Manchu : le futur pour mémoire

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Le connaissant pour ses fabuleuses couvertures de roman, principalement dans la collection Le Livre de Poche, mais aussi pour ses premiers travaux en tant que mecha designer sur les séries Ulysse 31 et Il était une fois… L’espace, nous en avons profité pour lui poser quelques questions sur ses divers travaux passés et en cours…

AnimeLand : Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Manchu :
Tout a commencé avec l’école Brassart à Tours, une école qui prépare à un CAP de dessinateur publicitaire, et puis assez rapidement après, j’ai commencé dans l’animation, puisque l’un de mes professeurs de l’école était dans une société qui s’appelait la DIC – celle qui a produit Ulysse 31 (1)-, à l’époque où elle était à Tours, et il m’a demandé de venir y travailler. Ça s’est arrêté là pour l’animation. Ulysse 31 a été un bref passage, ça a dû durer à peu près un an de travail au niveau des décors et des personnages, et puis ensuite, il y a eu Il était une fois… L’espace, qui a été plus important.

AL : Comment cela s’est-il passé pour le travail sur Ulysse 31, le design est-il resté tel quel, ou a-t-il été modifié ?
M. :
Il a été modifié, oui. En fait, quand j’avais fait les dessins du vaisseau, l’Odysseus, il était franchement gigantesque, puisque j’avais fourni une quantité de détails énorme sur toutes les parois, c’était certainement un engin qui faisait plusieurs kilomètres de large, mais quand on le voit dans le dessin animé, il a une apparence minuscule. Je pense que le traitement du dessin l’a affaibli au niveau de la taille. Je n’avais pas travaillé non plus sur l’espèce de soleil qui était au milieu, pour moi, c’était vraiment un soleil, une boule de gaz, il n’était pas caréné comme il l’est dans le film.

AL : N’avez-vous travaillé que sur ce vaisseau ?
M. :
J’ai travaillé sur quelques autres vaisseaux, je ne pourrais pas vous dire exactement lesquels, des vaisseaux qui ressemblaient un peu à des scarabées, avec des éléments qui traînaient derrière eux, une coque assez ronde (il s’agit probablement de la navette Hélios, ndlr) ; ça a été assez vite, la période Ulysse 31, j’ai vraiment été là au tout début.

AL : Comment avez-vous été contacté sur Il était une fois… l’espace ?
M. :
Le dernier épisode d’Il était une fois… l’homme préfigurait le début de cette série. Donc là, j’ai commencé à faire quelques recherches, et Albert BARILLE (portrait dans le premier AnimeLand spécial Gloubi Boulga page 34.) m’a demandé de travailler sur la série suivante.

AL : Des recherches qui ont abouti dès ce dernier épisode ?
M. :
Oui, mais il y en avait très peu, peut-être un ou deux vaisseaux plus un décor de planète, je ne me souviens plus trop.

AL : Et pour le design des vaisseaux de Il était une fois… L’espace ? Ce qui était surprenant à l’époque, c’était l’aspect très réaliste par rapport au dessin des personnages, des vaisseaux, et notamment les vaisseaux guerriers, du type Murène, Nautilus et autres … Les noms, c’est vous qui les aviez trouvé ?
M. :
Non, c’est Albert BARILLE. Moi, il me confiait le scénario des épisodes, je les épluchais, on en discutait ensemble, pour voir ce qu’il y avait à créer… Non, ça, c’était un travail beaucoup plus intéressant, et avec une grosse inspiration FOSS (illustrateur de SF, Anglais, né en 1946)…

AL : Parlons justement de ceux qui vous inspirent…
M. :
C’est vraiment FOSS, le maître. Toujours, même. Quand je reprends le 20th Century (un des recueils de cet auteur, ndlr), je suis toujours sidéré de voir sa qualité de travail, donc ça, c’est l’influence principale. Mais il y en a eu d’autres : Chesley BONESTELL, McCALL, illustrateur de la Nasa, Syd MEAD… Puis si on remonte un peu dans le temps, il y a tous les orientalistes du XIXè siècle. Je crois que plus ça va, plus je penche vers ce côté-là, ils faisaient vraiment un travail formidable. Les pompiers, aussi, MEISSONIER, tous ces gens-là…

AL : Une fois l’animation terminée, vous êtes-vous tout de suite tourné vers l’illustration ?
M. :
J’ai fait beaucoup de publicités, essentiellement des travaux scientifiques, pour Thomson, quelque chose qui avait assez souvent rapport avec la technologie en fait, et puis assez rapidement des couvertures de bouquins.

AL : Sont-ce les éditeurs qui sont venus à vous ?
M. :
J’ai travaillé un court moment aussi avec les frères BOGDANOFF, j’ai réalisé quelques décors pour des projets de films, animation et prises de vues réelles aussi, qui n’ont pas vraiment abouti. Par contre, un jour, j’ai rencontré Gérard KLEIN (2), chez eux, qui en a profité pour regarder mes dessins, et peut-être un an après, il m’a téléphoné pour me demander de faire les couvertures d’une série qui s’appelait Histoires de…, ça a vraiment commencé là.

AL : Quelles techniques utilisez-vous pour vos illustrations ?
M. :
Traditionnelles : acrylique, brosse, pinceau, et de l’huile aussi, quand j’ai le temps, un petit peu d’aérographe, de moins en moins…

AL : De moins en moins ? On peut cependant toujours en voir dans vos oeuvres les plus récentes…
M. :
Je l’utilise toujours pour donner certains effets, mais je pense que si j’avais le temps de travailler à l’huile, correctement, je n’utiliserais plus du tout l’aéro, puisque l’huile permet de s’approcher très près de la matière de l’aérographe, tout en étant plus vigoureux au niveau du traité. L’aérographe, de temps en temps, oui, pour donner un petit effet de lumière, une petite lueur de réacteur… Mais tout faire à l’aérographe, non.

AL : Parlez-nous en détail du processus : un roman va sortir, il faut une illustration. Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ?
M. :
Alors, dans le cas du Livre de poche, en général, ce sont des rééditions de Ailleurs et Demain, donc Gérard KLEIN me confie le bouquin, ou je l’ai déjà…

AL : Vous le lisez donc ?
M. :
Je le lis, oui.

AL : vu le nombre d’illustrations que l’on peut voir de-ci de-là, vous avez dû lire un certain nombre de romans…
M. :
Oui, j’ai une petite idée de la science-fiction. Une petite, parce que je ne suis pas vraiment complet. Mais je commence à en avoir lu un certain nombre.

AL : Il doit y avoir une scène particulièrement, qui vous inspire ?
M. :
j’épluche le bouquin, je le lis vraiment, puisque quelquefois, l’idée de l’illustration peut se déclencher sur un petit détail. Soit je fais une scène ponctuelle très visuelle, soit j’essaye de faire une synthèse du bouquin en une seule image, ça dépend du roman.

AL : Ce travail d’ambiance dans l’illustration, vous réalisez des croquis au préalable ?
M. :
Pas énormément. Je suis tellement dans le bouquin que je baigne dedans et je fais l’illustration assez vite après, j’ai mon idée de l’ambiance du bouquin, de la façon dont ça va s’organiser… Bon, ça m’arrive de faire des erreurs, de reculer pour reprendre une bonne direction, mais en général, j’ai les couleurs dans la tête, le schéma général.

AL : Et toujours avec le format Livre de poche, ou vous essayez de réfléchir sur d’autres ?
M. :
Je ne me préoccupe que du format 50 x 65, c’est à dire le format des originaux, j’en arrive même à me dire que la couverture finie ne m’apporte plus grand-chose, ce qui compte, c’est le travail sur l’original, après… Ça va être réduit, forcément… Je fais très attention à la maquette du bouquin, par contre ; de toutes façons, pour une couverture de livre, il faut faire très attention à ça. Il y a certaines maquettes plus ou moins embêtantes au niveau composition. Je fais des couvertures pour les éditions Mango Jeunesse, qui ont une belle maquette, mais très contraignante pour un illustrateur, puisque le texte est en bas, avec une sorte d’ellipse qui tourne derrière le texte, ça oblige vraiment à poser le sujet principal assez haut dans le bouquin, et pour une composition qui soit bien assise, ce n’est pas toujours évident. Jouer avec les contre-plongées, les plongées… Mais ça, c’est bien aussi, ça oblige à chercher un peu, à se renouveler…

AL : Je suppose que vous avez un délai ?
M. :
Non, j’ai quand même du temps : pour le Livre de Poche, j’ai deux mois, trois mois… En général, les éditeurs me donnent les manuscrits un peu à l’avance, mais j’attaque la lecture du bouquin 15 jours avant, je peux le lire en huit jours, et les huit jours suivants attaquer l’exécution de l’original. En gros, c’est ça, il m’arrive de faire des couvertures de thrillers en deux jours, mais c’est la moyenne.

AL : Quelle est votre production globale, en moyenne ?
M. :
Disons, à peu près trois illustrations par mois.

AL : Donc ça va donner un gros bouquin chez Delcourt (3) !
M. :
Ça va donner un bouquin de 96 pages, avec je pense une centaine d’illustrations dedans. Elles sont loin de toutes y être, on a fait une sélection quand même… On n’a pas encore utilisé les fonds de tiroir !

AL : Il faudrait, il faudrait !
M. :
ou alors la partie noir et blanc, à la fin du bouquin, avec de petites vignettes…

AL : Comme dans les art books japonais ?
M. :
Ca viendra peut-être… Ah, il y en aura, il y aura même un step by step d’une couverture, d’une illustration. Non, il va être marrant, le bouquin, il va être rigolo ! [rires]

AL : C’est donc votre premier recueil ?
M. :
Oui, c’est vraiment le premier. J’ai personnellement fait des demandes auprès des éditeurs, mais je crois que les éditeurs ne savent pas faire ça en France.

AL : L’illustration, de toutes façons, n’est pas reconnue en France, en tant que telle…
M. :
C’est certain, oui… C’est quand même vraiment ” trusté ” par la bande dessinée, je trouve. Ceci dit, c’est très bien que ce soit un éditeur de bandes dessinées qui sorte ce genre de bouquin, ça peut amener vers des choses intéressantes, mais je crois que les éditeurs ne savent pas comment s’y prendre. La meilleure preuve, c’est qu’on a été très surpris pour la réalisation du bouquin, on s’attendait à quelque chose de facile, et en fait on s’est trouvé – enfin, pas moi personnellement, mais Fred BLANCHARD et Olivier VATINE (4) – se sont retrouvés dans des petits problèmes d’organisation, de scans, de rassemblement de scans, de maquettes, des choses un peu inhabituelles pour un éditeur de BD.

AL : Il faut savoir aussi le distribuer…
M. :
Là, je ne m’inquiète pas trop pour Delcourt… A l’origine, en fait, je devais le faire avec Hubert de LARTIGUE (5), qui fait des très belles pin-ups de science-fiction, et qui a monté sa maison d’édition, Boo Press, mais il faut vraiment énormément de moyens, il faut vraiment avoir les reins solides. Et puis après, il faut avoir les distributeurs qui suivent derrière…

AL : Mais lui, il l’a quand même montée, sa maison d’édition, et ça ne s’est pas fait, finalement ?
M. :
non, il n’avait pas de quoi financer, et moi, visiblement, j’avais de plus en plus de demandes. Deux fois, DELCOURT m’a demandé si j’étais intéressé, donc c’est vrai qu’Hubert a été sympa, il m’a dit : ” si Delcourt te le dit, fais-le, ne t’occupe pas de moi, parce que moi, je ne sais pas combien de temps ça va prendre pour le réaliser “. Bon, ça m’embête un peu, parce que j’aurais bien aimé le faire avec lui… D’un autre côté, il faut vraiment que je saisisse l’occasion, ça a l’air d’être le moment…

AL : Pour en revenir aux illustrations, en faites-vous pour vous-mêmes ?
M. :
Très peu…

AL : Pas le temps ?
M. :
Pas le temps. Mais au niveau du thème, ce serait la même chose. Il y a un intérêt aussi, dans les illustrations de commande, c’est que ça oblige à faire des choses qu’on ne ferait pas naturellement. Certaines compositions, certaines ambiances, qu’on est obligé de faire à cause du bouquin. Moi j’aurais tendance, si je ne travaillais vraiment uniquement que pour moi, à ne faire que des paysages planétaires, beaucoup de rochers, des vaisseaux interstellaires, peu de véhicules terrestres ; je me contenterais vraiment de quelques thèmes, alors que l’intérêt de faire une grande quantité de couvertures pour une collection, c’est d’avoir des thèmes très différents.

AL : Vous êtes un passionné de mécanique, et également maquettiste… Des maquettes de tout genre, avions, voitures ?
M. :
Ça va des voitures américaines des années 50 aux lanceurs spatiaux actuels, en passant par certaines figures de manga japonais, les résines japonaises, des avions de chasse modernes… En fait, je crois que plus j’avance dans ce domaine-là, et plus j’ai envie de monter un peu de tout ; c’est vraiment le fait de monter : une fois que c’est terminé, c’est déjà beaucoup moins drôle… Et puis d’aller chez le marchand, de ramener la boîte et de l’ouvrir… Aaah ! [rires]Là c’est un plaisir immense… Et après, elle va sur les étagères.

AL : Quels sont vos projets ? Toujours des illustrations ?
M. :
Oui, les couvertures de bouquins, c’est vraiment une passion, un style de travail que j’adore ; il y a la sortie du recueil (3), mais après…

AL : Vous avez commencé par l’animation, ça vous tenterait d’y revenir un jour ?
M. :
Non, je crois que je ne pourrais pas. J’ai été très frustré en travaillant sur des décors qui étaient repris ensuite par d’autres gens ; ce qui passe à l’écran, ce n’est pas vraiment mon travail.

AL : Alors, pour finir, ce surnom de Manchu, d’où vient-il ?
M. :
Fu Manchu ! Ça date de l’école Brassart, j’étais un grand fan des films de Fu-Manchu avec Boris KARLOFF (6), avec ses yeux bridés, et tout le monde m’avait surnommé Fu-Manchu ; je l’ai gardé, je trouvais ça amusant [rires]… Je suis un peu moins fan, maintenant, mais bon… [rires]

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A propos de l'auteur

Madox