http://www.lefigaro.fr/litteraire/20050721.LIT0005.html
j’ai trouvé ça sur le figaro litteraire , alors je vous en fais part voilà voilà…
EN VUE De passage à Paris, le créateur de manga nippon a reçu les insignes de chevalier des Arts et Lettres
Otomo : Akira ou la colère des hommes
PAR OLIVIER DELCROIX
[21 juillet 2005]
Les six tomes d’Akira, de Katsuhiro Otomo viennent d’être réédités par Glénat, 450 p., 12 € chaque tome.
Au premier regard, on est attiré par les poissons exotiques qui font des bulles sur sa chemise rouge. Normal, pense-t-on, pour un mangaka, terme qui, au Japon, signifie «maître de bande dessinée».
Derrière ses lunettes d’architecte, le regard serein de Katsuhiro Otomo vous observe avec aménité. On suppose que ce n’est certainement pas dans cette tenue décontractée que l’un des auteurs de manga les plus connus au monde a reçu, il y a quelques jours, les insignes de chevalier des Arts et Lettres des mains de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication. Etrange consécration pour l’un des rois du genre.
Quoi qu’il en soit, le créateur d’Akira (imposante saga de 2 200 planches réalisée entre 1982 et 1990) est ravi de sa visite à Paris. «C’est un grand honneur pour moi de recevoir une telle distinction de la part d’un pays comme la France, dit-il. D’autant que j’ai toujours été très influencé par la culture française. Cela va de dessinateurs tels que Schuiten, Moebius ou Philippe Druillet, à aussi certains romanciers tels Prosper Mérimée ou Jules Verne.»
On retrouve du reste cette touche occidentale dans Akira, sombre plongée dans un futur apocalyptique. Nous sommes en 2019, à Néo-Tokyo. Trente-huit ans après la Troisième Guerre mondiale, le monde commence à renaître de ses cendres. Au coeur de cette mégapole qui est une gigantesque poubelle high-tech, une bande d’adolescents, Tetsuo, Kanéda et quelques autres rebelles du centre d’insertion professionnel, foncent dans la nuit sur des motos volées. Sans autre but que de repousser toujours plus loin les limites de la peur. Alors qu’ils se retrouvent près du cratère où jadis est tombé la première bombe, celle qui déclencha la guerre, soudain, leurs phares éclairent un drôle de petit garçon au visage de vieillard. Leur premier réflexe sera de le molester. Mais cette créature perdue possède un étrange moyen de défense : la télékynésie. Sans s’en rendre compte, ils viennent d’amorcer la première étape d’un processus sans retour : le réveil d’Akira… Tetsuo, qui, au contact du mystérieux vieil enfant, a développé des pouvoirs surnaturels, apprend que cet Akira possède encore plus de puissance que lui. Il part à sa recherche, tout en défiant les militaires qui essayent de l’en empêcher, et devient ainsi l’ennemi public numéro un.
Cette entrée en matière n’est pas sans rappeler La Fureur de vivre, ou L’Equipée sauvage. Et l’on s’aperçoit qu’Otomo n’aime rien tant qu’à créer des personnages en perdition, doués d’un sens de l’honneur à toute épreuve. Comme dans le code du bushido (qui signifie littéralement «volonté déterminée de mourir»), la voie du samouraï, dont il est un fervent adepte. «Savez-vous que ma première bande dessinée était une adaptation de la nouvelle de Prosper Mérimée, Matteo Falcone ?, explique-t-il. J’avais 18 ans. Je n’ai plus vraiment l’histoire en tête. Mais ce dont je me souviens, c’est que le héros finissait par tuer son fils pour rester fidèle à son propre code de l’honneur. Cela m’avait beaucoup marqué à l’époque…»
Les Corses seraient-ils les derniers samouraïs de la France ? Otomo n’en sait rien, mais trouve la plaisanterie à son goût. «En tout cas, fait-il remarquer, nos deux peuples vivent sur une île…» Une différence, toutefois, et de taille. Deux bombes ont ravagé Hiroshima et Nagasaki, bouleversant durablement l’esprit insulaire des créateurs japonais. «Beaucoup de critiques m’ont fait remarquer qu’Akira était une oeuvre violente, désespérée, où planait le spectre de la bombe atomique, note-t-il, sur la défensive. Si cela est vrai, alors, c’est inconscient. Je ne peux évidemment pas cacher que cette tragédie ait eu lieu. Et – qui sait – cela peut transpirer dans mon travail… Ce que je peux vous affirmer, en tout cas, c’est que cela va encore nourrir les créations à venir de nombreux artistes au Japon.»
Otomo a néanmoins fait oeuvre de visionnaire en créant Akira. De passage à Paris, où il a découvert le bon vin, cet artiste discret s’est également passionné pour l’île Séguin où, jadis, s’élevaient les usines Renault. «J’aime beaucoup cette ambiance de technologie rattrapée par la nature sauvage, et recouvert par la végétation, s’enthousiasme-t-il. Pour Akira, je me suis inspiré d’une île près de Nagasaki, l’île Gunkan, que l’on appelait «la cuirassée» parce que, de loin, on ne distinguait qu’une succession de HLM poussés anarchiquement, les uns sur les autres, à l’époque où la production minière était en pointe. Aujourd’hui, tout cela a été laissé à l’abandon. L’île s’est vidée de ses habitants et est interdite pour des raisons de sécurité. Il n’en reste pas moins que c’est un décor formidable.»
On décèle une autre source d’inspiration dans Akira : l’importance du chef de la sécurité, qui n’est pas sans rappeler le propre père d’Otomo. «On me l’a dit à plusieurs reprises, concède-t-il. Il est exact que mon père, Toshio Otomo, propriétaire d’un magasin d’alcool, à Sanema, petit village à cinq kilomètres au nord de Tokyo, aimait la discipline. Il se montrait assez souvent fâché contre moi et me donnait tout le temps des ordres. Il n’a, je crois, pas lu ce que je faisais. Il est mort, il y a dix-sept ans, sans avoir compris mon inspiration. Parfois, il me faisait penser au capitaine Nemo, le héros de 20 000 Lieues sous les mers, le chef-d’oeuvre de Jules Verne que j’ai lu dans mon enfance. C’est sans doute ce texte qui, aujourd’hui, m’a inspiré ma nouvelle histoire, Steamboy, qui se déroule en 1851, dans une Angleterre victorienne où un jeune homme se retrouve en possession d’une formidable source d’énergie, quasiment illimitée, évidemment sujette à toutes les convoitises.»
Après l’apocalypse atomique, et l’écroulement d’un univers ultratechnologique, Otomo a ainsi plongé dans le fer et la vapeur d’un monde éclairé par des quinquets, car la fée électricité n’existait pas encore. Un grand écart qui n’étonnera pas les inconditionnels. Sur sa chemise rouge, les poissons exotiques continuent de faire des bulles.
Edité par kagari le 22-07-2005 à 14:57