Nouvelle rubrique sur le site d’AnimeLand ! Avec “En 2017, j’ai lu…” on vous propose de découvrir ou redécouvrir certains titres plus ou moins récents. Une prise de position qui ne parle pas en l’honneur de la rédaction, mais uniquement de son rédacteur.
À l’occasion de l’arrivée du film Blame! sur la plateforme Netflix, on anticipe le coup en plongeant de nouveau la tête dans l’OVNI de Tsutomu Nihei. Parce que si les moins jeunes connaissent l’œuvre torturée et fascinante qu’est Blame!, peut-être que les plus verts d’entre vous sont passés à côté.
Débarquée en 1997 dans les pages du magazine Afternoon de Kôdansha, Blame! serait la porte d’entrée la plus opaque et anxiogène possible pour quiconque souhaiterait tâter du manga. On a coutume de dire que pour s’initier à un art nouveau, il faut parfois y aller doucement, en s’attaquant à quelque classiques et autres œuvres plus convenues ou maîtrisées. Avec Blame!, au diable les bonnes manières, le confort de lecture. Ici, le lecteur se trouve livré à lui-même en essayant davantage de deviner ce qu’il voit que de comprendre ce que les personnages ne lui disent pas. Une facette immersive qui reposera en grande partie sur le rapport que vous avez avec l’étrange mais qui est la marque de son créateur, Tsutomu Nihei.
Ne blâme pas l’incompris
Servie dans deux éditions (qui ont peu morflé) chez Glénat (on attend la version Perfect!), Blame! se compose de 10 volumes bien remplis, grassement noircis. Parmi les critiques, qu’elles soient d’époques ou plus récentes, bon nombres d’entre elles ont pointé du doigt la construction scénaristique (et même l’absence de trame) de l’œuvre. C’est une première -et grossière- erreur. Pour prendre les choses dans l’ordre, il faut expliquer que nous suivons les pas d’un soldat, Killy, armé d’un gun hyper puissant, et avançant tant bien que mal dans une mégastructure futuriste tentaculaire au possible afin de sauver son monde.
Effectivement, vous n’aurez pas les tenants et les aboutissants du récit de façon concrète ou prémâchée, et pour être sincère, malgré une 4e lecture votre lecteur n’a pas saisi l’ensemble des informations, des explications, du titre. Tout simplement parce que la volonté de l’auteur est de nous propulser à une époque qui nous est inconnue, et dans laquelle moins on a de repères, de logique, mieux on ressentira le sentiment d’oppression et d’insécurité qui nous entoure. Voici donc ce drôle de Killy effectuer une fuite vers l’avant le rendant tantôt aussi insignifiant que ce que nous sommes face à l’univers, tantôt furieusement meurtrier face aux hordes d’ennemis qui souhaitent l’arrêter. Tout ceci n’est donc pas une carence, mais un choix un peu aveugle qui portera ses fruits.
“Je me suis dit que quand une fourmi traverse un immeuble, elle ne doit pas réaliser se trouver dans tel ou tel espace de l’immeuble. Sans prise de conscience des proportions, elle doit avoir une vision particulière de cet univers, de l’immeuble. J’ai donc étudié la question, et cela a donné Blame!”.
T. Nihei
Tais-toi et observe
Pour accompagner cette œuvre cyber-punk signée à 26 ans, Tsutomu Nihei a fondé sa réflexion sur 3 poutres très solides et qui se ramolliront (un peu) au fil de l’évolution de sa carrière. La première, c’est de polir une narration par l’image, minimaliste en terme de dialogue. Ce que fait le personnage, qu’il s’agisse de l’activation d’un mécanisme robotique, le chemin qu’il emprunte ou les décisions qu’il prend, ne sont à aucun moment expliqués de façon rationnelle ou franche. L’auteur nous place, plus que jamais, dans les yeux de son personnage et non dans sa pensée.
Un bon moyen pour savoir si on ne passe pas à côté du manga ou non est de s’interroger sur le temps de lecture qu’un tome vous prend. Il est techniquement possible de lire un volume de Blame! en 7 minutes. Par contre, il est tout aussi possible de le grignoter en 2 heures. Évoluer doucement, en scrutant chaque à case l’architecture de cet univers est un plaisir certain si tant est qu’on soit sensible, une fois encore, à ce qui nous parait loin des standards. Ou peu compréhensible.
“Souvent, dans les mangas, il y a une tentation de remplacer plus facilement l’image par le texte mais cela est un peu artificiel tant qu’on peut utiliser les images. Moi-même, je n’aime pas les histoires trop parlantes”.
T. Nihei
La seconde poutre, bien plus inébranlable, est donc l’architecture, personnage à part entière du récit. Ancien élève d’une école spécialisée en la matière, Tsutomu Nihei est certainement l’un des artistes les plus fascinants dans ce registre et dont le style est une marque déposée. Sans complètement mettre à mal les logiques des perspective (leur profondeur est dingue), l’artiste excellent pour donner une variété infinie à sa charte graphique, ses mécanismes, ses constructions, et donner de la matière à ses surfaces. Dévorante, exponentielle, maladive et tourmentée, son architecture est bonifiée par un découpage qui ne s’interdit aucun angle et s’amuse à user des comparaison pour réduire Killy à cette fameuse fourmi. Un récital qui prend racine dans les passions de l’auteur pour H.R Giger (Alien) et plus largement SF noir issue des américains. Le tout dans une digestion, plus qu’une influence.
Œuvre d’hauteur
En parcourant, même rapidement, l’œuvre, vous noterez qu’ici le ciel, l’herbe et toute autre forme d’organisme vivant ou charnelle (mis à part une poignée d’humain) sont bannies des pages. C’est là la dernière poutre de Nihei, celle du pessimisme. Mais pas le faux pessimisme, celui qui se balaie d’un revers de la main à quelque chapitres de la fin quand le happy-end vient épouser les formes de la bienséance. Non, Blame! est une œuvre dégueulasse et magnifiquement écœurante. La mort, artificielle ou certaine, est un fil rouge (et une fin) qui vous sera servie un coup avec panache et un sens particulièrement aiguisé du dynamisme, ou alors avec un aplomb suicidaire. À côté de son aspect contemplatif, Blame! offre aussi des phases d’affrontements à coup de gun à positron. Répondant à une expression sauvage, ces séquences sont sublimées par le trait irrégulier de Nihei. Plus fougueuses que précises, plus instinctives que calibrées, ces scènes sont des autant de frénétiques exutoires que des odes à la notion de mouvement. Miam.
“Je préfère vraiment les histoires tristes, où les personnages ne sont pas sauvés”
T. Nihei
En sortant de l’œuvre, Blame! est aussi un modèle de réussite, mais pas commerciale. Dans un marché qui demande –le plus souvent- aux artistes de bien construire leur pensée et d’être lisible, Blame! est à l’opposé de tout cela. Non pas sur l’intention parce que Tsutomu Nihei sait parfaitement ce qu’il fait (même s’il écrivait au fur et à mesure), mais par l’acte. Lâché dans un labyrinthe mortel, le lecteur doit retrouver son rôle, celui d’être actif, réactif, et non le témoin providentiel d’un passage. À l’époque, les relents expérimentaux de Nihei n’avaient pas fait que des adeptes et même au Japon le titre n’a pas rencontré un immense succès (son responsable éditorial lui a laissé une liberté totale). Plus récemment, c’est Haruhisa Nakata et son approche artistique sur sa série Levius qui ont récolté les mêmes critiques. On revient à ce qu’on disait plus haut : Blame! n’aura d’impact qu’en fonction de votre rapport à ce qui est inconnu. C’est là l’expérience que vous propose cet auteur obnubilé. Gardons ça en tête avant de visionner son adaptation chez Netflix.
Oeuvre audacieuse et atypique, Blame! est l'expression pure d'un artiste plus que d'un auteur carriériste. Un artiste qui ne vous ménagera pas avec une trame débridée mais profondément intuitive et un enrobage aussi froid qu'admirable. D'autant que derrière la beauté du geste et la démo technique, la misère humaine ne se cache pas. À vous de tester votre sensibilité.
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Graphisme
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Scénario
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Originalité
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Audace
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Découpage
- AuteursTsutomu Nihei
- Editeur VFGlénat
- Editeur VOKôdansha
- PrépublicationAfternoon
- GenreSF, OVNI, Niheiste
- TypeSeinen,
- Date de sortie1997
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