40 ans d’animation
KOTABE Yôichi est né en 1936 à Taïwan (à l’époque encore colonie japonaise). Après des études à l’Université des Beaux-Arts de Tôkyô, il postule, en avril 1959, pour entrer à Tôei Animation, qui procède alors à des recrutements annuels (il se retrouve dans la même promotion que TAKAHATA Isao). Il participe aux longs métrages du studio (auxquels les Nouvelles Images du Japon consacre une rétrospective) comme aux séries télévisées, travaillant aux côtés des animateurs ÔTSUKA Yasuo et MIYAZAKI Hayao, et des réalisateurs TAKAHATA Isao et IKEDA Hiroshi. D’abord intervalliste, il est formé notamment par MORI Yasuji « notre maître à tous » selon ses mots et disciple de MASAOKA Kenzô (voir notre dossier l’animation japonaise des années 1920 à 1950), et occupe les postes d’animateur-clé ou de directeur de l’animation (une fonction qu’il remplit notamment sur les séries, à partir de 1964).
Au début des années 70, il suit TAKAHATA et MIYAZAKI qui quittent Toêi Animation,
pour concrétiser un projet d’adaptation du best-seller Fifi Brindacier
(qui n’aboutira pas, mais donnera le jour à Panda Kopanda). Il travaille
pour A Production puis Nippon Animation, avant de devenir indépendant. Il participe
notamment aux longs métrages Tarô, l’enfant dragon en 1979 (en tant que
character designer et directeur de l’animation), Chie la petite peste
en 1981 (en tant que directeur de l’animation, avec ÔTSUKA), Nausicaä de la
vallée du vent en 1984 (en tant qu’animateur-clé) et Le tombeau des lucioles
en 1988 (idem). Depuis 1986, il travaille pour Nintendo, à la supervision graphique
de jeux vidéo (Mario, Zelda, Pokemon…) et à celle des
films consacrés à l’univers Pokemon. En 2003, il est l’un des 35 participants
de Jours d’hiver, programmé cette année aux Nouvelles Images du Japon.
Afin de présenter au mieux le travail sur 40 ans de KOTABE, la conférence était
articulée autour d’extraits de séries et de films. KOTABE a d’abord tenu à revenir
sur son parcours, secondé à la traduction par Ilan NGUYEN. Passionné depuis toujours
de dessin (son père était peintre) et de manga, « ensorcelé » par les films Disney
après guerre, il n’a pourtant pas pris immédiatement le chemin, qui l’attirait
tant, de l’animation. Mais après son apprentissage du nihonga (1), il
s’est laissé prendre : « La vision du premier long métrage d’animation en
couleurs produit par Tôei, Le serpent blanc (2), fut un tel choc que,
moi qui voulais à tout prix devenir peintre, j’ai changé d’avis ». Ses études
terminées, il entre à Tôei Animation. De ces années fertiles, il retient « toute
la difficulté et toute la douleur » de l’apprentissage du métier d’animateur,
et les rencontres, inhérentes à la logique de studio, qui furent pour lui « un
apport éminemment précieux. Travailler sur le dessin d’autrui nécessite
de mettre de côté sa personnalité, pour la charger du style de l’autre »,
expliqua-t-il. Il se félicita de voir en la master-class qui lui a été confiée,
un « nouvel échange sur le dessin animé ».
Un homme de Tôei Animation
La séance fut ouverte par une séquence spectaculaire du Prince garnement terrasse
la grande Hydre (1963), long métrage de Tôei Animation. Le prince, sur son
cheval blanc, y affronte dans les airs une hydre à huit têtes. KOTABE expliqua
avoir créé le cheval volant et avoir également, pour la première fois, occupé
le poste d’animateur-clé (3).
Le second morceau choisi était tiré de Horus, prince du soleil, premier
long métrage de TAKAHATA. Le film compte aussi ÔTSUKA comme directeur de l’animation
et MIYAZAKI (crédité dans la « construction scénique ») comme participant important
dans la création des décors et des situations. Animateur-clé sur le film, KOTABE
s’en est souvenu comme d’une « épreuve » en rupture avec la manière de
procéder des précédentes réalisations Tôei. « Jusqu’alors, le système fonctionnait
sur la liberté accordée aux animateurs, plutôt que sur une personnalité directrice
unique. Les animateurs entamaient le travail graphique sur la base du scénario.
TAKAHATA avait au contraire une logique d’achèvement d’une oeuvre, autour d’une
unité. Il avait des demandes précises, fondées sur la recherche d’une cohérence,
avec une prise en considération de la causalité, de la nécessité. » Certaines
tâches furent réalisées plus librement : « Pour les personnages, il y eut
un appel à propositions. Ainsi, le film contient des idées de moi, de mon épouse
OKUYAMA Reiko, de ÔTSUKA et MIYAZAKI. ÔTSUKA a assumé la cohérence graphique de
la représentation des personnages sur la totalité du film. » KOTABE a été
chargé de traiter l’eau, « que nombre d’animateurs évitent soigneusement,
car comme les autres phénomènes naturels, elle présente de grandes difficultés
». La scène projetée voyait Horus, après la mort de son père, quitter son île
en bateau sur une mer animée de façon étonnamment réaliste.
KOTABE, en lien avec le troisième extrait, tiré du Chat botté (1969),
a évoqué « après l’expérience douloureuse d’Horus », la « volonté
de tous de travailler sur quelque chose de léger ». De fait, « le réalisateur
YABUKI Kimio nous a donné une grande liberté, notamment en nous laissant dessiner
le story-board de certaines parties ».
La quatrième séquence était tirée des Joyeux pirates de l’île au trésor
(1971) : Jim, sur un tonneau aménagé en bateau, sort du port et prend le large
; il affronte dans une inégale bataille un navire de pirates. KOTABE a réalisé
le story-board de la scène du départ du port, sans toutefois pouvoir le boucler.
Il s’est de nouveau consacré au traitement de la mer, « personnage central
du film. Les planning, compétences et budget influèrent sur sa représentation.
Le réalisateur (4) m’a donné un mois pour faire le travail de recherche, en m’apportant
une abondante documentation. Mais j’ai dû renoncer à appliquer au moment de la
prise de vue un traitement particulier ; il a fallu recréer la mer uniquement
par le dessin. Contrairement à Horus, où les bouclettes des vagues sont
représentées, ainsi que les effets de transparence, j’ai opté ici pour la simplification
et un rendu agréable. Cette représentation a fait école ; MIYAZAKI, qui l’a tout
de suite appréciée, l’utilise encore aujourd’hui. J’aimerais d’ailleurs qu’il
évolue vers autre chose ».
De Heidi à Pokemon
La page Tôei tournée, KOTABE a présenté une séquence de Panda Kopanda, Le
cirque sous la pluie (1973), court métrage réunissant MIYAZAKI, TAKAHATA,
ÔTSUKA et lui-même, ici directeur de l’animation. « Le projet originel d’adapter
Fifi Brindacier avait des qualités exceptionnelles, mais l’auteur du
livre (5) n’en a pas cédé les droits. MIYAZAKI a écrit une nouvelle histoire,
et j’ai encore simplifié Fifi pour créer Mimiko. La réaction des enfants était
extraordinaire. C’est à mon avis ce qui a convaincu MIYAZAKI de l’impact de l’animation
sur le public enfantin, et aussi marqué l’amorce de sa carrière de réalisateur.
»
Après la projection du générique japonais de la série Heidi (1974), dont
il signe le character design et dirige l’animation, KOTABE a expliqué l’ambition
du producteur de distribuer la série dans le monde entier, investissant notamment
dans un voyage de repérage en Suisse. « Cette expérience directe a eu une
grande influence sur la série. Comme dit le proverbe : Cent mots ne sauraient
valoir un regard. »
Le temps manquant, les extraits prévus de Heidi et du film de Tôei Tarô
l’enfant dragon ont été supprimés pour passer à Kirby des étoiles
(2001-2003), série créée à partir du jeu vidéo du même nom : « IKEDA Hiroshi,
qui travaillait pour Nintendo, m’a appelé pour réaliser une formation du personnel
sur le mouvement ». Séduit par l’univers du jeu vidéo, KOTABE estime que
ce domaine « avance à grand pas sur le plan formel, notamment sur le mouvement,
dépassant à certains égards la production animée ». En dernière illustration
du travail de KOTABE, fut projeté un court métrage consacré aux Pokemon, Les
vacances d’été de Pikachû (1998).
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