En janvier 1997, un événement secoue le monde de la musique électronique. Homework, le premier album d’un duo de DJ, Thomas BANGALTER et Guy-Manuel DE HOMEM-CHRISTO, connu sous le nom de Daft Punk, vient révolutionner le genre. Ce disque apparaît comme un énorme mix d’influences diverses (rock, disco, techno, funk…), mêlant des titres groovy comme les célèbres Around the World ou Da Funk, indépendants (Indo Silver Club, Alive) voire à la limite du hardcore (Rock’n’Roll, Rollin’ & Scratchin’). Si les styles des seize morceaux de l’album étaient différents, un son caractéristique donnait une véritable unité à l’ensemble de Homework. Le disque remporta un succès phénoménal (1,5 millions d’exemplaires vendus dans le monde), grâce à la fusion entre des genres éprouvés et une expérimentation sonore poussée dans ses derniers retranchements (les Daft Punk ont ainsi samplé le bruit d’un micro tombant sur le sol moquetté pour un morceau).
Non contents de faire des recherches sonores, les deux DJ engagèrent des réalisateurs réputés pour leur style personnel et avant-gardiste pour tourner leurs clips. Spike JONZE (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation.) tournera la vidéo de Da Funk, Michel GONDRY (Human Nature) quittera BJÖRK un instant pour réaliser Around the World, et Roman COPPOLA (CQ) s’acquittera de la vidéo “documentaire sur la tomate” de Revolution 909. Ces vidéos musicales furent d’ailleurs éditées en 1999 sur un DVD intitulé D.A.F.T , A Story About Dogs, Androids, Firemen,and Tomatoes. Cette sortie aura été la seule occasion d’entendre parler des Daft Punk depuis leur tournée de 1997 : un silence radio s’installait et on ne s’attendait plus à entendre parler du groupe.
Mais en 2001, un nouveau morceau inonde les radios. Son titre : One more time. Improbable hymne dance semblant ressortir des années 1980, on a du mal à croire que cette chanson est estampillée Daft Punk. Et pourtant, si. L’album Discovery qui sortira quelques mois plus tard ne pourra que confirmer cette première impression. Bien plus homogène que Homework, Discovery porte bien son titre (anagramme de “Very Disco”), et nous replonge dans une atmosphère groovy qu’on croyait oubliée. Le son le plus symptomatique de cette volonté est le “piouuuu” rappelant les pistolets lasers d’un Capitaine Flam sur le morceau Superheroes. Mais le duo ne se serait pas contenté de faire un album récessif. Bien au contraire, les titres composant l’album, qu’on pourrait juger consensuels et désuets de prime abord ont été travaillés, trifouillés, bref, portent la patte Daft Punk. Le deuxième titre sorti sur les ondes, Aerodynamic, mélange ainsi sons de cloche, solos de guitare à la VAN HALEN et sonorités funky : un mélange unique et détonant.
Là encore, pour la vidéo illustrant One more time, sorti bien avant l’album, Daft Punk a surpris en faisant appel à… MATSUMOTO Leiji ! C’est donc un véritable dessin animé qui fut diffusé sur nos petits écrans, collant parfaitement à l’atmosphère “années 80” du titre. Et lorsque le clip de Aerodynamic, également réalisé par l’équipe de MATSUMOTO, apparut à son tour, la vérité éclata au grand jour : les clips mis bout à bout forment une histoire !
Ainsi, les quatre morceaux issus de l’album pour être diffusés sur les ondes sont les quatre premiers de l’album (One more time, Aerodynamic, Digital Love, et Harder, better, faster, stronger), dans l’ordre.
Là encore, après ce coup d’éclat, aucune nouvelle ne nous parvint plus du groupe. L’attente irrépressible du DVD regroupant tout le film descendait peu à peu. Et, le 28 mai 2003, Interstella 5555 sortait directement sur grand écran !
Sur une planète distante peuplée d’humanoïdes à la peau bleue, un groupe composé d’un joueur de clavier, un batteur, un guitariste et une bassiste remporte un succès gigantesque avec leur tube One more time. Alors qu’ils sont en pleine représentation, une escouade dirigée par un mystérieux commanditaire intervient et les kidnappe. Les musiciens sont alors transportés à travers l’espace jusque sur Terre, et durant le voyage, sont déguisés et habillés comme des humains. Heureusement, un spationaute solitaire, à bord de son vaisseau en forme de guitare, suit l’escouade de bandits à la trace. Arrivé sur Terre, le commanditaire de cet enlèvement s’avère être un producteur véreux, qui se saisit de groupes extra-terrestres afin de remporter un maximum de disques d’or pour accomplir d’obscurs desseins. Et, grâce aux Crescendolls, ses derniers “protégés” et au 5555e disque d’or qu’ils lui rapporteront, il est prêt de toucher au but.
Interstella 5555 est une expérience à vivre dans le domaine de l’animation. On se souvient de Fantasia, où Disney avait cherché à fusionner images et musique classique, mais ce film n’était composé que de sketches. De même, le psychédélique Yellow Submarine, s’il était scénarisé, ne possédait que quelques chansons. Avec Interstella 5555, on a droit à une vraie histoire d’une heure, sans aucun dialogue, et collant parfaitement avec tous les morceaux de Discovery. Les membres de Daft Punk avouent d’ailleurs avoir conçu leur album sur un scénario créé au préalable, ce qui se sent même à l’écoute de l’album : chaque morceau a une sonorité différente, propre à une atmosphère bien particulière. Ainsi, le film alterne des ambiances pourtant disparates : poursuites spatiales (Too long), cambriolage (Superheroes), séquence fantastique dans un château hanté (Veridis Quo)…
On comprend alors mieux pourquoi les deux DJ ont fait appel à l’animation japonaise pour réaliser ce long métrage. Outre le fait qu’ils soient fans d’Albator (un clin d’oeil est d’ailleurs glissé dans le passage sur Harder, better, faster, stronger), le budget qu’ils auraient dû investir pour tourner ce film en images réelles aurait été bien plus cher que pour une réalisation en dessin animé. De plus, l’animation japonaise, protéiforme et déclinable à l’envi, était parfaitement trouvée pour illustrer toutes les ambiances qui parsèment Interstella 5555.
Quant à MATSUMOTO, il s’est visiblement régalé à retrouver l’ambiance kitsch des années 80. Sans perdre son style graphique reconnaissable entre mille (la bassiste filiforme à l’interminable chevelure, le batteur ressemblant à Alfred), le réalisateur a choisi une palette de couleurs désuettes et flashy, typiquement dans l’ambiance des années 1980.
Mais surtout, on ne peut que se satisfaire de l’alliance entre les DJ français et le réalisateur japonais. Sans aucune parole, Interstella 5555 n’en possède pas moins un scénario construit, ponctué de nombreux rebondissements et d’idées délirantes (Mozart aurait été un extra-terrestre !), d’une clarté limpide pour le spectateur qui n’est jamais perdu, et collant parfaitement à la musique : jamais image et son n’ont aussi bien cohabité, les qualités de l’une permettant de pallier les faiblesses de l’autre (l’animation est parfois assez limitée pour un film). Ainsi, les passages illustrant le plaisir universel de la musique (Crescendolls, Too long) marqueront particulièrement les esprits.
Expérience inédite, maîtrisée de bout en bout, Intestella 5555 restera un jalon dans l’histoire de l’animation, ainsi qu’un succès de plus pour ces maîtres en expérimentation que sont les Daft Punk, et pour le roi du manga qu’est MATSUMOTO Leiji.
Néanmoins, on ne peut que s’interroger sur cette décision de sortir le film au cinéma. Non pas qu’il soit désagréable de profiter de la musique de Daft Punk avec une acoustique incroyable, ou que les images perdent à être projetées sur écran géant ; mais l’on se sent vite à l’étroit dans les fauteuils alors que le rythme de Discovery donne envie de se trémousser. Mais surtout, le gros point noir vient de la durée du film. 1 h 07 seulement ! Au prix d’une place de cinéma, on eut aimé avoir un peu plus, comme d’autres clips du groupe, ou un court métrage du réalisateur japonais… voire les deux !
Cependant, il ne faut pas gâcher son plaisir pour si peu, et profiter de cette expérience sans précédent dans les conditions optimales que sont celles du cinéma. Les fans de Daft Punk et de MATSUMOTO adoreront, les autres pourront quand même apprécier cette oeuvre hors du commun… ou attendront sa sortie en DVD.
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