Ambassadeur des yokai, Shigeru Mizuki aurait soufflé ses 98 bougies le 8 mars. Retour sur la vie d’un mangaka aussi riche que son œuvre.
Tout a basculé pour Shigeru Mura à 20 ans. Jusqu’ici, le jeune garçon de Sakaiminato vivait paisiblement, s’inspirant des contes et légendes folkloriques que lui racontait sa nounou/femme de ménage NonNonBâ pour dessiner son théâtre ambulant de papier (kamishibai) sous le nom d’artiste Shigeru Mizuki. Mais, en 1942, il se retrouve engagé dans l’armée japonaise et connaît les pires atrocités durant le conflit du Pacifique : il y perd son bras gauche (pas de panique, il dessinait de la main droite) et contracte la malaria. Mizuki ne doit sa survie qu’à une tribu de Papous, où il pense un instant s’installer. Mais, de retour au Japon, il n’a d’autre choix que rester au pays, en solidarité avec sa famille qui vit de sombres jours (son grand frère est accusé comme criminel de guerre).
Shigeru Mizuki commence à publier ses premiers mangas. Ainsi, les baby-boomers découvrent en 1960 un nouveau héros dans le marché en pleine expansion des akabon, mangas en location avec Gegege no Kitarô. Au sortir de l’occupation américaine, les jeunes Japonais (re)découvrent les yokai, créatures folkloriques, tel un retour aux sources. Soixante ans plus tard, Kitarô et son père-œil restent toujours aussi populaire auprès des Japonais, grands comme petits ! Mizuki entreprend alors un travail considérable de défrichage à travers le pays, pour cataloguer chaque yokai selon les régions du Japon… En parallèle, l’ancien soldat multiplie les œuvres à charge contre l’absurde boucherie que fut la Seconde Guerre mondiale, de son expérience au front (Opération Mort) au portrait de sa plus célèbre incarnation (Hitler).
Après des années de pauvreté (dont témoigne sa femme Nunoe Mura dans l’autobiographie Gegege no Gyôbô en 2008, best-seller écoulé à 500 000 exemplaires et adapté en drama matinal pour NHK), Shigeru Mizuki est devenu une référence du manga à l’échelle mondiale. L’artiste se dévoile alors peu à peu dans son œuvre, que ce soit ses souvenirs d’enfance de NonNonBâ ou tout simplement La vie de Mizuki. Reconnaissante, la municipalité de Sakaiminato lui rend hommage en retour, avec la construction d’une rue jalonnée par une centaine de statuettes de yokai en bronze, la Mizuki Road. Elle part de la gare pour rejoindre le musée dédié à l’artiste, qui venait y ajouter un dessin original chaque année… jusqu’à son décès, le 30 novembre 2015.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.