Thriller politico-financier, Nihon keizai chinbotsu 2004 (2004, le naufrage de l’économie japonaise) est l’oeuvre d’un duo d’artistes : TANO Tetsufumi au scénario, et TSURUOKA Nobuhisa au dessin. Sa pré-publication débute dans le numéro 3 et s’achève dans le 15 du magazine All Man en 2002. Son volume unique est sous presse le 25 septembre 2002, et appartient à la collection SC All Man.
Chronique d’une mort annoncée
Les grandes banques japonaises font successivement faillite, entraînant dans leur sillage maints petits établissements bancaires. Déjà, les clients se soulèvent et les échauffourées avec la police se multiplient. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que l’économie nippone ne bascule dans l’abîme.
Janvier 2004 : le gouvernement saisit enfin le problème. Parallèlement, las des erreurs et de l’immobilisme de ses pairs, TACHIBANA Seiji, jeune politicien ambitieux, souhaite prendre les rênes du pays et le sortir du marasme. Pour dégager la place, il mène de front deux combats : le premier se joue sur l’échiquier politique où il défend ses idées, gagne la confiance de l’opinion publique et évite les coups bas des membres de son propre parti ; le deuxième s’exécute dans l’ombre, en commanditant les assassinats des hauts fonctionnaires qui gênent ses plans ou qu’il considère incompétents. Afin de relever le Japon, il va quérir l’aide d’un brillant économiste, SAKAI Osamu, ancien camarade d’études à Tôdai. Le problème est que Osamu ne cautionne pas les moyens expéditifs de Seiji. De son côté, il cherche donc des solutions pacifiques et administratives. Surtout quand il apprend que Seiji tient les Etats-Unis pour responsables de la situation catastrophique nippone et se prépare à dynamiter l’économie américaine en juste retour des choses…
Des personnages emblématiques
Sakai Osamu, 36 ans, est chef de section dans un institut de recherche et de synthèse économique. Marié et père de 2 enfants, il est droit, honnête, dévoué à son travail et conscient de ses lourdes responsabilités. Il se démène comme un beau diable pour trouver les solutions adéquates au déclin du Japon, davantage par compassion envers les malheureux déposants qui ont perdu leurs mises et leur travail, suite aux faillites des banques, que par sentiment patriotique tendancieux.
En 2001, Osamu avait prévu l’imminente chute de l’économie en remettant un rapport alarmant à Seiji sur la gestion catastrophique des banques, et par extension de l’Etat qui les soutenaient. La dette publique dépassait déjà les prévisions, et il comptait sur Seiji pour agir. À ce moment là, ce dernier était pieds et poings liés et ne pouvait par conséquent déclencher l’alarme. Lorsque Seiji le contacte, trois ans plus tard, en affirmant vouloir ressusciter le Japon, Osamu déchante vite en s’apercevant que l’ami mène un jeu subtil de vérité et de contre-vérité auprès de la classe politique, du peuple et de lui-même. Seiji prépare un véritable coup d’état. Néanmoins, le suicide d’un proche et l’accident de son fils pousse Osamu à l’action. Il a 10 jours pour prescrire l’ordonnance nécessaire à guérir sa patrie maladive. Tout se complique quand le Premier Ministre décrète le blocus complet sur les organismes de crédits. À l’avenir, aucun contrôle ni aucune prévision ne sera possible. Le Japon est condamné à se diriger vers un “bank holiday”, comme ROOSEVELT durant la crise de 1933.
Dorénavant, Osamu doit jongler avec les angoisses des uns et les idées arrêtées des autres. Mais devant l’immobilisme de ses supérieurs, il démissionne et poursuit sa tâche entouré par de fidèles collègues. Lors d’une séance extraordinaire à la Diète, il expose son plan : créer un groupe d’experts jouissant du libre droit d’enquête et d’arrestation. Il parvient à réunir des sympathisants au sein des jeunes politiciens. Le message des auteurs est clair : Seiji évince physiquement la vieille école, tandis que Osamu l’écarte par voie administrative, un simple vote à l’Assemblée.
Tachibana Seiji occupe le poste de vice secrétaire général au parti Minjitô. Homme intelligent, ambitieux, aimant son pays et le pouvoir, il interpelle l’opinion publique et ses collègues par un discours direct et sans concession. Si, sur le fond, ses idéaux et sa pensée sont louables, sa manière de les réaliser est en revanche extrême et discutable. La question est posée : est-il un patriote dans le sens noble du terme ou un dangereux extrémiste ?
Chez Seiji, la frontière entre ces deux mondes est ténue. En éliminant les ministres clés, il déclare la guerre à ses mentors. Dehors les vieux, il est temps de reformer le gouvernement en profondeur ! Le peuple croit en un mouvement terroriste et l’insécurité s’accroît. Un autre ennemi de taille est aussi dans son collimateur : l’Amérique. En effet, depuis la seconde guerre mondiale, l’ascension fulgurante de l’économie japonaise a hissé le pays au sommet. Pour freiner les ambitions de ce concurrent, les Etats-Unis lui imposent les crédits et les règles du marché international, provoquant ainsi une partie des dysfonctionnements actuels. L’audacieux Seiji veut donc attaquer les USA en achetant massivement actions, bons aux porteurs et emprunts fédéraux avec des faux dollars. Par ce geste, une bulle spéculative se créera en ces temps où l’activité américaine est ralentie par la menace terroriste.
Par la suite, il se débarrassera de ses acquis et plongera la verte contrée de l’oncle Sam au fond du gouffre. Personnage coriace, Seiji ne s’engagera nullement sur la voie de la rédemption, allant au bout de ses démarches. Il esquissera les contours d’un nouveau paysage politique japonais, avant de disparaître brusquement dans la fleur de l’âge lors d’un discours. Mais ce qu’il a semé ne demande qu’à être cultivé.
Fodoroff est un diplomate russe, allié de Seiji. Il prête son concours pour la fabrication des faux dollars et fournit au jeune politicien un tueur à gages, ancien membre du KGB. Chaque fois, l’assassin conclut sa sale besogne en prononçant “châtiment divin”. De son côté, Fodoroff n’est pas dupe et sait que Seiji voit ceux qui l’aident comme des produits jetables. Pourtant, il a une certaine admiration pour cet homme “subtil comme un démon et audacieux comme un ange”.
Yamakawi Kenzô est le secrétaire général du parti Minjitô. Ancien combattant aux Philippines lors du dernier conflit mondial, il consacra ensuite sa vie à la relève du Japon. Atteint d’un cancer, cela ne l’empêche pourtant pas de tirer les ficelles de l’Etat, manoeuvrant le Premier Ministre à sa guise. Il échappe à un attentat orchestré par Seiji dans sa chambre d’hôpital. Pas dupe, il sait que Seiji brigue sa place en alimentant son discours anti-américain et en promettant un avenir pour la nation au-delà de l’envahissante tutelle américaine. Kenzô et Seiji n’ont de cesse de s’affronter à distance, se rencontrant uniquement pour se jauger.
Un contexte tourmenté
On le voit, Nihon keizai chinbotsu 2004 prend comme toile de fond la situation économique actuelle du Japon, pour y nouer une intrigue fictionnelle mais réaliste. D’ailleurs, le sous-titre du manga est clair : « Cette oeuvre n’est pas une caricature mais la réalité ». En fin de volume, un additif raconte la naissance du titre, agrémenté d’un commentaire éducatif en trois parties sur les tenants et les aboutissants de l’économie japonaise et de ses problèmes. De même, un glossaire aide le lecteur à comprendre les expressions spécifiques utilisées dans ce manga. Ce titre est donc pour nous l’occasion d’effectuer un focus sur l’économie japonaise, et de vous livrer quelques clés de compréhension pour appréhender un contexte complexe (lire notre article sur l’économie japonaise, dans la rubrique culture Asie).
Derrière l’oeuvre
TANO-sensei est né le 16 août 1958 dans la préfecture de Fukuoka. Aimant raconter des histoires, il se dirige naturellement vers le métier de scénariste et de romancier. Ainsi, il apporte ses idées sur les oeuvres : Sôsakusha, Dokantarejinseijuku, Himitsu no akko-chan no conpact ha naze. Avec Nihon keizai chinbotsu 2004, TANO-sensei nous offre un scénario intelligent, excitant et d’actualité. La thématique de la fin du monde, sujet exploité à outrance dans le manga, est ici exploitée à travers la chute économique de l’archipel. L’impermanence étant aussi un trait spécifique de la culture japonaise, il est dit que l’espoir d’une résurrection est envisageable. Le développement est mené avec brio, même si le thème aurait mérité davantage de complexité dans ses enchaînements et coups de théâtre. Mais ne jetons pas la pierre au scénariste qui a su condenser un sujet grave en un volume unique. Par contre, la gent féminine est reléguée au second plan, voire quasi inexistante. Devrions-nous en déduire que le devenir du Japon est uniquement une question d’homme ?
TSURUOKA-sensei quant à lui est né à Tôkyô en 1968. Travaillant surtout en équipe, il a participé à des adaptations de romans comme Mental finish (2 volumes en 1991 avec MIYAZAKI Masaru au scénario), No mercy (volume unique paru en 1990 dans Jump Super Comics), Yûsha no karute (une nouvelle de TERAJIMA Yû parue dans le Business Jump). Le design de TSURUOKA-sensei oscille entre le trait inégalable de HÔJÔ Tsukasa (Angel heart), et celui plus traditionnel de KOTANI Kennichi (Désire). Le trait à tendance réaliste épouse la cause du récit, et les personnages masculins conservent leurs attributs asiatiques (expressions faciales, gestuelle, yeux légèrement bridés, etc.), tandis que les femmes et les enfants sont plus “ronds”, soulignant leur aspect attendrissant.
L’oeuvre étale des planches lumineuses, où les gros plans faciaux sont légions, TSURUOKA-sensei préférant jouer avec parcimonie d’ombres sur les visages : ainsi, si Seiji affiche un sérieux à toute épreuve, Osamu est en revanche pourvu d’un large panel d’expressions, trahissant les sentiments du moment. Les décors sont réussis, sans être révolutionnaires (le sujet n’étant pas à propos).
Sans être le seul manga traitant de l’économie japonaise, Nihon keizai chinbotsu 2004 nous donne l’occasion de goûter à une réalité nipponne peu souvent exploitée dans les oeuvres traduites. Le contexte brûlant de l’oeuvre, et le format one shot, inciteront peut-être un éditeur courageux à tenter une sortie française…
Pour mieux cerner le contexte du manga, Lire notre article sur l’économie japonaise.
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