Sorties au Japon en 2003, les séries XXXHolic et Tsubasa Reservoir Chronicles sont arrivées en France entre novembre et décembre 2004, par l’intermédiaire de Pika. Vous le savez sans doute déjà, ces deux manga se suivent comme un crossover. Derrière ce nom quelque peu barbare se cache une idée marketing géniale, aussi commercialement intéressée qu’artistiquement audacieuse.
Une histoire magique
Dans Tsubasa, l’action se déroule dans un monde médiéval fantastique. Le jeune archéologue Shaolan aime la princesse Sakura. Alors qu’il se rend avec elle dans des excavations mises à jour près du Palais principal, un drame se produit : la princesse déclenche un piège magique. Sa mémoire se dissémine sous forme de plumes à travers les dimensions. Shaolan se rend alors sur Terre, auprès de la sorcière Yûko, pour apprendre à se déplacer d’un monde à l’autre et sauver son amie. Deux voyageurs se joignent à lui : un ninja mal dégrossi, du nom de Kurogane, et un magicien mélancolique du nom de Fye…
Dans XXXHolic, le lycéen Kimihiro est poursuivi par des esprits. En passant près de la maison de la sorcière Yûko, il se trouve attiré auprès d’elle et soigné de sa malédiction. En échange, il assume le rôle d’homme à tout faire pour son compte. Voilà donc l’adolescent contraint de suivre Yûko auprès de personnes souffrant de problèmes mystico-psychologiques.
Tsubasa et XXXHolic sont des manga d’une grande richesse. À dire vrai, on a parfois le tournis face aux implications thématiques découvertes(1). Tsubasa remplira ainsi d’aise les amateurs de littérature d’héroïc-fantasy à la Robert JORDAN (La roue du temps), David EDDINGS (Le chant de la Belgariade et de la Mallorée) ou de JK ROWLING (Harry Potter) : on y retrouve le même récit initiatique, la constitution d’un groupe de héros hétéroclites et typés, la présence d’un humour salutaire, une fameuse quête à remplir et une atmosphère de contes de fées parfaitement restituée…
A contrario, XXXHolic se donne un tout autre visage. En effet, Tsubasa a été publié dans le Shônen magazine (Negima, Getbackers…), là où XXXHolic a été édité dans le Young Magazine (Mother Sarah, Biomega…). En d’autres termes, Tsubasa s’adresse à un public de lycéens, là ou XXXHolic touche de jeunes adultes. Du coup, XXXHolic se déchaîne sur le simple plan de la sensualité : les CLAMP, assez versées sur le sujet, livrent avec Yûko un fantasme ambulant pour hommes (voir l’illustration ci contre) : son personnage et sa relation assez cocasse avec Kimihiro donnent tout son sel au récit. Néanmoins, les auteurs ne se privent pas de raconter des histoires de personnages dévorés par leurs névroses, à l’instar de ce qu’on pouvait lire dans Tokyo Babylon.
Croisements et intersections
Qu’est-ce que le terme de crossover véhicule ici précisément ? En fait, dans le premier tome de Tsubasa, Shaolan, tenant une Sakura inconsciente dans ses bras, se retrouve face à Yûko. Or, XXXHolic nous permet de retrouver la sorcière Yûko, accompagnée de son acolyte Kimihiro : on apprend ainsi un peu plus sur elle. À la fin du volume de XXXHolic, Shaolan et Sakura arrivent dans notre monde (là encore, un coup d’oeil aux pages comparées ci contre clarifiera le propos). Le deuxième volume de XXXHolic verra ainsi la scène de rencontre Shaolan/Yûko racontée sous un angle différent… Par la suite, on imagine de futures scènes racontées ainsi de deux points de vues différents.
Du point de vue éditorial, Pika a privilégié une sortie bimestrielle pour les deux titres, alternant Tsubasa et XXXHolic : le lecteur est donc invité à lire les manga à la suite, pour suivre en parallèle les deux histoires. Toutefois, le crossover ne s’arrête pas là ! En effet, dans Tsubasa, les CLAMP s’amusent à recycler les nombreux personnages qu’elles ont créés, leur donnant une autre personnalité, changeant leurs métiers ou leurs vêtements. Dans XXXHolic en revanche, les éléments tirés de leurs précédents manga sont réutilisés tels quels : ainsi voit-on les deux héros de Lawful Drug, ou retrouve-t-on la baguette magique de Sakura.
Les CLAMP ont déjà utilisé le principe du crossover. Ainsi, Tokyo Babylon annonçait les évènements à venir dans X. Dans ce dernier titre, on retrouvait aussi les personnages de Clamp School Detectives, titre lui-même lié à Dukalyon… Le collectif de mangaka a donc toujours aimé mêler ses récits, ses personnages et ses aventures, dans ce qui ressemble à la construction d’un univers graphique et thématique personnel. Une volonté rare au Japon, dans la mesure où seuls quelques auteurs comme TEZUKA Osamu, MATSUMOTO Leiji ou NAGAI Gô ont tentés un tel pari. Mais avec XXXHolic et Tsubasa, les CLAMP sobt en train de bâtir l’un des plus formidables projets de crossover jamais pensé jusque là(2).
Il s’agit non seulement de tracer un pont entre deux manga pourtant bien différents (XXXHolic se déroule sur Terre, tandis que les héros de Tsubasa seront amenés à voyager de dimensions en dimensions), mais aussi de balayer l’ensemble de leurs créations à l’intérieur même de chacun de ces deux titres. On a donc affaire à des auteurs bien décidées à créer une oeuvre fleuve, parfaite dans sa diversité et son unité. Bref, un projet artistique aussi paradoxal que séduisant.
Alors, chef d’oeuvre ou opération marketing ?
On aimerait bien affirmer que ces deux titres sont appelés à devenir de futurs classiques du manga, mais deux premiers tomes ne permettent pas réellement de jauger d’une pertinence esthétique et thématique à long terme. Car, si les CLAMP se perdent en chemin, la déroute sera honteuse.
Il n’en reste pas moins que la prétention clairement affichée, par le studio féminin, de donner une assise à l’ensemble de leurs travaux tient d’un challenge artistique des plus ambitieux. Avec Tsubasa et XXXHolic, elles ont la possibilité de rentrer dans l’histoire du manga et de se poser comme de futures figures tutélaires de la BD nippone.
Tsubasa Reservoir Chronicles, en cours de parution au Japon (actuellement 8 voumes) ; en France, tome 2 à sortir en décembre 2004 chez Pika.
XXXHolic, en cours de parution au Japon (actuellement 5 volumes) ; en France, tome 2 à sortir en janvier 2005 chez Pika.
Plus d’infos :
Le site de Pika : www.pika.fr
Le site officiel de Clamp : www.clamp-net.com
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