Sorti le 3 décembre dans les salles obscures, La prophétie des grenouilles
était l’un des films d’animation les plus attendus, en France, de cette fin d’année.
Premier long métrage du studio Folimage de Valence (L’enfant au grelot,
Patate et le jardin potager, Hôpital Hilltop, entre autres),
réalisé sans sous-traitance hors de ses murs, sur près de six ans (deux années
d’écriture et quatre de production), ambitieux également dans le casting des voix
des personnages (Michel PICCOLI, Annie GIRARDOT, Michel GALABRU…), le film réalisé
par Jacques-Rémy GIRERD promettait jusque dans son titre, originalité et joli
miracle. La faute à trop d’espoirs ? Pour ceux qui en ont rêvé, La prophétie
des grenouilles peut se révéler décevante.
Où sont passées les grenouilles ?
Un titre pareil, ça interpelle. On se permettait donc quelques extrapolations
autour de pythies batraciennes, sans aller bien loin cependant, le concept des
« grenouilles prophètes » ne sortant pas au départ de notre imagination, mais
de celle des scénaristes Jacques-Rémy GIRERD, Antoine LANCIAUX et Iouri TCHERENKOV.
Aussi, quelle surprise de se voir resservir le sempiternel mythe biblique du déluge,
de Noé et de son arche remplie d’animaux ! Au commencement, pourtant, était l’enthousiasme.
Tom vit dans une ferme avec ses grands-parents, Ferdinand et Juliette, et s’amuse avec sa voisine Lili à explorer l’immense grange familiale. Les parents de Lili, responsables d’un zoo, partant en Afrique, la fillette est confiée à ses voisins. Non loin de là, les grenouilles se réunissent dans l’étang, suite à des calculs pluviométriques alarmants. Toutes craignent l’imminence d’un déluge. Aussitôt dit, aussitôt arrivé : durant 40 jours et 40 nuits, la pluie tombe sans discontinuer. Lili, Tom, les siens, ainsi que les animaux de la ferme et du zoo, trouvent refuge dans la grange, perchée sur une chambre à air géante. Le soleil revenu, l’hétéroclite cargaison dérive des jours durant sur une mer de pluie, sans autre âme qui vive qu’une tortue blessée. Chacun découvre ainsi les joies de la vie en communauté, Ferdinand veillant à calmer les querelles. Mais les carnivores ont de plus en plus les crocs, Lili s’inquiète pour ses parents, et les crocodiles menacent d’attaquer.
La suite du récit se dilue dans les disputes et quelques péripéties, pas suffisamment nombreuses cependant pour engendrer une réelle action. Il faut dire que les personnages se sentent à l’étroit sur cette arche improvisée (et le spectateur également). Le film apparaît curieusement déséquilibré : la prophétie et les grenouilles (pourtant sympathiques) sont vite expédiées, et le scénario délaye au maximum la partie sur l’arche, qui constitue finalement le sujet du film. La plus grosse frustration vient du traitement du déluge : graphiquement réussi, il intervient avec une telle rapidité et s’achève avec tant de précipitation (dans tous les sens du terme) qu’on en reste coi. Le déluge tant attendu est donc loin d’être le clou du spectacle. Bancal et déconcertant, le film l’est d’autant plus que des incohérences jalonnent l’ensemble.
La croisière s’enlise
Sans les citer toutes, comment ne pas mentionner l’étonnement ressenti devant le comportement du patriarche Ferdinand qui, sous les trombes d’eau, s’enfuit à cheval loin de sa famille, ou devant l’attitude de Lili qui, ordinairement vive d’esprit, met bien du temps à s’inquiéter du sort de ses parents, sans parler des fameux 40 jours et 40 nuits, simplement éludés, pendant lesquels on ne saura jamais comment les occupants de l’arche ont survécu, ne découvrant la réserve de pommes de terre qu’une fois la pluie arrêtée ? Ces bizarreries scénaristiques malmènent, hélas, le récit.
Autre réserve : le traitement de certains personnages. Ainsi, la bonne à tout
faire Juliette n’est vraiment là que pour consoler, faire la lessive et éplucher
les patates. Pendant ce temps, son homme, costaud et le coeur sur la main, pousse
la chansonnette et élève la voix. Outre ces clichés d’un autre temps, le traitement
de la révélation finale concernant le personnage de la tortue est susceptible
de provoquer elle aussi un léger malaise. Fourre-tout des thèmes chers à Jacques-Rémy
GIRERD (pour le citer « la tolérance, l’écologie, la difficulté de vivre ensemble,
les affres de la dictature » et « une belle histoire d’amour entre deux enfants
» ), La prophétie des grenouilles est chargée de tant de messages, abordés
parfois sans grande finesse, qu’on s’y perd.
Reste que le film présente évidemment des qualités, surtout d’ordre graphique. Les couleurs sont très harmonieuses, et particulièrement réussies dans les séquences nocturnes. Le travail sur les textures, remarquable, donne véritablement de la matière et de la personnalité aux éléments ainsi créés. Et l’on retrouve le joli graphisme des personnages des productions Folimage. En revanche, la mise en scène, plate voire absente, n’aide pas à mettre en valeur l’animation et à donner du rythme à l’ensemble.
Après Kaena, cette autre prophétie, dans un registre bien différent,
laisse tout aussi dubitatif.
La prophétie des grenouilles, de Jacques-Rémy GIRERD, 1h30, sortie le
3 décembre 2003.
A lire :
L’entretien avec Jaques-Rémy GIRERD.
L’entretien avec Jacques-Rémy GIRERD et Patrick EVENO et la critique du film dans
l’AnimeLand# 97.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.