Pour nous autres, Européens, le cinéma reste avant tout du spectacle. Qu’il s’agisse d’un film intimiste ou d’un blockbuster, il s’agit avant tout de divertissement, et ce que l’on voit à l’image n’a parfois que peu de rapport avec ce qui a été tourné (voir à ce titres les derniers Star Wars ou encore Sin City, films virtuels par excellence). Pourtant, en Chine, et plus précisément à Hongkong, la réalité est tout autre. Tourné en 1999, 2000 AD se pose comme un énième film d’action. Pourtant, derrière l’apparent classicisme de son scénario, on découvre des scènes furieusement excitantes. Et pour cause : pas de trucages ou presque. Limite, expérience de la mort. Les jeux du cirque version 21e siècle.
L’expérience interdite
Dans le making-of du film, on voit Aaron KWOK, le héros de 2000 AD, se préparer à la scène de combat finale sur le toit du building. « Attention à ne pas tomber », semble le mot d’ordre qu’il ne cesse de répéter. Oui, ne pas tomber, parce que les acteurs jouent le jeu. Vraiment. A tel point qu’à la moindre maladresse, à la moindre faiblesse, c’est la chute, et la mort. Rien que ça !
Préparés, entraînés, surveillés par les chorégraphes martiaux, les Chinois jouent avec leur vie. « Lorsque l’on n’a pas de moyens, on a au moins des idées », semblent-ils dire. Pas de quoi faire des explosions faramineuses, pas de quoi mettre en scène des trucages terribles. Donc, on fait tout sois même. Système D. Films tournés à l’arrachée. Ce n’est pas le cas de 2000 AD, qui jouit d’un bon budget et de l’assistance du Ministère de la Défense de Singapour. Mais pour pas mal de films de HK, faute d’autorisation de tourner dans la rue, l’équipe prend d’assaut la rue et tourne vite, style guérilla, caméra sur l’épaule. Ce jusqu’au-boutisme chinois, on le retrouve dans un grand nombre de leurs films, et aussi, d’une autre manière dans 2000 AD.
Car 2000 AD est aussi un film guérilla : Gordon CHAN a ce côté un revanchard. Anti-américain. En 1999, en pleine crise de l’industrie du cinéma de HK, il faut montrer aux Américains ce dont les Chinois sont capables. Aller plus loin, en donner plus au public, bref, tourner comme un acte militant, voir militaire. D’où le fait que le méchant du film, bien qu’asiatique, travaille pour la CIA ; et le programme informatique après lequel courent les protagonistes vienne des Etats-Unis. D’où le fait que l’alliance entre un Hongkongais et un Singapourien permettra de défaire le méchant : métaphore des co-productions entra pays asiatiques pour sortir le cinéma hongkongais de la crise.
Pourtant, échec du film. Une erreur non pas imputable au long métrage, mais en partie au piratage effréné de l’époque, au désintéressement des Chinois pour la production locale et aussi, sans doute à cause d’une sortie pour le Nouvel An chinois(1) peu inspirée, date de sortie des comédies, films romantiques et du dernier Jackie CHAN. A côté des productions calibrées pour le grand public, 2000 AD faisait tâche : trop sombre, trop violent.
Conspiration technologique
Peter, un jeune informaticien, vivote en compagnie de son meilleur ami et de sa copine. Un jour, son frère lui rend visite à la grande joie de Peter. Or, ce grand frère aimé se trouve arrêté par la police de HK et la CIA, le suspectant d’être un espion. Peter se voit aussi interrogé puis libéré… Il revoit une dernière fois son frère, au moment où ce dernier se fait abattre sous ses yeux. Le jeune homme poursuit alors les responsables et tente de comprendre ce qui se trame dans l’ombre.
Le scénario de 2000 AD, comme bon nombre de productions hongkongaise se révèle assez difficile à suivre. L’intrigue morcelée, complexe, se révèle difficile à appréhender, tout comme les motivations des personnages en place qui vont, et qui viennent. Mais cela n’a guère d’importance : le récit sert de prétexte pour qu’action et tension s’épanouissent. Qu’il s’agisse d’une affaire d’espionnage à l’échelle pan-asiatique permet surtout à Gordon CHAN de livrer des scènes d’actions démentes et impromptues… Le film met ainsi du temps à démarrer et on se demande, au vu du faible niveau de jeu des acteurs, à quel genre de film on a à faire. Et puis, soudain, la mort du frère de Peter s’impose comme une claque visuelle terrible : sécheresse de la réalisation, tension extrême, tout ce sang, ces cris, cette horreur. CHAN réussit à filmer une guérilla urbaine avec ce que cela implique de violence. Le spectateur, qui s’était doucement endormi, qui s’amusait des pitreries de Peter, se retrouve soudain dans son regard de chien fou. Effet de style ? Fausse impression ? Le jeu d’Aaron KWOK devient soudain très bon. Libéré des contraintes de la comédie, il n’incarne plus qu’un mélange de peur et de désespoir. Un désir de vengeance. Signe de sa mutation : il abandonne la paire de lunettes constamment vissée sur son nez jusque là. Il voit enfin avec les yeux de celui ayant perdu son innocence, son poids de vue a changé et ces lunettes, signe relatif d’une faiblesse relative, n’ont plus lieu d’être, puisqu’il n’est plus que force.
Action !
Cette force, elle s’affiche avec un plaisir manifeste à l’écran. Le but ? En mettre plein les yeux, détruire le décor, repousser les limites. Voir cette scène qui ne surprendrait pas dans un film de Luc BESSON, dans laquelle Peter poursuit ses ennemis en voiture dans des rues piétonnes, renversant tables et chaises des restaurants et obligeant les passants à se jeter au sol… Et puis, il y a aussi des moments de tension plus graves, plus palpables, comme cette première fusillade qui lance le film : près de dix minutes d’actions quasi ininterrompues, ou encore, ce gunfight dans le parking, tellement violent et dramatique. Là, on n’est plus dans le registre du plaisir ludique, mais bien dans celui de la violence dangereuse. De la Violence avec un grand V.
Cependant, 2000 AD a vieilli : tourné en 1999, il semble aujourd’hui hors contexte. Culturellement parlant, il correspond aussi à un dernier âge d’or du cinéma de Hongkong avant que ce dernier ne soit rattrapé par le genre de la comédie romantique. 2000 AD propose un divertissement pour un public amateur de polars musclés et nerveux. Fait avec le coeur, et les moyens du bord. Echec au box-office de Hongkong, il méritait largement mieux… Gordon CHAN, avec ce film a voulu filmer LE film d’action qui devait en remonter à Hollywood. Projet insensé (on n’attaque pas les Américains sur un genre trusté), projet fatalement voué à l’échec, mais projet impressionnant. 2000 AD : la gifle.
Le film sort le 26 mars en DVD digipack.
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