Politiquement incorrect

Attention, ce programme va vous faire réflechir

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Comment être Politiquement incorrect, et ne pas tomber néanmoins dans une surenchère glauque et/ou vulgaire sans message ? Question vaste à laquelle ont répondus brillament les auteurs des cours diffusés lundi soir. On aura eu le droit à un certain mélange des genres, du mignon au sinistre, du malsain au réjouissant : une sélection décalé, comme son sujet.

Le joyeux

Dans la section plutôt heureuse, on retiendra par exemple Credo. Ce court suisse de Jonas Raeber met en scène une bande de moutons plutôt délirants, qui font du rock ou lisent le Comte de Monte-Cristo… Un beau jour, leur bergère disparaît, et le méchant paysan du coin vient leur taper sur le museau. C’en est trop pour l’un d’entre-eux : prenant son courage à deux mains, il rentre dans la forêt sombre et inquiétante dans laquelle… il ne lui arrive rien ! Notre mouton arrive alors dans la grande ville, lieu de paix dans laquelle humains et animaux cohabitent librement et notre mouton décide donc de rester là en compagnie de sa bergère et de son amie rockeuse. A la fin du film, l’auteur annonce que ce court signale son départ de l’Eglise catholique ! L’analogie mouton/brebis du Pape est explicite et l’auteur se fait plaisir avec un ton délirant tout droit sorti d’un cartoon moderne. On aura aussi apprécié, dans le même genre, The Meatrix, de Louis Fox (USA) : ce court parodie la célèbre trilogie de SF pour faire prendre conscience de la façon scandaleuse dont sont traités les porcs dans les fermes. Techniquement pauvre, mais le message passe bien. Enfin, Terror is just a Devil Away, court en 3D délirant de Koen Delbroek (Belgique) nous a beaucoup plu : Ben Laden et George W. Bush y sont manipulés par le Diable : ce dernier se sert de leur haine mutuelle pour faire main basse sur leurs âmes. Il faut voir les tentatives du président américain pour tuer le terroriste : elles sont tellement délirantes que, même si le sujet pourrait prêter à la controverse, le rire reste au rendez-vous.

Le glauque

Alors là, on passe à du lourd et du pas facile ! Certains courts avaient en effet de quoi mettre vraiment mal à l’aise : Yesterday I Think, de Becalelis Brodskis (Grande-Bretagne), était sans doute le pire. On y voyait des scènes atroces comme une femme libérant son bébé au sol recouvert du sang d’un homme assassiné. Ou encore, une femme au visage horrible, habillée en portes jarretelles, cisailler le sexe d’un homme devant son bébé. Difficile de comprendre le « message » du réalisateur. A ce stade, on avait plutôt l’impression de suivre une sorte de psychanalyse sauvage et violente… Dans le genre, Guy 101 se pose aussi comme un objet fascinant. Minimaliste dans sa mise en scène et sa technicité (on suit le plus souvent un chat avec une voix off qui commente. On voit donc à l’écran des fenêtres de conversations). L’Anglais Ian Gouldstone raconte les sévices sexuels endurés par un homosexuel rencontré sur un chat gay. Visiblement inspiré de faits réels, Guy 101 se singularise par une mélancolie et un désespoir palpable. On pourrait le croire pro-gay, mais finalement, ce film semble plutôt dénoncer la solitude et le masochisme de certains homosexuels.

Dans tous les cas, ces courts étaient tous intéressants. Même si techniquement, on notait de grandes différences de qualité d’un film à l’autre, force est de reconnaître que le message passait toujours bien et d’ailleurs, au-delà de l’aspet visuel, la force du discours, le ton employé ou l’ambiance musicale suffisaient bien souvent à gagner l’intérêt du spectateur. On se surprend à rêver d’une édition DVD de ces petits métrages, tant les idées visuelles et narratives, ici à l’usage, sont remarquables.

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Politiquement Incorrect

Fau(te) du goût

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Pour faire preuve de mauvais goût, il faut, paradoxalement, avoir un certain bon goût. Pour être politiquement incorrect, encore faut-il avoir un discours maîtrisé à proposer… Sur les seize courts présentés dans le 1er programme d’Annecy, on aura ainsi surtout vu des animations sans réelle force idéologique, et qui n’auraient pas dépareillé dans des projections classiques de courts. Restent toutefois quatre récits suffisamment intéressants pour nous faire oublier la faiblesse de leurs petits frères.

Conformisme

On commence par Cowboys : The Conformist. Animé en ombres glaçantes et servi par une musique inquiétante, on y découvre un cowboy attrapant son cheval et tentant de rejoindre la communauté des autres cowboys. Mais ces derniers se moquent de lui. En effet, leurs chevaux sont un peu différents des siens, puisque leurs pattes ont été sciées et clouées à une planche type skate. Notre propre cowboy, bien attristé, mutile donc son cheval et se fait applaudir bruyamment par la communauté de ses pairs… Parler de conformisme n’a rien d’évident, tant le sujet semble difficile à embrasser sans tomber dans un discours fort convenu. En choisissant un angle glaçant et malsain, Phil MULLOY, réalisateur anglais, signe un petit brûlot nous confrontant à notre propre désir ô combien légitime de ne pas sortir du groupe. Le traitement graphique, très sombre, ne laisse pas indifférent.

Beaucoup plus drôle, et techniquement plus aboutit, Racism. Ce film de Darragh O’CONNELL présente un Télé Achat vous permettant d’acquérir un pack « raciste ». Avec lui, la garantie de savoir à qui jeter la pierre et à qui reprocher ses problèmes… Et comme le présentateur l’affirme : « Le racisme n’est plus réservé uniquement aux vilains nazis ! » Là, bien sûr, on en rit : pour mieux condamner le racisme, O’CONNELL préfère le tourner en ridicule. Ce pack « raciste », on le trouve en chacun de nous. Tellement facile de jeter la pierre à l’autre, dont la nationalité ou les coutumes nous paraissent trop différents des nôtres. L’animation, tout en couleurs vives et au graphisme rond en fait un objet bien agréable à regarder.

Procès d’intention

Sans doute le film le mieux réalisé et travaillé : Babylon de Peter LORD et David SPROXTON, du studio Aardman. Daté de 1985, ce film en pâte à modeler, raconte la réunion de producteurs d’armes lors d’un dîner. Parmi eux, un individu ressemblant étrangement à Benito MUSSOLINI prend progressivement le pouvoir, grossissant jusqu’à atteindre une taille de géant. Et puis, son estomac se déchire libérant un flot de sang (référence à Shining de Stanley KUBRICK ?) qui inondera l’assistance… Pour le coup, le Studio Aardman frappe fort. Techniquement, on a peine à croire que ce court date de 1985, tant il semble moderne dans sa mise en scène et sa technique. Quant au message, on entend répété en boucle, en arrière plan de l’action, la phrase : « Paix et bénéfices ». Violente dénonciation du capitalisme outrancier et de la recherche du profit, Babylon donne une sérieuse gifle au spectateur, mais pour son bien.

Enfin, dernier court, autrement plus léger : Beavis & Butt-head Animation Sucks. Dans ce récit, Beavis and Butt-Head sont invités par un de leur professeur très baba-cool à réaliser leur propre dessin animé. Les deux adolescents crétins s’exécutent en se dessinant massacrés et déchiquetés. Après diffusion de leur dessin animé, le professeur les congratule en décrivant leur travail comme une habile et dénonciation de la violence… La grande force subversive de ce court repose sur deux niveaux. Premièrement, si « l’animation craint », c’est parce que les deux idiots de service sont obligés de dessiner un grand nombre de dessins : énervés, et ne cessant de trouver des manières horribles de se représenter, ils se laissent entraîner dans un délire de haine et de colère. Moment assez inquiétant et qui n’est pas sans évoquer la spirale monstrueuse dans lequel s’enferment certains jeunes, voir certains terroristes, se nourrissant de leurs propre haine pour la faire grossir à l’infini(1). Ensuite, et voilà le plus savoureux, ce petit film se pose comme une dénonciation de la critique d’art. Le regard de leur professeur sur leur travail ne repose que sur sa propre subjectivité et pas sur un réel questionnement. En d’autres termes, le professeur projette ses aspirations baba-cool sur un travail réalisé par deux adolescents déments. Un coup de pied dans les habituels discours convenus du critique ou journaliste ! qui sait mieux que l’auteur lui-même ce qu’il a voulu dire.

Le mot de la fin

Affreux, sales et méchants ? Serge BROMBERG, le directeur artistique du Festival, avait beau affirmer qu’il s’agissait là d’oeuvres limites sulfureuses, on ne sortait pas franchement choqué de la projection. Dommage. En un sens, découvrir une animation capable de nous écoeurer ou de nous scandaliser aurait été une véritable réussite sur un plan idéologique. Reste néanmoins quelques courts de qualité, mais trop peu pour s’enflammer.

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