Tetsuwan Atomu vs Tetsujin 28

Cyborg humaniste et Androïde nihiliste

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1963, TEZUKA Osamu est déjà un grand du manga. Il a été contacté par la Tôei pour

travailler sur 3 longs métrages, dont Le Roi des singes. Déçu de cette

expérience dans le domaine de l’animation, car son travail y était retouché, TEZUKA

fonde la société Mushi Production (1). Il décide alors de produire une animation

hebdomadaire de Astro, son manga le plus célèbre, débuté en 1956. Personne

ne croit à son projet. Pourtant, Tetsuwan Atomu s’étalera sur pas moins

de 200 épisodes… Pour arriver à ses fins, TEZUKA met en place ce que l’on qualifie

d’animation limitée : plans fixes, mouvements de caméra sur cellulos qui donnent

l’illusion du mouvement… tous les moyens sont bons pour donner l’impression que

« ça bouge » !

Tetsujin 28 est pour sa part l’adaptation d’un manga de YOKOYAMA Mitsuteru,

paru dans les pages du magazine pour garçons Shônen, en 1956. La version

animée est lancée le 20 octobre 1963, soit 9 mois après le début d’Astro.

Les progrès dans le domaine de l’animation vont alors très vite, car, techniquement,

cet anime est déjà bien supérieur à Astro : il y a du mouvement et des

scènes rythmées, le tout sous l’influence marquée des Merry Melodies

américains. Au-delà de l’aspect purement technique, Astro et Tetsujin

28
s’opposent l’un à l’autre en mettant en scène deux robots qui ne font

ni appel aux mêmes références culturelles, ni ne « racontent » la même chose sur

le Japon de l’après-guerre.

Deux naissances

Le professeur Tenma aime profondément son fils Tobio ; lorsque ce dernier meurt

dans un accident de voiture, il décide de créer un robot qui le ressuscitera.

Mais très vite, le savant se rend compte que ce robot n’est qu’une pâle copie

de son fils : il ne peut grandir. Répudié et revendu à un promoteur de cirque,

Astro est alors engagé comme gladiateur, et doit combattre d’autres robots pour

le plaisir de spectateurs avides de violence. Astro n’a cure de tout cela, et

préfère redonner de l’énergie aux robots que le cirque a abandonné. Plus tard,

lorsque le chapiteau s’écroule, Astro et ses nouveaux amis sauvent les humains

en danger et font prendre conscience au monde que les robots ont une âme. Ainsi,

Astro est recueilli par le Ministère des Sciences, et devient un symbole.

Dans Tetsujin 28, le savant Haneda a construit un robot de combat pour

gagner la guerre, robot qu’il n’a jamais pu utiliser. Lorsqu’il décède, son confrère

montre à son fils le robot caché dans une base secrète militaire. C’est alors

que des contrebandiers de l’organisation PX, assistés d’un ancien collaborateur

renégat, font leur apparition pour enlever le robot. Ce dernier est réveillé par

les membres de PX, et part vers la ville semer la terreur. PX réussit à faire

venir le robot vers la mer pour s’enfuir avec lui, mais la police les en empêche.

Des gangsters, dont un membre a été tué à cause de Tetsujin 28, décident de se

venger du robot, et lui lancent de la dynamite pour le faire chuter à la mer.

Les robots ont-ils une âme ?

Astro et Tetsujin 28 sont construits selon un principe différent.

Tout d’abord, Astro est typé cyborg : il a conservé en lui une part de Tobio,

son coeur est pur avec la mentalité d’un enfant. Tetsujin 28 est quant à lui une

machine sans âme, un androïde. Aucune émotion ne l’agite.Pour TEZUKA, Astro est

un cadeau de l’Homme à l’Homme. En voulant sauver son fils, le professeur Tenma

offre un nouveau sauveur au monde. Sa naissance permettra aux hommes de prendre

conscience que la chair n’a pas le monopole de l’âme, et que le métal peut avoir

des sentiments. Dans sa vision humaniste, TEZUKA fait d’Astro une passerelle qui

réconcilie l’homme avec la technologie. Une technologie qu’il craint, puisqu’elle

peut aussi bien produire la voiture que la bombe nucléaire. Astro incarne donc

un nouvel homme qui a un pied dans le futur (il naît en 2003), tout en conservant

ses valeurs de l’époque. Le professeur Ochanomizu s’écriera même : « Ils sont

vivants, ces robots !
»

Tetsujin 28, pour sa part, est une machine, un reliquat de la guerre. Quand nous

le rencontrons pour la première fois, c’est une silhouette gigantesque qui s’impose

à nous, celle d’un titan. Le visage est enfoncé dans le corps, sans cou, le tronc

énorme et les jambes et les bras ressemblent à des branches d’arbres noueux. Tetsujin

28 peut être contrôlé par n’importe qui : il suffit d’utiliser le bon boîtier

de commande. Si on connaît le code, on peut contrôler le robot. En revanche, si

on actionne les boutons au hasard, on donne à Tetsujin 28 une semi conscience

: ce dernier est alors gouverné par des sentiments destructeurs. Tout ceci signifie

que la technologie est neutre, mais pas son créateur ou possesseur. Tetsujin 28

est une arme et selon la personne qui presse la gâchette, le résultat est plus

ou moins heureux. Lorsque Tetsujin 28 est libéré, le scientifique qui a participé

à sa construction s’exclame : « C’est une catastrophe ! ». Rien à voir

avec Astro, donc. Tetsujin 28 est plutôt un golem, une créature débile qui écrase

tout sur son passage. Un souvenir de la guerre : un souvenir de l’horreur. Une

sorte de part de l’inconscient japonais, qui hurle la colère de sa défaite et

son envie de vengeance.

A la croisée des genres

Si la thématique est différente, les références que charrient Astro et

Tetsujin 28 le sont tout autant. Ainsi, TEZUKA rend hommage à l’expressionnisme

allemand et au Métropolis de Fritz LANG en figurant, par des plans quasi

fixes, mais d’une force visuelle stupéfiante, la naissance d’Astro, ou la découverte

de sa ville. On le voit aussi rendre hommage au CHAPLIN des Temps Modernes,

lorsque les savants actionnent les machines qui vont lui donner naissance, machines

dont le rythme s’impose à l’homme.

Tetsujin 28 s’inscrit pour sa part dans le genre du serial américain

dont il emprunte les gangsters, espions, policiers, et le rythme décousu mais

trépidant. Respecter les unités de temps ou de lieux est le cadet des soucis du

staff de la série, tout comme la volonté de transmettre un message. Seul le divertissement

importe.

Humanisme et nihilisme

TEZUKA impose son Astro comme une oeuvre accessible aux plus grands

comme aux plus petits, véhiculant une philosophie humaniste qui voit l’abnégation

et le partage érigés comme les nouvelles valeurs de la société. Au contraire,

YOKOYAMA dépeint un Japon dont la violence ne demande qu’à s’exprimer. Le rythme

trépidant de l’épisode traduit le rythme désordonné que suit le monde du début

des années 60 (crise des missiles nucléaires en 1962). Quand bien même Tetsujin

28
est techniquement meilleur qu’Astro, ce dernier lui reste malgré

tout largement supérieur. TEZUKA sait magnifiquement conjuguer l’humour,

l’émotion et l’action, là ou YOKOYAMA ne vise qu’à divertir avec un récit d’espionnage

haletant mais sans réelle profondeur.

Il n’en reste pas moins que le visionnage de ces deux séries prouve sans conteste qu’en 1963, le Japon avait déjà posé les bases de ce qui allait faire de leur production animée télévisuelle une réussite majeure, à savoir la capacité de transcrire des idées et émotions en allégories qui touchent directement le public au coeur.

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