR) et j’ai perçu quelque chose de similaire dans ses œuvres, une forme de passion, de relation extrêmement pure. C’est précisément pour décrire un sentiment de la plus grande pureté possible que je me suis lancée dans le récit Thomas no shinzô (Le cœur de Thomas). Je me suis rendue compte au cours de ce travail à quel point mettre en scène des relations sentimentales entre des hommes était pour moi quelque chose de facile, de naturel.

D’autres auteurs étrangers comme Lucy Maud Montgomery et James Porter vous ont influencé. Qu’est-ce qui vous plaisait chez eux ?
En fait, il y en a même trois : Montgomery, Porter et Louisa May Alcott étaient très connus et appréciés au Japon à l’époque où j’étais en primaire. C’étaient des classiques. Ils décrivaient un passé un peu éloigné des États-Unis, de l’Europe, avec cette veine très romantique, très élégante. C’est ça qui m’a plu. Il y a des étapes, une progression dans ces romans qui guide le fil du récit. Le personnage principal a un objectif et il va le réaliser.

Au Japon, de plus en plus de femmes se mettent à dessiner du shônen manga et remporte de grands succès : Hiromu Arakawa (FMA), Kazue Katô (Blue Exorcist), Yellow Tanabe (Kekkaishi). Pensez-vous que la catégorisation du genre (shônen, shôjo) va un jour sortir de ces cases, comme vous l’avez fait vous même ?
Aujourd’hui, effectivement, beaucoup de dessinatrices travaillent dans le domaine de la bande dessinée pour garçons. Il arrive d’ailleurs souvents qu’elles écrivent sous un nom d’emprunt si bien qu’on ne réalise pas forcément qu’elles sont des femmes. Au cours de ces dix ou quinze dernières années, un nombre important de dessinatrices ont fait leur chemin à l’intérieur de cette production masculine.

Quel premier conseil donneriez-vous à une jeune dessinatrice française qui voudrait faire sa propre BD ?
Le conseil que je lui donnerais serait de parvenir à cerner au plus près ce qu’il ou elle souhaite réellement exprimer. C’est par rapport à ce que l’on veut exprimer que tout le reste (l’aspect graphique, le découpage…) va se mettre en place au service de cette vision. Cela peut parfois être parmi les choses les plus difficiles à faire partager à autrui mais pour lesquelles le bon récit, le bon découpage permettront de les faire comprendre.

De nombreux manga sont publiés en France, mais curieusement, aucune de vos œuvre n’a été traduite chez nous. Si on devait commencer par une, laquelle aimeriez-vous qu’on choisisse ?
Je choisirais Poe no Ichizoku (Le clan des Poe) car ce titre est particulièrement cher à mes yeux. Je recommanderais également Star Red et 11-nin iru ! (Ils étaient 11 !).

Interview réalisée avec la collaboration d’Alexis Orsini (Journal du Japon) et Yuka Egusa Hesry (Bisou Japon).

Traduction : Ilan Nguyên

Remerciements au Centre Pompidou et en particulier à Boris Tissot, commissaire de l’exposition Planète Manga !

DERNIÈRE MINUTE : Thomas no shizô (Le cœur de Thomas) sera publié en français chez Kazé Manga (lire la news).

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A propos de l'auteur

Olivier

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  1. KrebMarkt

    Sérieux, ils vont se prendre façon "Head On" la comparaison avec l'édition anglaise d'Heart of Thomas par Fantagraphics.
    Sachant qu'un nombre non négligeables de personnes comme moi vont importer la version US traduite par Matt Thorn…
    Il y avait d'autres choix éditoriaux possibles mais je pense que celui là loin d'être le plus pertinent.