Je ne sais pas pour vous, mais je trouve l’histoire qui suit à vomir :
Maillé, «Linlin» est passé à tabac et le petit village vendéen soutient… l’agresseur.
«C’est le bouc émissaire idéal, on se croirait au Moyen Age»
Par LA CASINIERE Nicolas DE
lundi 12 septembre 2005 (Liberation – 06:00)
Maillé (Vendée) envoyé spécial
l dit : «Maman, j’ai la tête qui sent le pourri.» Linlin devrait sortir de l’hôpital mercredi, avec des cicatrices plein le crâne et des troubles de la vision. Il devra en outre marcher avec des béquilles. Dans la nuit du 26 juillet, à Maillé (Vendée), un petit village en plein Marais poitevin, un habitant a copieusement assaisonné à coups de barre de fer puis frappé au sol Alain Billault, dit Linlin, jusqu’à ce que les gyrophares des gendarmes arrêtent sa fureur. Tout cela devant deux voisins qui regardaient, la fourche à la main. Après ce passage à tabac entre voisins, l’ambulance a emporté une victime, la rate éclatée, le bras en hématome, les dents cassées, une cheville tuméfiée.
Pétitions. Linlin, c’est un peu le «simplet du village». Mais un «simplet» que le village déteste. Car, aussitôt l’affaire connue, un comité de soutien à l’agresseur s’est créé. Mené par le maire, Laurent Joyeux, contrôleur laitier à la retraite. Sans états d’âme, celui-ci défend l’agresseur : «Débordé par l’exaspération, il a fini par disjoncter.» Puis ajoute : «Il faut le protéger, lui et sa famille, tant que Billault ne respecte pas les règles de vie. Il rôde tous les soirs, à observer les étoiles qu’il dit. S’il continue avec son petit côté provocateur, je ne réponds de rien. Pensez : il a même attaché son cheval aux portes de l’église et au monument aux morts.»
Après une réunion publique où il n’aurait pas fait bon prendre la défense du paria du village, les pétitions ont été signées en mairie. Trois cents personnes de la commune de 730 âmes et des environs ont donné leur nom. «C’est rendu trop loin, dit une voisine. Nous, il ne nous a rien fait, mais on sait qu’il a barboté une clôture, et peut-être bien volé du bois.» Son mari aurait souhaité servir de médiateur, mais finalement, «solidaire avec ses voisins», il est dans le comité de soutien à l’agresseur : «Si Billault revient, cela va devenir malsain pour sa santé physique. On connaît bien Antoine : il a failli le tuer parce qu’il n’y a que ça à faire…»
Bruits et chapardages. Gaillard de 110 kg pris pour un demeuré, Alain Billault a donc tous les torts. Voyez un peu, il fait des feux de paille humide qui font de la «fumaille», comme on dit dans ce marais mouillé du sud de la Vendée ; mais aussi il met de la musique à tue-tête, fait du bruit avec son motoculteur ou la chaîne de sa jument Prunelle qui piafferait la nuit près de la haie du voisin. Il chine des bouts de ferraille à la déchetterie, il récupère les palettes, encombre son jardin de charrettes à bras, de roues de carriole et de vieux engins agricoles abandonnés dans les champs. Circonstances aggravantes, il le fait souvent sans demander la permission. Forcément, on l’accuse alors de vol, de chapardage de bois. Un jour de ramassage des encombrants, il récupère un vélo qui n’était pas vraiment au rebut. Le maire invoque «des faits répétés sans contentieux de justice», et lâche de méchantes rumeurs : «Des histoires de moeurs à la maison de retraite.» On a compris, Alain n’est peut-être pas quelqu’un de facile. «Son tort, c’est d’être différent», lâche Olivier, à qui on a toujours reproché d’avoir passé la photo de Linlin dans son petit journal local, la Mogette. Et il raconte : «Il est à part, il laboure à l’ancienne, cultive avec de vieux outils. Il se promène avec un char à bancs tracté par sa jument. C’est le bouc émissaire idéal. On se croirait au Moyen Age. Il a peut-être mal réagi, construit des hangars qui tiennent pas debout et fait des feux un peu casse-couilles, mais de là à le massacrer…»
Enfant de l’assistance, Alain est sous tutelle, invalide à 80 %. A 38 ans, il ne sait pas vraiment lire, ni compter. Cela fait maintenant quinze ans qu’il habite le village avec Marinette Belloeil, qu’il appelle «maman». Marinette n’est pas administrativement sa mère adoptive, elle l’a recueilli à 3 mois. Devant la haine exacerbée du village, elle a lancé la procédure d’adoption.
«Qu’un bon à rien». Alain vit avec sa jument Prunelle, le chien Virgule, un jars, des poules et une biquette sans nom. Les rares qui l’acceptent l’appellent Linlin, Titi ou «mon p’tit drôle».
Au village, c’est devenu un jeu. Quand ils le voient, les gens se moquent de lui, l’excitent. «Il a pourtant juste besoin d’être un peu considéré, qu’on lui parle d’humain à humain. Il ne connaît pas les codes sociaux, tempère Lionel Julien, seul conseiller municipal d’opposition. Ce n’est pas un demeuré, mais il n’a pas l’intelligence des situations. Il est naïf et ne comprend pas que la scierie puisse faire du feu et pas lui.»
Un jour, sur un chemin de halage d’un des canaux du marais, un tracteur a bloqué sa charrette. «Tu fais rien, t’es qu’un bon à rien», aurait lâché le paysan avant de lui braquer sa fourche dans le ventre. Alain a beau n’avoir jamais agressé quiconque, à Maillé on parle insécurité à tous vents. Un habitant marmonne : «Il rumine forcément une vengeance.» Un autre : «On ne sait pas ce qui peut lui passer par la tête.» En tout cas, on lui a brûlé un hangar, une charrette. Des canards et des poules ont disparu.
Et puis le maire ne le supporte pas. Il l’a déjà interdit de séjour un an et demi dans la commune, et l’a fait hospitaliser d’office à trois reprises. A chaque fois, les gendarmes sont venus en nombre, avec des gilets pare-balles. L’ont emmené menotté. Les psychiatres l’ont chaque fois laissé sortir. La troisième fois, Alain s’est un peu défendu. Il a fait des moulinets avec un couteau de cuisine. Six mois de prison ferme. La semaine dernière, au tribunal de La Roche-sur-Yon, la prison avec sursis a été requise contre lui pour des nuisances sonores. Le jugement sera rendu jeudi.
En attendant, à Maillé, personne ne parle du procès de son voisin pour tentative d’homicide.