Personnalité de la semaine : Jirô Taniguchi

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Ses mangas contemplatifs avaient ravi la presse française jusqu’ici hostile aux mangas, mais ils ne représentent qu’une maigre portion de l’œuvre d’un artiste prolifique et polyvalent.

En raison de sa faible constitution, Jirô Taniguchi, enfant, passait beaucoup de temps cloîtré dans sa chambre, où il dévorait des mangas shônen. Une des rares distractions que pouvait s’offrir sa famille modeste, dans la ville de Tottori… à plus forte raison après que leur maison a disparu dans le gigantesque incendie qui ravage la municipalité en 1952, alors que Jirô n’avait que quatre ans ! C’est vers la vingtaine que le jeune homme découvre le manga pour adultes, grâce au magazine Garo (apparu en 1964) et aux travaux de Yoshihiro Tatsumi. Le geikga prend une telle importance dans sa vie qu’à 18 ans, alors qu’il vient de trouver un poste de salaryman à Kyoto, Taniguchi laisse ce premier emploi en berne pour se lancer dans une carrière de mangaka.

Arrivé à Tokyo, il répond à quelques commandes au début des années 1970, notamment des mangas érotiques, mais apprend surtout le métier en assistant Kyûta Ishikawa, maître du manga animalier, puis Kazuo Kamimura. C’est auprès de ce dernier qu’il découvre la bande dessinée européenne, qui influencera le reste de son œuvre tant dans le découpage que l’encrage. Grâce à ces années de formation, Taniguchi prend son indépendance au début des années 1980, et prend son envol grâce à deux scénaristes.  Caribu Marley, tout d’abord, avec qui il explore des registres sombres et désabusés (Blue Corner sur la boxe en 1982, le polar Rude Boy en 1984) ; et Natsuo Sekikawa, qui plonge lui aussi dans le polar (Trouble is my business en 1980, Tokyo Killers en 1986) mais explore également le manga historique avec Au temps de Botchan en 1987. S’il travaille d’arrache-pied pour tenter de s’imposer dans l’industrie du manga, Taniguchi doit cependant ménager sa santé fragile : il décide alors de ne plus travailler que huit à neuf heures par jour et cesse les nuits blanches sur sa planche à dessin.

En paix avec lui-même, le mangaka creuse alors son propre sillon à partir des années 1990 : des titres axés sur les relations humaines, l’introspection et la nostalgie comme L’homme qui marche en 1990, Le gourmet solitaire en 1994, Quartier lointain en 1998 ou Le journal de mon père en 1999. Il n’abandonne pas pour autant son goût pour les fresques épiques (Le sommet des dieux, scénarisé par Baku Yumemakura en 2000) ou les mangas animaliers (Seton en 2004, Un zoo en hiver en 2008). Quand le manga gagne en popularité en France à cette même période, les œuvres de Taniguchi, proches de la BD franco-belge, remportent l’adhésion de l’intelligentsia qui en fait l’ambassadeur malgré lui de « la manga ». Ce qui permet à l’auteur de multiplier les aller-retours entre Japon et France, son pays de cœur, qui lui offre des collaborations comme Mon année en 2009, scénarisé par Jean-David Morvan, ou Les gardiens du Louvre en 2014. Une de ses dernières œuvres puisque sa faible constitution le rattrape en 2017 : il décède à 69 ans, laissant derrière lui une œuvre riche et multiple développée durant un demi-siècle. Et toujours d’actualité, en France comme au Japon ! En témoignent la réédition chez Casterman d’Un zoo en hiver et l’annonce d’un film live Le gourmet solitaire, réalisé par Yutaka Matsuhige qui tient le rôle-titre dans la version drama diffusée depuis douze ans sur TV Tokyo.

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A propos de l'auteur

Matthieu Pinon