#TBT : Quartier lointain

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Chef d’œuvre publié il y a vingt-cinq ans au Japon, Quartier lointain a contribué à l’essor du manga en France… mais aussi à la méprise et au malentendu autour de ce médium.

Ce 9 avril 1998, Hiroshi Nakahara a la gueule de bois, suite à un repas d’affaires trop arrosé la veille au soir. Dans le coaltar, le salaryman de 48 ans se trompe de train à la gare de Kyoto ! Au lieu de rentrer directement chez lui, le voilà parti en direction de sa ville natale, Kurayoshi. Il profite de cette occasion pour rendre hommage à sa mère défunte mais, une fois devant sa tombe, il s’évanouit. En reprenant conscience, Hiroshi réalise avoir retrouvé son corps d’adolescent de 13 ans : il vient d’être téléporté en 1963 ! Le 7 avril précisément, quatre mois avant que son père ne quitte le foyer familial, sans aucune explication. Hiroshi saura-t-il exploiter la centaine de jours devant lui pour éviter cette tragédie ?

Après avoir travaillé d’arrache-pied dans les années 1970, Jirô Taniguchi tombe malade au milieu des années 1980 et décide de lever le pied en ne travaillant plus « que huit à neuf heures par jour » (sic). Cette décision se prolonge, au début des années 1990, par l’envie d’explorer une expression artistique plus intimiste et introspective, avec des titres comme L’homme qui marche, Le journal de mon père, L’orme du Caucase, ou encore Le gourmet solitaire. Il y développe notamment un style graphique inspiré de la bande dessinée franco-belge envers laquelle il a une profonde admiration. Suite à un rêve, dans lequel il retournait dans son enfance et déclarait sa flamme à la jeune fille pour qui il avait le béguin, Taniguchi agrémente cette idée de retrouver son corps d’enfant avec son âme d’adulte autour des liens familiaux, et de la possibilité d’influer sur le cours des événements. Prépublié dans le Big Comic, Quartier Lointain sort en deux volumes au Japon, le premier paraissant le 29 septembre 1998, et le second le 19 février de l’année suivante.

Ces thématiques universelles (famille, nostalgie et regret du temps passé) permettent au manga de remporter un succès triomphal en France… à la grande surprise de l’auteur : l’intrigue se déroule en effet dans le Japon des années 60 avec pour héros un salaryman, des contextes japonais difficilement saisissables pour des Occidentaux ! Quartier Lointain bénéficie surtout d’une campagne de promotion inattendue à sa sortie sur notre territoire au début des années 2000. Alors que la presse est vent debout contre les mangas, qualifiés de « japoniaiseries » prônant le sexe et la violence gratuits, les journalistes culturels vantent « la manga », des titres proclamés comme qualitatifs et sans rapport avec le reste de la production. Cet élitisme choisit (bien malgré lui) Taniguchi comme chef de file, vantant ses titres introspectifs et occultant ses productions hard-boiled précédentes ! Si l’on oublie ces effets de manche, Quartier Lointain n’en reste pas moins un chef d’œuvre de la bande dessinée mondiale, qui aura inspiré une adaptation en long métrage live réalisée par le belge Sam Garbarski en 2010… avec des séquences tournées à Japan Expo ! De quoi réunir les adversaires d’antan autour des diverses facettes de la pop-culture nippone.

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A propos de l'auteur

Matthieu Pinon