Créée par le prolifique auteur français Lewis TRONDHEIM, elle commence à voler de case en case dans des pages de BD publiées par le magazine Morning des éditions Kodansha. Après des débuts prometteurs dans le grand hebdomadaire japonais, la popularité du personnage décroît et sa parution s’interrompt après publication d’une cinquantaine de planches. Lewis TRONDHEIM, qui avait dû beaucoup modifier son projet initial pour satisfaire l’éditeur japonais, reprend alors son travail comme il l’entend. La Mouche est finalement publiée en 1995 au Seuil. C’est cette BD muette et en noir et blanc qui fut adaptée en dessin animé.
AnimeLand : Quel a été votre rôle dans cette série de dessins animés tirée de l’une de vos bandes dessinées ?
Lewis TRONDHEIM : J’ai co-écrit la bible, et le scénario d’une vingtaine d’épisodes. Je ne suis pas du tout intervenu au niveau du dessin. C’est un choix : je me suis dis que j’allais devoir faire mon deuil de ce que j’aurais pu imaginer si j’avais tout fait moi-même. Je savais que j’allais être déçu, et je n’ai pas voulu gaspiller mon énergie et mon temps. Je préfère réaliser des bandes dessinées que personne ne peut faire à ma place, plutôt que des dessins ou des décors que d’autres peuvent faire. J’ai quand même fait quelques galeries de personnages, rapidement, pour montrer comment on fabrique des insectes : on met un truc rond au dessus d’un truc un peu ovale, deux points pour les yeux, des antennes et des pattes, et pis voilà ! La production me demandait parfois mon avis, mais n’en tenait pas vraiment compte. Par exemple, ils voulaient absolument une musique faite par un chanteur ou une chanteuse célèbre. Ils ont passé des mois à convaincre Néneh CHERRY ou je ne sais pas qui de faire la musique du générique. Au bout du compte, ils se sont aperçu qu’ils n’avaient plus le temps, que ça n’allait pas : ils ont fini par mettre une grosse crotte… Moi j’avais demandé à ce qu’ils prennent CharlElie COUTURE ou n’importe quel chanteur correct : pas un truc pour danser dans les boites de nuit, ça m’intéresse pas…
AL : Vous redoutiez un résultat en dessous de vos attentes ?
L.T. : Je n’ai pas été surpris, je m’attendais à ça. Il y a 65 épisodes, 5 sont très bien, et 10 sont vraiment très mauvais. Pour certains, le scénario, quasi inexistant, manque de créativité. Pour d’autres, la réalisation est incompréhensible. On m’a dit : “C’est normal ! C’est un quota normal pour un dessin animé pour la télé”. Alors bon, je ne m’en fais pas… Ce n’est pas l’oeuvre de ma vie : j’ai fait le bouquin et je ne mets pas en avant le fait qu’il y ait des dessins animés qui passent à la télé d’après mon travail. Même s’il y a plus de gens qui connaissent La Mouche que Lapinot ou d’autres bouquins que j’ai faits. Je pense que les dessins animés ont aidé au niveau des ventes à l’étranger pour la BD. Beaucoup d’éditeurs étrangers ont fait des éditions suite à la série. En France, ça n’a pas beaucoup fait bouger les ventes. Il n’y a qu’un seul album, en noir et blanc, qui est un peu atypique. Avant la diffusion télé, le bouquin s’était déjà vendu à 20.000 exemplaires, ce qui était bien pour moi. Maintenant, on est peut-être à 23.000. S’il y avait eu une dizaine d’albums de La Mouche, avec une possibilité de faire du marketing, je pense que les éditions du Seuil ne se seraient pas privées. Mais il n’y avait pas matière.
AL : Et ce dessin animé ne va pas susciter une suite à la BD ?
L.T. : Le producteur a voulu sortir des albums à partir des dessins animés, des anime comics. Je lui ai dit qu’il pouvait le faire, mais que si ça ne me plaisait pas, je ne voulais pas qu’il y ait mon nom. Je l’ai prévenu qu’il faudrait beaucoup travailler car faire de la bande dessinée muette, c’est autre chose que simplement capturer des images. Il faut vraiment synthétiser. Ils ont fait des essais, ça ne marchait pas très bien, donc ils n’ont pas poursuivi… Et je ne voulais pas m’investir pour réaliser des bandes dessinées d’après les scénarios des dessins animés. J’ai fait La Mouche en 1994 : refaire 10 albums pour sortir des produits marketing, ne m’intéresse pas.
AL : La Mouche avait commencé une carrière au Japon. Avez-vous des regrets par rapport à cette expérience interrompue un peu rapidement ? L.T. : Je n’ai pas de regrets… Que pouvais-je espérer de mieux que ce qui est arrivé par la suite ? C’est La Mouche telle que je la voulais : noire, avec des dents et des grosses chaussures. En fait, si ça avait marché au Japon et si elle avait été connue avec l’autre visage qu’ils m’avaient fait faire, j’aurais peut-être été embêté. J’étais content à l’époque car je gagnais un peu d’argent en étant publié dans des hebdomadaires manga. Cela m’a également permis de faire une cinquantaine de pages que j’ai redessinées par la suite : ça m’a donné l’élan pour faire la BD en France. C’est vrai, il y a toujours une déception : on se dit que ça aurait pu être le nouveau Dragon Ball. Mais en même temps, mes vraies préoccupations, c’est de faire des albums de BD, pas d’aller vendre mes marchandises pour faire des dessins animés. Même si beaucoup de gens me contactent pour faire des choses, cela ne m’intéresse pas. Les Japonais sont venus me chercher en 1994, à une époque où le manga était dans une phase décroissante au Japon. Ils recherchaient des choses différentes. Ce n’est pas le cas maintenant : ils ont essayé tous les auteurs européens et américains qu’ils pouvaient, et ils ont vu que ça ne fonctionnait pas plus. Je ne reprendrais pas La Mouche maintenant pour eux car je n’ai pas envie de refaire la même chose. Après, s’ils me paient un voyage au Japon, si je peux aller dans toutes les boutiques acheter plein de gadgets, peut-être…
AL : D’autres de vos séries pourraient être adaptées en dessins animés ?
L.T. : J’étais au dernier festival d’Annecy et j’y ai rencontré un producteur qui était intéressé pour adapter la série Monstrueux…. Un autre voudrait adapter Les Cosmonautes du futur. Celui-ci a commencé à réfléchir sérieusement au concept. Mais je ne pense pas que je m’investirais du tout là-dessus. Le même producteur que La Mouche, Futurikon, est en train de faire Kaput et Zörki. Là, le résultat est très bon, pourtant je ne me suis pas du tout investi, encore moins que sur La Mouche. Ils ont pris une bonne équipe, un bon réalisateur, de bons scénaristes. C’est vraiment du bon boulot. Ils ont pris les meilleurs éléments qui avaient bossé sur La Mouche. Les voix américaines sont très bien, et tout comme les voix que j’ai entendues. L’animation est incroyable, les décors et les couleurs très chouettes. C’est très agréable d’avoir de bonnes surprises comme ça ! Il y a 70 épisodes prévus, 25 sont déjà finis, et c’est programmé pour passer sur France 3 à la rentrée prochaine. Sinon, c’est bien engagé sur Le Roi catastrophe. J’aimerais bien m’investir au niveau du scénario sur cette série : si je pouvais tout écrire, ce serait bien. J’ai également eu des propositions pour Lapinot et pour Donjon. Pour Donjon, Joann SFAR [co-auteur de la série Donjon avec Lewis TRONDHEIM, NDLR) et moi ne sommes pas pressés. Cela pourrait venir ou non : ce n’est pas important. Peut-être que je suis une sorte d’enfant gâté : je me retrouve à être plutôt demandé, et à faire la fine bouche. C’est une position agréable.
AL : Vous avez innové dans des domaines différents comme la bande dessinée, bien sûr, mais aussi l’édition et la presse. Vous n’auriez pas envie de mener de A à Z un projet de dessin animé ?
L.T. : Je pourrais très bien dire : maintenant, j’ai envie d’être réalisateur, je vais faire un projet spécifique pour la télé ou le cinéma, je bosse dessus pendant un an ou un an et demi… Et puis au final, qu’est-ce qu’il y aura ? Il y aura le fait que quelqu’un d’autre aurait pu le faire à ma place, et que pendant ce temps là, les albums que j’aurais pu dessinés, personne d’autre ne les aura faits… Et puis je suis tranquille dans mon coin. Je suis peinard, on ne m’embête pas : j’ai vraiment beaucoup de confort à faire de la bande dessinée, et je n’ai pas l’impression que j’aurais le même confort à faire du dessin animé. Je suis assez paresseux, aussi. Et dans le dessin animé, il y a trop de concessions à faire avec trop de monde : c’est énervant. Ceci dit, si il y a quelque chose qui se présente sans concessions à faire, où l’on me donne carte blanche… Tout le monde serait d’accord dans ces conditions ! Mais j’y réfléchirais quand même…
AL : Que pensez-vous des dessins animés tirés de séries de BD franco belge qui se multiplient en ce moment ?
L.T. : En général, c’est caca… Parfois, il y a des bonnes surprises : Titeuf n’est pas si mal que ça… Même Cédric : je n’aime pas du tout les bandes dessinées, mais les dessins animés sont honnêtes. Cela ne vaut pas un quart des Simpsons, mais c’est acceptable pour des adaptations de BD franco-belges. Achille Talon est pitoyable, tout comme Iznogoud. Mais déjà, je n’aimais pas beaucoup les Lucky Luke ou les Tintin à l’époque. La BD franco-belge représente certainement un grand réservoir à idées dans lequel vont piocher les producteurs. Malheureusement, c’est souvent pour faire n’importe quoi. Est-il possible d’inverser cette tendance ? Sûrement, c’est juste une question de paresse, de moyen et de volonté. Si je m’investis sur Le Roi catastrophe, c’est aussi pour que ce soit bien, pour qu’il y ait une certaine tenue. Fabrice PARME dessine déjà la bande dessinée, il s’occupera de l’aspect visuel. Comme il avait travaillé sur La Famille Pirates, et qu’il avait été un petit tyran, je sais qu’il va bien mener l’affaire. Nous allons également essayer de trouver une bonne équipe.
AL : Vous avez des projets dans le multimédia ?
L.T. : A un moment, j’ai pensé à faire un Lapinot sur CD-ROM exclusivement. L’idée est là, elle germe doucement. Un jour, quelque chose se fera, mais pas avant 5 ans. Cela peut être intéressant d’explorer ce domaine-là qui est sous-exploité pour l’instant, en tous cas au niveau de la bande dessinée. J’aimerais faire quelque chose qui soit vraiment de la BD, avec des images fixes et des textes à lire. Je ne veux pas faire un faux dessin animé avec des personnages qui vont bouger sur un écran. D’ailleurs, je m’étonne qu’il n’y ait pas plus de dessins animés sur Internet… De la même façon qu’il y a eu la House music dans les années 80 avec des gens qui faisaient leur musique dans leur studio, maintenant on peut faire son dessin animé seul dans son coin. Des choses originales pourraient sortir, pas forcément avec des bons graphismes, mais avec des bonnes idées. Je ferais bien ça si j’apprenais à maîtriser la programmation Flash ou autres. A un moment, je me suis demandé ce qui était le plus intéressant d’apprendre : Flash ou le yukulélé. Finalement, j’ai acheté un yukulélé : je vais pouvoir jouer du yukulélé jusqu’à la fin de ma vie, et il n’y aura pas yukulélé.2 qui sortira…
La Mouche, 1 album, éditions du Seuil
La Mouche, 1 DVD, 22 épisodes, Futurikon
Lapinot, 10 albums, Dargaud
Le roi catastrophe, 4 albums avec Fabrice PARME,Delcourt
Monstrueux…, 3 albums, Delcourt
Donjon, 7 séries associées, 17 albums, Delcourt
Le site de Lewis TRONDHEIM : http://www.lewistrondheim.com
Le site de la série Donjon : http://www.donjonland.com
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