Citation (bouddhacrie @ 11/09/2009, 19:49)
Oui, d'ailleur c'est une honte de ne pas avoir citer plus de manhwaga!
Certes. <img src="style_emoticons//happy.gif” style=”vertical-align:middle” emoid=”^_^” border=”0″ alt=”happy.gif” />
Et pourquoi pas non plus les auteurs chinois comme Benjamin ?
Faire une longue liste exhaustive de tous les auteurs du Japon ou de Navarre que l'on peut rencontrer dans cette même veine me parait quand même moins intéressant que de discuter de ce que peut apporter un traitement réaliste d'une oeuvre dessinée.
Or donc, comme dirait l'autre, j'ai replongé dans l'excellent L'art invisible de Scott McCloud, d'une lecture absolument incontournable. Il en ressort pas mal de choses sur ce qui nous intéresse. Je vais tenter de résumer ( et de ne pas trop dire de conneries ) :
Toute la question est de savoir pourquoi l’auteur choisit de dessiner son univers de façon réaliste, et comment il le fait.
Pour chaque image, le niveau d'abstraction varie. Pour le sujet évoqué par Yupa, nous sommes ici en présence d'oeuvres qui prétendent à un certain réalisme figuratif.
Le niveau de détails pour chaque illustration tend à rendre ce qui est représenté le plus possible de ce que l'on pourrait voir dans la vie réelle. Si dans ce genre de récits nous aurons des visages très bien décrits, la perception que nous en aurons n’en sera que plus forte. Par exemple, pensez aux cheveux des protagonistes dans Vagabond comme l’a relevé Baklael ( pour un peu, on sentirait presque leur odeur ). Une telle précision dans le traitement de l’image est rare dans la BD. Mais qu’est-ce que cela apporte finalement ?
Prenons l’inverse : tintin. Hergé a créé son personnage de la façon la plus stylisée possible : sa tête, en dehors de la houpette, est la plus insignifiante possible. Pourtant, cela relève d’un choix délibéré : moins le héros possède de traits caractéristiques, plus le lecteur s’identifiera à lui, s’immergera dans le récit. Le choix d’Hergé est ainsi celui aussi d’Adachi : ses héros ont tous quelque chose de plat, de banal, de standard. Mais le lecteur moyen se mettra ainsi plus aisément dans les baskets du héros et s’investira plus facilement dans ses déboires sportifs et amoureux. Plus abstrait, ce type de perso gagne en interactivité.
Chose parfaitement impossible avec des personnages comme le capitaine haddock par exemple, bien plus fouillés, plus en reliefs, bref, plus réalistes.
Un personnage réaliste donc, loin d’entrainer une identification du lecteur, se dote comme d’une espèce de carapace qui fait qu’on le perçoit immédiatement comme « autre ».
Ces personnages là, sont tout ce que nous ne serons jamais, du moins pour la majorité des gens. Cela peut être des personnages de fiction, aux qualités exceptionnelles ( genre City Hunter ). Mais aussi des personnages réels, comme Musashi dans Vagabond.
Il y a une distanciation entre le lecteur et le personnage. Par exemple rares sont ceux qui pourraient aisément s’identifier au Crying Freeman.
La façon dont vont se servir les auteurs de cette distanciation est ce qui nous intéresse ici.
Le réalisme en premier lieu permet de donner plus de relief aux décors, aux objets, en faisant appel à l’expérience du lecteur. Quand Musashi tranche avec son sabre par exemple, on « sait » que son adversaire est foutu. A contrario, quand Goku se prend une tôle, le lecteur a plus de mal à se représenter la violence de l’impact des coups qu’il se prend. D’où une nécessaire surenchère de superpouvoirs qui créent des effets dynamiques pour donner plus de force aux coups échangés. Quand Musashi doit tenir compte de son équilibre, de sa vitesse, de son adresse ( le tout parfaitement rendu par l’auteur qui maîtrise son art ) afin de progresser dans sa voie du sabre, Goku lui se relève, s’énerve un bon coup, ou nous sort une nouvelle technique pour se tirer d’affaire ( d’où les entourloupes scénaristiques récurrentes de Toriyama pour « booster » les capacités de notre héros, qui au bout d’un moment fini par se retrouver plus puissant qu’un dieu… ).
Cet exemple pour montrer que le réalisme du récit tient surtout par la perception qu’en a le lecteur. Ainsi, si le dessin de L’habitant de l’infini peut être ressenti comme tout aussi réaliste que celui de vagabond, les délires de l’auteur et sa surenchère de coups spéciaux tordus et de passages gores plombent la vraisemblance de l’œuvre.
Le style réaliste peut aussi être choisit pour traiter un sujet biographique, comme par exemple « Au temps de Botchan ». Ce choix peut paraître relativement évident, pour coller le plus près possible à la réalité historique, mais des œuvres comme « Gen d’Hiroshima » ou « Mauss » ont choisi d’autres représentations plus abstraites pour peindre les horreurs de la guerre.
Mais ce n’est pas tout. McCloud a relevé une particularité propre aux auteurs japonais qui jouent avec bonheur avec les mélanges de représentations tantôt réalistes, tantôt abstraits.
On a vu que pour s’identifier au héros, l’auteur peut délibérément dessiner son personnage principal de façon la plus lisse possible pour permettre un maximum d’empathie du lectorat. Dès lors, un personnage menaçant, louche, sera dessiné de façon plus détaillée, accentuant aux yeux du lecteur cette impression « d’autre », la rendant ainsi plus perceptible et menaçante. Je n’ai pas d’exemples précis en tête, mais le bouquin de Mc Cloud donne pas mal d’exemple tirés d’extraits de manga très convaincants.
Au final, ce n’est pas tant le réalisme d’une illustration qui importe, que le choix de l’auteur, ou plutôt sa stratégie, de dessiner de telle façon pour mieux créer certains effets et impliquer son lecteur à son histoire de différentes manières.
C’est pourquoi on ne peut pas vraiment tirer de généralités des mangas « réalistes ».
Je vais prendre deux exemples : Planètes et Moonlight Mile
Dans le premier, l’auteur a cherché à retranscrire l’environnement spatial avec le plus grand luxe de détails possibles. Les mechas sont très réussis, la Lune est excellent rendue, le cosmos a l’air VRAIMENT dangereux, et les passages se passant sur Terre semblent du coup bien plus « sécurisants », paisibles. Les personnages eux sont assez classiques, ils ne bénéficient pas du même traitement graphique que l’univers mis en place par l’auteur. Physiquement ils sont à peu près tous sortis du même moule : filiformes, grands, les visages sans traits particulièrement caractéristiques. Du coup on s’identifie plus facilement à eux. Et l’auteur passe ainsi plus aisément ses messages sur l’amour, alors que dans tout autre contexte, on sourirait à ce genre de déballages un peu mièvres ( dans Angel Heart par exemple ça a du mal à passer ). Mais là on s’en fout, bien au contraire, on en vient même à méditer chacune des paroles des héros. Du grand art.
MoonlightMile était présenté comme un titre tout aussi ambitieux que Planètes. Mais les deux titres n’ont rien à voir. Ici les personnages sont tous bodybuildés, ils sont légèrement plus fouillés graphiquement, et l’empathie ne marche pas sur le même plan. Ce titre est résolument tourné vers l’action, à outrance et parfois jusqu’au ridicule. L’espace est un terrain de jeux, et même si certains y meurent, il n’est pas perçu par le lecteur comme l’espace de Planètes, bien plus vide, infini et froid. Dans MLM, c’est juste le décor principal de l’action, avec ses règles particulières, mais sans plus. Mais cela suffit à son auteur pour y élaborer des dizaines de scénarios. Car à la différence de Planètes, dont l’auteur n’a pas dépassé quatre volumes, MLM possède un potentiel narratif beaucoup plus riche.
Bref, l’un et l’autre veulent jouer sur le plan du réalisme le plus poussé possible, mais à l’arrivée on obtient deux œuvres aux ambitions diamétralement opposées. Le réalisme de Planètes donne de la consistance à ce qui n'en a pas : le vide du cosmos, qui est pratiquement un protagoniste à part entière du manga ( on le devine en creux, comme dans la philosophie orientale du yin et du yang ). Le réalisme de l'espace dans MLM donne pour sa part de la matière scénaristique et un décor à l'action : il est un réceptacle.
Bon j’arrête là pour aujourd’hui car finalement mon pavé est trop brouillon pour en tirer grand-chose. Le traitement réaliste n’est à première vue qu’un effet de style dont usent les mangakas pour tenter de créer un univers qui fera davantage appel à nos sens plutôt qu’à nos émotions, même si certaines oeuvres parviennent à s'affranchir habilement de ces codes, comme Planètes.
Même si ce n’est pas une généralité, on remarque que les récits de samourai, de yakuzas et de SF/mechas ( voire horreur/fantastique ) sont quand même la panacée du genre…
Je reviendrai plus tard sur le cas de Taniguchi.