Interview : Benjamin RENNER (Ernest et Célestine)

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Peux-tu nous raconter ton parcours ?
J’ai fait un cursus classique avec un bac scientifique. En sortant du lycée, j’ai cherché à faire des études d’art. Je suis entré en prépa à Paris, puis j’ai fait trois ans de beaux-arts à Angoulême. Je pensais faire de la BD ou de la vidéo. En fait, j’aimais surtout l’art contemporain, expérimental.
À cette époque, j’avais des projets très égocentriques. J’ai demandé conseil à un prof qui m’a dit d’aller soit à l’ENSATT, soit à La Poudrière. Les deux philosophies de ces écoles me plaisaient. Finalement, j’ai été pris à La Poudrière. Je ne me voyais pas animateur, j’ai été surpris. J’ai passé deux ans là-bas où j’ai fait deux films.
Didier Brunner, le chef de projet d’Ernest et Célestine, m’a contacté trois mois après la fin de mes études, mais pas pour réaliser le projet, il y avait déjà quelqu’un. Finalement, ce réalisateur a été écarté car il ne se retrouvait pas dans l’univers d’Ernest et Célestine alors que moi, oui. Pendant une année, il ne restait que moi. Didier m’a finalement dit : « Tu ne voudrais pas être réalisateur ? » Pendant six mois, je lui ai répondu « Non ». Puis, j’ai dit « Peut-être, si c’est avec un co-réalisateur ». Et c’est là que Vincent Patar et Stéphane Aubier sont arrivés.

Ton film de fin d’étude, La Queue de la souris, a croulé sous les prix. Est-ce encourageant ou impressionnant ?
En fait, j’étais vraiment “sur le cul”, je ne m’y attendais pas. L’idée de la technique d’animation, je l’avais depuis longtemps. L’histoire est une petite fable gentille. J’ai donc été très surpris de l’accueil en festival.
Mais la pression, je l’avais déjà depuis quelques mois car j’étais déjà sur Ernest et Célestine quand j’ai reçu tous ces prix. Le producteur ne m’a pas choisi pour le succès, je ne l’avais pas encore. Il m’a embauché quand je lui avais montré des animations d’Ernest. Il a vu mon film, mais finalement il m’en a très peu parlé.
On m’a dit : « Tu vas voir, avec ce prix tu vas recevoir plein d’appels ». Finalement, personne ne m’a appelé. Je me disais aussi que je n’étais pas disponible…

Quelles sont tes influences en matière d’animation ?
Petit, mes parents avaient plein de cassettes VHS de Disney. On les avait presque tous ! Je me les regardais à longueur de journées : des grands classiques, mais aussi Tic et Tac et Donald. Et, bien sûr, j’avais vu Le Roi et l’Oiseau. Même si j’aimais ce film quand j’étais petit, je me suis mis à l’adorer quand j’étais ado. J’ai découvert tard combien ce film m’a influencé, par exemple, en me rendant compte que le robot de mes croquis était celui du Roi et l’Oiseau.
J’adore aussi Les Douze travaux d’Astérix parce qu’il n’y a pas d’histoire. Ce ne sont que des enchaînements de tableaux.

Peux-tu nous raconter ton premier contact avec l’univers de Gabrielle Vincent ?
Je l’ai découvert dans le bureau de Didier Brunner. J’ai feuilleté tous les livres qu’il avait en sa possession. J’ai dit « Respect ! ». Puis, j’ai lu les 50 livres d’un coup ! C’est comme quand j’ai découvert Miyazaki où j’ai tout vu d’une traite.
Les dessins de Gabrielle Vincent, c’est ce que je rêvais de dessiner. Cette logique, cette énergie dans le dessin. Trois traits, et hop, chaque page est une esquisse. Je pense que c’est une artiste trop peu reconnue à sa juste valeur. Elle a fait des peintures magnifiques et pourtant inconnues. On va essayer de faire vivre son art avec la sortie du film.

Qu’ont apporté Vincent Patar et Stéphane Aubier ?
On m’a dit que j’allais travailler avec Aubier et Patar, mais pour tout avouer, ce n’était pas ce que j’avais demandé. Je voulais quelqu’un d’ultra expérimenté. Eux, ils avaient fait un long métrage, mais c’était du Pic Pic André ! J’avais vu leur story-board, je crois qu’il n’y a qu’eux qui pouvaient le déchiffrer : des ronds et des traits. Depuis, j’ai appris à les connaître, mais la première fois, c’était déroutant.
Après m’avoir annoncé leurs noms, on s’est rencontré lors d’un restaurant. Comme ils sont aussi timides que moi, on a dû s’échanger deux phrases en tout et pour tout. C’était un peu gênant. Puis, on a commencé à bosser ensemble. On était que tous les trois avec Marisa, la chef déco. On s’est beaucoup marré. On s’est découvert tant de points communs : on aimait les mêmes animations, les mêmes BD. On regardait ensemble des Tex Avery.
Ils m’ont aidé sur l’humour. Ils m’ont permis de l’inclure sans que ce soit lourd. En fait, grâce à eux, je me suis lâché. Ils sont ultra exigeants, ce qui fait le malheur des producteurs car si l’un d’entre nous n’était pas d’accord, on recommençait. Par exemple, Célestine devait regarder un film d’explications dans la clinique, avec des paupières ouvertes comme dans Orange Mécanique. On a dû en faire dix versions différentes. Tout le film a été comme ça. Et encore, je crois qu’on aurait aimé en repasser encore une couche.

Pour toi, y a-t-il une touche belge dans l’animation ?
J’aurais du mal à dire en animation. En cinéma, oui ! Et je l’adore ! Je pense qu’il y a une manière de travailler : ils n’hésitent pas à se dire les choses sans se vexer. Ils se marrent et c’est tout. En France, on fait la gueule. Au début, à chaque remarque, je me fermais.
Enfin, Gabrielle Vincent était belge. Pour les décors, on a été dans son quartier. On a essayé de retrouver ce qu’il y a dans les livres.

Vincent Patar nous a dit combien tu aimais l’animation traditionnelle. Est-ce indispensable pour faire un film d’animation ?
Oui et non, je pense surtout que c’est un média. J’adore l’animation traditionnelle, j’adore le papier découpé. Si je faisais de la 3D, je pense néanmoins que j’adorerais ça. C’est un moyen d’expression avant tout. Tant que des gens dessineront, elle existera. En France, deux films sortent à peu près en même temps, Le jour des corneilles et le nôtre, ce qui prouve que l’animation traditionnelle est encore là. L’équipe était heureuse de travailler sur ce projet. Les gens ont envie de faire de beaux films en animation traditionnelle. Après, la 2D coûte aujourd’hui plus cher, c’est tout.

Comment travaille le studio Les Armateurs ?
Ils ont une particularité essentielle. Ils recommencent chaque film à zéro. Ils ne veulent pas acquérir un savoir-faire. Tu dois tout créer.

Était-ce simple de diriger tant de personnes ?
C’était ultra flippant au début. J’ai d’abord fait un pilote, : c’était des potes, on était une douzaine. Pour le film, j’ai choisi mon chef d’animation, ma chef déco, mon chef design. C’était des gens de confiance, ça retire énormément de pression. Je savais que je n’étais pas seul. D’ailleurs, avec les personnes que je n’ai pas choisies, ça s’est moins bien passé.

Parlons de la mise en scène. Des influences de certains films de Miyazaki sont évidentes. On pense bien sûr à Mon voisin Totoro.
Mon truc, ça reste le Studio Ghibli et même le cinéma japonais en général. Je n’ai pas eu le droit de regarder des anime japonais avant l’âge de 18 ans. Le Voyage de Chihiro a été le choc ! J’aime le côté sobre et expressif de Miyazaki. Quand Chihiro lave un vieux qui pue, elle se met à vibrer. Ce n’est pas réaliste, mais tu comprends tout de suite ce qu’elle ressent. J’adore ce genre de truc que tu retrouves dans ses films.
Toute la production adorait les films japonais. Lors des pauses, on cherchait parmi ces classiques ce qui exprime le plus ce qu’on voulait raconter. Tokyo Godfathers de Satoshi Kon est ma référence. Je voulais faire une course-poursuite comme celle du film. En France, on reste frileux en termes d’animation pour adulte, en pensant que ça ne marchera jamais. Or, il suffit de regarder le savoir-faire de ces gens. Utilisons-le !

D’autres œuvres t’ont-elles aidé ?
Les films de Charlie Chaplin et Buster Keaton. Ce sont des plans droits : tu poses la caméra et les acteurs jouent. Ernest et Célestine se doit d’être théâtral, comme quand on lit un livre illustré. Ça permet aussi aux techniciens de s’amuser dans l’acting.
Je dirais que je me suis inspiré également de Kiki la petite sorcière. Pour moi, la personnalité de Célestine ressemble à celle de Kiki quand elle arrive seule dans une ville et qu’elle découvre ce nouveau monde. Je dois enfin citer Mes voisins les Yamada pour son côté graphique. En fait, quand on m’a annoncé le projet, je pensais que j’allais faire un Yamada à la française. Mais Daniel Pennac a écrit un scénario plus épique. L’idée m’est restée et s’est un peu transformée.

Justement, comment s’est passée ta rencontre avec Daniel Pennac, scénariste d’Ernest et Célestine ?
C’est un mec plutôt cool. C’était un prof, il a gardé ce côté, une verve étonnante. J’arrivais impressionné dans son bureau. Je ne savais pas si j’allais être animateur sur le film et je me retrouve avec Daniel Pennac qui me lit le script. Il me parlait comme si j’étais réalisateur. J’étais intimidé. Encore aujourd’hui, il est tellement expressif et ouvert : il lisait son texte à voix haute. C’est comme ça que je l’ai découvert.
Quand on voulait modifier quelques lignes parce que ça n’allait pas, on allait le voir. Il nous a dit à un moment : « Bon écoutez, je ne comprends pas. Ce n’est pas mon domaine, je vous laisse faire. C’est votre film, je n’ai fait que le scénario. » On a eu de la chance car personne n’était prétentieux, on allait dans le bon sens.

Est-ce difficile de ne se concentrer que sur une œuvre pendant quatre ans ?
Je dois avouer que sur la fin, j’avais plus de mal. L’étalonnage était ce qu’il y avait de plus dur. Il fallait revoir le film à l’infini, j’en pouvais plus. Les six derniers mois, je n’avais plus le moteur du début. Heureusement que j’étais bien entouré. Le plus dur, c’est quand tu deviens un psychopathe de l’image. Je pouvais voir un pixel blanc sur une image ! Je cherchais la moindre erreur ! Et pourtant, il en reste pas mal…

Qu’as-tu envie de faire désormais ?
J’ai des projets, mais je préfère attendre l’accueil du film. J’aimerais retravailler avec Les Armateurs. J’aimerais utiliser les acquis pour un autre film. On était jeune, on ne refera pas les mêmes erreurs. Ce sera un long métrage car j’ai du mal avec les séries. Dans mon école, on faisait des concepts réutilisables à l’infini à présenter aux chaînes. Je n’aime pas ça. Je suis plutôt un amoureux du court métrage.
Après, pourquoi pas le cinéma en prises de vue réelles. Mais ce qui me botte, c’est le jeu vidéo. Narrativement il y a des choses à faire. J’ai découvert The Walking Dead et ça prend à la gorge, tu as des choix tout au long de la partie et ils te restent jusqu’à la fin du jeu. J’aime l’idée de la responsabilité qui est toujours présente. Quand, dans Le Voyage de Chihiro, la sorcière empêche Chihiro de parler avec une fermeture Éclair à la bouche, Chihiro insiste tout de même pour demander du travail. Là, je me disais : « Mais moi, je n’aurais pas du tout réagi comme ça ! » Et donc, je me demande comment le film aurait tourné si Chihiro n’avait pas insisté…
La 3D m’intéresse, c’est sûr. Il y a sûrement des milliers d’idées à développer.

Remerciements à Robert Schlockoff

Pour en savoir plus sur la création d’Ernest et Célestine, visitez le Blog de Benjamin Renner.

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A propos de l'auteur

Steve-Naumann

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  1. PLeazNumero

    Quel beau parcours ! Et avec des influences diverses qui témoignent d'une ouverture d'esprit réelle. On ne peut que lui souhaiter bonne continuation, et espérer qu'il réalisera d'autres films aussi beaux !

    Le succès d' "Ernest et Célestine" est amplement mérité smile.gif ! Les dessins semblent sortis tout droit d'un livre d'illustration, et même si les enfants peuvent l'apprécier, ce film parlera aussi aux adultes, ne serait-ce que par les thèmes abordés : sociétés des ours de des souris bien ordonnées, destin a priori tout tracé pour Célestine, la peur de l'autre… Ce film fait réfléchir tout en restant léger.

    Agréable à voir, surtout ces temps-ci où la tentation est grande de rester "entre soi". Les personnages sont bien faits et crédibles sur un plan "humain", et les dialogues sont bien sentis. Les musiques accompagnent bien l'hsitoire. Au final, on passe un très bon moment.

    Toujours d'après Wikipédia, le film a été nominé aux Césars 2013 pour le meilleur film d'animation. Je croise les dogts smile.gif !