Dans le cadre du prochain numéro d’AnimeLand, nous avons pu échanger avec Kagetsu Aizawa. L’artiste est surtout connu pour avoir été le chara-designer des deux premières saison d’Orphen (1998-99) et un animateur régulier d’Utena, la fillette révolutionnaire (1997) mais il s’est récemment signalé sur des storyboards de Re-Zero, Kaguya-sama Love is War ou To Your Eternity. Après avoir discuté de la thématique qui nous intéresse (nous vous en parlerons bientôt), Kagetsu Aizawa a tenu à évoquer avec nous sa nouvelle réalisation, Sengoku Yôko, actuellement diffusée sur Crunchyroll.
Ce projet produit par White Fox adapte avec énergie un manga du vétéran Satoshi Mizukami (Samidare). Outre le nom d’Evan Call (Violet Evergarden) à la musique, on retrouve le célèbre scénariste Jukki Hanada (Sound Euphonium!, Rozen Maiden, Steins;Gate 0) au script.
Cette série ambitieuse se démarque par une mise en scène singulière et émotionnelle qui accorde une grande importance aux effets de lumière et aux mouvements des personnages. Après un superbe épisode 7, le show promet une deuxième partie de grande qualité puisque le réalisateur a fait appel à Shigeyasu Yamauchi à la réalisation de certains des épisodes les plus importants. Kagetsu Aizawa est un admirateur du style de Yamauchi qu’il a connu sur quelques épisodes de Crying Freeman notamment.
AnimeLand : Comment êtes-vous arrivé sur le projet d’adaptation de Sengoku Yôko ? Qu’avez-vous pensé de l’œuvre originale ?
Kagetsu Aizawa : C’est un producteur du studio (White Fox, ndlr) qui m’a proposé de rejoindre le projet. J’ai trouvé que c’était un excellent manga avec des personnages plein de charme. La vision de la vie de l’auteur y transparaît remarquablement, ce qui est assez peu commun.
AL : Avez-vous eu des contacts avec Satoshi Mizukami, l’auteur du manga ?
KA : Je suis encore actuellement en contact avec M. Mizukami. Nous discutons de différents éléments de l’univers, des storyboards et des effets sonores. Il me fait part de ses impressions au fil de l’eau par mail ou via Skype. Il est très tolérant et ses indications sont précises, c’est donc très facile de travailler avec lui.
AL : Y’a-t-il des points sur lesquels vous avez particulièrement porté votre attention ?
KA : Au début de l’œuvre originale, l’histoire avance doucement et il y a peu d’explications concernant le passé des personnages. Je me suis dit qu’il était nécessaire, sans changer l’histoire, d’introduire subtilement des éléments qui augurent les scènes d’action effrénées et le portrait des relations qui arrivent par la suite. C’est pour ça que la caméra est dynamique en dehors des scènes de combat et que j’ai choisi de représenter les scènes de vie (j’en ai d’ailleurs rajouté) et de transformation ainsi. Comme c’était impossible par le scénario, j’ai essayé d’introduire une certaine vigueur à travers la mise en scène pour suggérer de manière implicite les événements qui se passeraient par la suite.
©︎Satoshi Mizukami/MAG Garden, Sengoku Youko Animation Partners
AL : Si l’on compare votre œuvre au manga d’origine, on remarque que vous avez ajouté un nombre important de gros plans sur les expressions faciales des personnages. Est-ce un élément auquel vous accordez de l’importance ?
KA : Concernant la mise en scène des émotions, j’aime beaucoup l’humanité qui se dégage des personnages du manga de M. Mizukami et j’apprécie représenter les émotions. Je pense qu’il s’agit donc d’un mélange entre les deux styles. Il y a beaucoup d’éléments représentés de manière objective dans l’œuvre originale, mais moi, je préfère une mise en scène plus subjective, comme dans un shôjo. J’ai donc fait en sorte de pouvoir représenter les descriptions psychologiques et émotionnelles à ma manière tout restant fidèle à l’œuvre originale. Cela ne se traduit pas seulement par les gros plans sur les expressions faciales, on en trouve également des traces dans les paysages, l’utilisation de la lumière, les phénomènes naturels ou encore à travers les réactions des personnages. Je vais continuer à faire des efforts pour arriver à la meilleure mise en scène possible.
AL : La manière de faire coexister la couleur et le noir et blanc dans les flashbacks est particulièrement marquante, d’où vous vient cette idée ?
KA : Cela ne vient pas d’une œuvre en particulier, c’est une idée que j’ai eue pendant la production. J’en ai parlé avec M. Katsuya Yoshi, le réalisateur de l’épisode 2, lors d’une réunion et il a beaucoup aimé l’idée. C’est comme ça que nous avons décidé d’utiliser cette idée de mise en scène.
AL : Votre façon de mettre en scène l’ombre et la lumière est très identifiable. Quel était l’effet recherché ?
KA : Concernant la mise en scène de l’ombre et de la lumière, j’ai à chaque épisode des discussions très précises avec M. Daisuke Horino, qui s’occupe de la photographie. J’essaie d’obtenir une représentation émotionnelle abstraite à travers l’utilisation d’éléments matériels comme par exemple un effet semblable à l’objectif d’une vraie caméra. Je pense que je suis assez doué pour les représentations réalistes. Je suis cependant plus attiré par une animation/mise en scène dans un style émotionnel plutôt que par la recherche du réalisme. Pour moi, le réalisme visuel ainsi que le réalisme issu de l’utilisation de l’effet d’objectif ne sont que des moyens d’obtenir une mise en scène passionnée et émotionnelle. Je veux rester ouvert en ne penchant pas trop vers le réalisme ni vers une approche visuelle trop stylisée. Dans ce sens, je suis encore en train de m’améliorer.
AL : Sengoku Yôko semble aborder le thème de la monstruosité chez les hommes et de l’humanité chez ce qui n’est pas humain. Qu’en pensez-vous ?
KA : Je pense que c’est un thème très intéressant. Dépeindre la bonté et la monstruosité humaine dans des œuvres de fiction est quelque chose de très gratifiant car j’ai moi-même été exposé à ces deux facettes humaines. Cependant, je considère que je dois prioriser dans un premier temps ce que veut exprimer l’histoire de l’œuvre originale plutôt que ce que je veux exprimer. Je veux que les spectateurs aient comme première impression la vision de M. Mizukami. Ma mission est donc d’exprimer ma vision personnelle en arrière-plan.
©︎Satoshi Mizukami/MAG Garden, Sengoku Youko Animation Partners
AL : Quelles directives avez-vous données au compositeur de la bande-son originale Evan Call ?
KA : C’est le directeur des effets sonores, M. Satoki Iida, qui s’est chargé de préparer les directives. Ensuite, après avoir reçu ma validation, il a passé commande à Evan Call. Lors de la réunion, nous lui avons dit qu’il n’était pas obligé de composer uniquement des musiques dans un style japonais. Les scènes d’action étant nombreuses, nous voulions aussi de la diversité à ce niveau-là. De plus, nous lui avons indiqué qu’il n’était pas nécessaire de composer un morceau pour chacun des personnages, mais plutôt des musiques thématiques exprimant les différentes émotions véhiculées dans l’œuvre. Ensuite, une fois que Evan Call avait fini les compositions, M. Iida et moi discutions du résultat pour ensuite lui faire des retours.
Finalement, la bande-son a été composée dans un style plus japonais que ce que j’avais prévu et certaines musiques d’action ont un côté heavy metal. Mais malgré ce résultat surprenant, je trouve toutes les musiques excellentes et brillamment interprétées. Elles me plaisent beaucoup. Pour la deuxième partie, j’ai demandé des morceaux amusants qui seront utilisés de manière assez inattendue. J’ai hâte que vous les découvriez. Evan Call est l’un des meilleurs compositeurs au Japon. Je lui suis reconnaissant pour son travail.
AL : Quels ont été les critères importants au moment de choisir les comédiens de doublage ?
KA : Je voulais qu’ils soient capables d’exprimer une progression. C’est une œuvre où les personnages vieillissent. L’héroïsme des personnages doit pouvoir s’exprimer à chaque étape de leur vie, surtout pour une des héroïnes qui devient une vieille dame. Pour l’audition de ce personnage, j’ai donc demandé aux candidates de jouer des répliques avec une voix d’enfant, d’adolescent, d’adulte et de personne âgée. Le fait qu’une seule actrice puisse jouer toutes les voix était un prérequis.
Ensuite, je voulais que les voix correspondent bien au personnage et que les acteurs comprennent comment jouer le rôle. Au moment des auditions, le manga était difficile à obtenir donc ça ne devait pas être simple de tout bien comprendre. Comme les auditions se sont effectuées pendant la période du COVID, elles se sont faites par fichier audio. Nous avons donc eu énormément de candidatures. Pour les deux héroïnes nous avons eu respectivement 84 et 82 personnes. Pour les 16 personnages pour lesquels nous avons fait une audition, nous avons eu 693 candidatures. Pour chacune d’entre elle, nous avons écouté leurs sept échantillons vocaux avec attention.
Finalement, je pense que nous avons visé incroyablement juste. Les comédiens de doublage principaux démontrent une compréhension approfondie de l’œuvre et la passion qui émane de leur jeu est particulièrement remarquable. Je peux vous parler par exemple de Mme Tomoyo Kurosawa, qui incarne le personnage de Shakugan. Elle alterne parfaitement entre le côté adorable de Shakuyaku et le tempérament brave de Kagan. Jusqu’à l’épisode 7… Dans cet épisode, il se dégage une incroyable tendresse de sa performance, à tel point qu’elle donne envie de la réécouter encore et encore. Les autres personnages principaux aussi sont passionnés. Ils mûrissent aussi bien mentalement que physiquement. Je suis sûr que vous prendrez plaisir à découvrir comment cette progression se traduit à l’écran.
AL : Que pouvez-vous nous dire pour nous donner envie de regarder la suite de Sengoku Yôko ?
KA : Je pense que le dernier épisode de la première partie est d’une grande qualité, que ce soit au niveau de l’animation, de la mise en scène ou des effets sonores. La deuxième partie de l’œuvre est ensuite très différente de la première. Je suis sûr que vous prendrez plaisir à la regarder. Dans cette 2e partie, j’ai demandé à M. Shigeyasu Yamauchi, que je respecte énormément, de participer à la production des meilleurs épisodes. Son incroyable mise en scène est l’une des nombreuses raisons de regarder la suite. Moi-même, chaque jour, je ne relâche pas mes efforts pour devenir un meilleur metteur en scène/réalisateur. Je serai ravi que vous observiez mon évolution. Je vous remercie.
La première partie de l’entretien avec Kagetsu Aizawa sera à retrouver dans le prochain AnimeLand n° 246 à paraître le 17 avril. En attendant, vous pouvez suivre l’artiste sur X.
Remerciements à Marion Cochet Grasset de Crunchyroll pour l’iconographie de cet article.
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