~~Banquiselard~~
Ombre qui murmure et Ombre qui brûle.
Comme le temps avait passé ! Tant d’années au sein de la maison des Serdaigles, forcément, Bub prenait ses aises : il avait réussi à négocier une chambre particulière, rien que pour lui.
Loin d’être un caprice, ou un simple luxe, Bub avait surtout besoin de la discrétion la plus absolue pour la poursuite de son mémoire sur la magie archaïque pratiquée par les hommes des temps anciens.
Nuls grimoires, nulles potions sur lesquels s’appuyer pour étayer sa thèse, seulement d’obscurs artefacts multimillénaires, recueillis ça et là à la surface du monde, et mis gracieusement à sa disposition par de diligents professeurs des forces du mal qui espéraient en retour pouvoir un jour exploiter ces terribles reliques du passé.
Bub songeait aux puissances terribles qui sommeillaient partout sur la Terre depuis l’aube des temps. Sa thèse portait principalement sur le rapport entre l’extraordinaire pouvoir de certains artefacts découverts dans son Ecosse natale, et la fin brutale de la dernière ère glaciaire il y a 10000 ans, qui a nourri tant de légendes sur de supposées catastrophes comme des déluges et autres. Le mémoire intéressait tellement le Ministère de la magie qu’il fut déclaré d’utilité publique et Bub gagna une conséquente bourse pour la fin de ses études à Banquiselard.
Mais manipuler ainsi d’aussi redoutables objets réclamait une discrétion particulièrement zélée, et seuls quelques élèves Serdaigles dignes de confiance furent mis dans la confidence.
Précieux artefacts, découvertes cruciales, matériel de pointe, magie antédiluvienne, excursions aux frais du Ministère – avec la bénédiction des professeurs – l’année scolaire s’annonçait riche et passionnante. Mais mieux valait rester sur ses gardes, les élèves des autres maisons étant par nature si peu fiables dès lors qu’on leur confiait des choses qui les dépassaient. Prudence donc.
Il restait un peu de temps avant de partir diner avec les autres, aussi Bub entreprit de jeter un coup d’œil à ses travaux en cours.
L’un d’eux occupait plus que de raison son esprit ces derniers temps : une étrange sculpture en bois de renne, de 6 centimètres environ, aux formes vaguement humaines, gravée de symboles liés, apparemment, à la Lune, aux serpents, à un personnage non encore clairement définis, mais semblait-il important. Le tout paraissait raconter une histoire, peut-être une légende depuis longtemps oubliée. A moins que ce ne fut une relique en l’honneur d’une personne puissante, guerrier, roi ou… sorcier.
Ces très anciens mythes concordaient souvent autour d’un terrible événement qui serait survenu au cours des âges glaciaires. Une force si dévastatrice, que son souvenir demeurait encore partiellement dans la plupart des reliques trouvées ça et là dans toute l’Europe, sur une période de plusieurs millénaires. Plus Bub avançait dans ses travaux, plus il était convaincu qu’il s’agissait là de témoignages indirects liés à l’exercice des premiers sorciers ayant vécu sur Terre, un combat titanesque, effroyable, aux conséquences encore difficilement évaluées, mais qui bouleversèrent la planète entière jusqu’à notre époque.
Il était encore trop tôt pour l’affirmer, pour commencer à poser des hypothèses solides mais il y avait là matière à exhumer de tous ces artefacts de bien redoutables chapitres de l’Histoire des Sorciers.
Pour Bub l’enjeu était double. Faire la lumière sur les (véritables) origines des sorciers, et poser des jalons dès sa sortie de Banquiselard pour un poste d’Auror. Combiner le savoir des sorts modernes les plus dangereux avec la connaissance des maléfices destructeurs venus du fond des âges. L’ambition était énorme, mais les événements liés à celui-dont-on-ne-doit-pas-dire-le-nom avaient rappelé que la société des sorciers était bien fragile, et que vu le nombre impressionnant de grands sorciers tombés à ce moment-là, mieux valait déjà se prémunir d’un éventuel nouveau danger qui pourrait survenir et décimer pour de bon le monde des sorciers.
Il se murmurait déjà que les conséquences de la dernière guerre avaient porté un coup si fort que le déséquilibre des forces magiques qui régissaient le monde chancelait de plus en plus, menaçant à tout moment de libérer de nouvelles puissances nuisibles jusque là bridées par la présence des grands sorciers. Mais à présent que beaucoup avaient disparus, le rapport de force entre le bien et le mal semblait s’être renversé, et les quelques années écoulées virent des troubles naître un peu partout dans le monde, du fait du déchainement de forces jusqu’ici étouffées.
C’est pourquoi la maison des Serdaigles représentait entre toutes le plus grand espoir de paix pour l’avenir : le Savoir, la Stratégie, la Vision à long terme, voilà de quoi le monde avait urgemment besoin, il ne pouvait se permettre de replonger tête baissée dans l’impulsivité des Gryffondors, sans lesquels peut-être plus de sorciers s’en seraient sortis indemnes, ni compter sur la loyauté des Serpentards, dont bien des membres faisaient dorénavant l’objet de surveillance approchée, ni enfin des Poufsouffles, sympathiques et braves, mais tellement inconstants.
L’avenir s’écrivait donc à présent en pointillé dans le monde immuable des sorciers, un comble.
Bub examinait à présent plus attentivement la petite statuette. Il était délicat de jeter imprudemment des sorts sur ce genre d’objet sans quelques précautions élémentaires. Bub se remémorait une très délicate expérience : à la suite d’un sort d’Amplificatum, un maléfice s’était libéré d’une amulette en apparence anodine. Un liquide sombre bitumeux avait surgit de cavités invisibles à l’œil nu, révélées soudain par le sort d’agrandissement. Il s’était longuement versé sur le sol de la chambre, jusqu’au moment où il sembla tout à coup adopter des formes de plus en précises, rampant sur le plancher tel une ombre d’une quelconque créature difforme. S’étalant à vue d’œil, la chose prenait vie, et fuit en un clin d’œil dans une brèche au pied du mur de la pièce. Bien qu’hermétiquement scellée par des sorts puissants, Bub craignit alors d’avoir ramener à la surface un esprit menaçant, suffisamment dangereux en tout cas pour mettre en péril et sa bourse et ses projets au sein de l’élite des sorciers. Puis il pensa qu’il serait peut-être embêtant que cette « chose » ravage aussi tout Banquiselard…
La « chose » demeura là pendant des jours, laissant parfois échapper au cœur de la nuit un soupir étouffé. Ces étranges plaintes muettes nocturnes avaient fini par ne plus l’impressionner. Malgré tout, les sorts d’amplification du son n’avaient donné aucun résultat. La créature voulait-elle communiquer avec lui ?
A partir de ce moment, Bub tenta mille et une approches pour établir un contact avec elle, qui sait ce qu’elle pouvait bien lui apprendre ? Après tout, pas une seule fois elle se montra agressive, ni menaçante, ni rien. A quatre patte devant l’interstice, il essayait de gigoter l’amulette pour que la « chose » sorte de son trou. Rien n’y faisait. Il essaya même de lui donner des croquettes de Zlu, son chactus, mi-chat, mi-cactus, qui restait largement indifférent à ce phénomène, jusqu’au moment où la « chose » bondit sur ses précieuses croquettes de poisson !
Petit à petit, la « chose » reprenait forme, l’ombre se faisait plus précise.
C’était une jeune fille – quelle chance ! – venue tout droit du lointain passé. Elle subsistait dorénavant sous la forme d’une ombre fluette se promenant sur les murs de la chambre. On pouvait deviner son gracieux visage et son regard triste sur la surface plane de la pièce. Un sort de traduction permit à Bub d’en apprendre beaucoup sur elle, sur sa vie, son époque et sur ses pouvoirs d’ancienne jeune mage dévouée à un dieu cerf tout puissant. Elle s’appelait Danüd. Il était encore trop tôt pour révéler toute cette histoire à quiconque ; et sait-on jamais, Bub risquait peut-être de griller sa future carrière en dévoilant son existence…
Ils conclurent tout deux un Pacte.
Elle l’aidait dans ses recherches, il lui permettait de se fondre dans son ombre et de quitter la chambre, jusqu’au jour où ils trouveraient le moyen de lui rendre corps.
Nul ne s’en aperçut jamais.
Mais cela servit de leçon à Bub. Ce jour-là il eut de la chance de rendre vie à Danüd. Demain il pourrait par inadvertance rendre vie à de terribles sorciers.
On frappa à la porte.
C’était l’heure de diner. Perdu dans ses pensées, il n’avait pas vu le temps passer.
Oui, décidemment, le temps passait vite à Banquiselard.
Il rangea la statuette en bois de renne, rejoignit ses camarades et tous ensemble se dirigèrent vers la grande salle.
En chemin, ils croisèrent cette petite nouvelle de Gryffondor dont on commençait à entendre beaucoup parler, tant sa nomination dans cette maison surprit les plus anciens élèves. Gexian avait immédiatement perçu en elle son ennemie naturelle. Kinara pour sa part n’appréciait pas du tout son air hautain et faux. Bub quant à lui n’oublia jamais cette première rencontre. L’ombre d’Akiko paraissait surnaturelle à ses yeux, parcourue de palpitations hallucinantes, telles des flammes noires s’agitant sous le nez des fantômes qui observaient intensément la scène depuis leurs tableaux couverts de toiles d’araignées. Danüd glissait à son tour le long du mur et défiait silencieusement dans les ténèbres cette sombre puissance maligne qui faisait son entrée dans le sanctuaire de Banquiselard.
Chacun partit de son côté, et Danüd dans un murmure souffla : « J’ai rencontré le rejeton de l’esprit du Grand Veneur, le Chasseur Noir, Ilerda ! C’est ainsi que nous l’appelions, le Chantre du Chaos ! ».
Ce soir là Bub mangea rapidement et s’en retourna vite à sa chambre.
Le temps passait trop vite.
Serait-il prêt à temps pour affronter les terribles événements à venir ?