Sourires et rires

La Corée se porte bien

0

Quelques remarques s’imposent tout d’abord quant aux courts projetés. L’ensemble de la projection, réalisée entre 1999 et 2003, a pour thème l’humour, d’où le titre de la séance. On note d’emblée le souci de ces jeunes animateurs de ne pas se laisser piéger par la barrière de la langue : pratiquement tous les courts sont muets, proposés en anglais ou sous-titrés dans la langue de SHAKESPEARE. La preuve que la Corée souhaite, à la différence du Japon, s’ouvrir au marché étranger et produire des animations pensées pour l’exportation. On retrouve aussi ce souci de ne pas se laisser enfermer dans une vision dite « asiatique » de l’animation à travers le design des personnages. Rien ne laisse en effet penser que l’on regarde une production non européenne, tant le trait pourrait venir d’une production française, anglaise ou encore australienne. On remarque d’ailleurs la même chose sur les autres courts projetés depuis le début du festival. Gommer les particularismes culturels pour toucher le public mondial ? Un souhait bien légitime. Toutefois, ne peut-on craindre par la même occasion une perte de la spécificité culturelle coréenne ?

Riez bien !

L’humour coréen paraît ici finalement assez proche du nôtre. Les situations cocasses, absurdes ou invraisemblables sont légion, et souvent assez cruelles. Presque toutes les histoires ont ainsi un fond noir assez croustillant. L’ours de I love picnic et de I love sky, réalisés en 3D, se retrouve sans cesse face à des situation kafkaïennes : il pleut donc il ouvre son parapluie, mais alors la pluie s’arrête. S’il ferme son parapluie, l’averse reprend. I Love sky remporte la palme : en pleine chute dans les airs, notre ours va remarquer que son parachute ne s’ouvre pas. Après s’être écrasé dans un champ qui fleure bon la bouse de vache, il fera la connaissance d’une forêt de cactus bien inhospitalière. La salle, hilare, a applaudi la performance.

Tout aussi jouissif, Egg-Cola, autre production 3D. Si le premier court impressionne moyennement (trois voleurs viennent dérober un oeuf géant produisant des petits oeufs contenant du soda), le second, Egg-Cola – A miracle in the Desert montre une réalisation aussi étourdissante que celles des scènes d’actions de Star Wars ! Imaginez une sorte de tank dans lequel nos héros traversent le désert, poursuivis par une horde d’aliens naïfs, accrocs au soda ! Humour délirant, course poursuite d’un rythme infernal : une pépite.

Cynique

Plus cynique, mais tout aussi passionnant, on retrouve On the Edge of Death, production mêlant pâte à modeler et ordinateur. On croit tout d’abord à un drame, puisqu’on retrouve un homme chez lui sur le point de se suicider en avalant des cachets. Malheureusement pour lui, il échoue et vomit tout ce qu’il peut. Il essaye ensuite par tous les moyens de se tuer, sans y arriver. On rit, un peu honteux, des déboires de cet homme. Le sujet avait de quoi faire peur : comment tourner en dérision un homme voulant en finir avec la vie ? Pourtant, le résultat donne une furieuse envie de découvrir le reste du travail du studio d’animation ayant officié.

Sofa, production en 2D, propose pour sa part une parabole sur l’incommunication : deux sofas sur lesquels vivent un homme et une femme sont filmés de face et en plan large, séparés par une fenêtre. La femme caresse son chat de manière névrotique, l’homme a des démangeaisons. On croit par dix fois qu’ils vont entrer dans le champ de l’autre, mais dès qu’un personnage est sur le point de franchir la fenêtre, il disparaît de l’écran.

Angel, autre production en pâte à modeler, s’avère des plus grinçantes. On y suit les pérégrinations d’un prisonnier famélique dans une prison lugubre. Il essaie par tous les moyens de voler, en sautant de sa chaise et en battant des bras, se blessant plus qu’autre chose, et finit par en mourir : mais, le voilà devenu un Ange, et il peut ainsi réaliser son rêve.

Autre travail surprenant, GolnDol The Chief Investigator, sur cellulo. L’histoire a de quoi laisser perplexe : à l’époque préhistorique, une jeune femme se fait violer et l’inspecteur de police arrive pour démasquer le coupable. De très mauvais goût, puisqu’on laisse entendre que la femme a pu pousser par son attitude provocante son agresseur à la violer, et franchement coquin par moment (présence de godemichés en pierre !), le résultat laisse un goût quelque peu amer dans la bouche. On aimerait bien comprendre où veut en venir le réalisateur.

La Corée et l’animation

La diversité des techniques de ces courts et le ton employé, mêlant rires et larmes, donne l’image d’un pays dans lequel l’animation prend son envol. Pendant longtemps, la Corée s’est contentée de sous-traiter des animations françaises ou japonaises. Mais dans l’ombre, une nouvelle génération d’animateurs a compris l’importance de créer ses propres oeuvres. Le résultat laisse à penser que les jeunes animateurs coréens ont été inspirés par des oeuvres européennes, américaines ou japonaises. De ce melting-pot culturel naissent des anime rythmés et surtout, avec une véritable prise de position visuelle et scénaristique. Des jeunes animateurs conscients que les images ne sont pas neutres, mais qu’elles racontent et qu’elles démontrent. On attend donc, avec impatience, de voir arriver ces travaux en France, où elles ne pourront que séduire un public en quête d’une animation adulte et intelligente.

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur