Poursuivant son marathon entamé la veille (voir notre article), c’est donc sur les sièges cossus de la nouvelle Fnac Digitale la boutique a déménagé de quelques mètres dans les quartiers Saint-Michel – que le réalisateur a rencontré ses fans. Une petite centaine de personnes sagement attentive aux propos du maître, le système d’invitations à retirer une semaine auparavant à la Librairie Albums ayant sans doute permis d’éviter la cohue pour la seule rencontre programmée entre le cinéaste et ses fans. Bermuda, T-shirt et béret vissé sur la tête, goûtant toujours d’un palais avisé les crus de rouge mis à sa disposition, M. ÔTOMO s’est montré plutôt prolixe, parfois même amusé par les questions qui lui étaient posées.
Le steampunk
En premier lieu, logiquement, l’animateur de la conférence un journaliste de Ciné Live, partenaire de l’événement ne passa pas outre l’évocation de la thématique steampunk. On sait désormais que c’est pendant la réalisation de Cannon Fodder, le dernier segment de Memories (lire notre article), que l’idée de Steamboy a germé dans l’esprit de ÔTOMO : « Cannon Fodder a été réalisé sans coupure de plan pendant tout le film. C’était une prouesse très difficilement réalisable avec une caméra, alors nous avons utilisé le numérique. C’est à ce moment là que nous avons décidé de réaliser Steamboy ».
Né il y a 10 ans, réclamant un budget colossal, le projet a mis du temps à se réaliser. En effet, avant tout, ÔTOMO reste – dans le coeur des producteurs comme de ses fans – le père d’Akira : « Lorsque j’ai commencé à parler de ce projet, les gens avaient encore tellement d’images d’Akira en tête qu’ils n’ont pas compris l’intérêt de Steamboy. De plus, pour mener à bien ce projet, il fallait que le studio concerné s’équipe de nouveaux systèmes informatiques ; peu voulaient prendre le risque. »
La destruction
Outre le choix de cadres différents (lieux, époques…), on trouve aussi des points communs dans les diverses oeuvres d’ÔTOMO : avant tout, le goût pour la SF bien sûr : « Astro boy est la première animation que j’ai vu à la télé ; c’est cette expérience qui m’a mené vers la science fiction ». Et si ÔTOMO n’est pas très prolixe sur la présence récurrente des enfants dans ses films – « c’est peut-être parce que je pense à mon enfance avec une certaine nostalgie, je n’ai pas grandi ! » – il devient en revanche intarissable lorsqu’on évoque son penchant pour la destruction des villes notamment : « Quand je revois Steamboy, je peux en effet me rendre compte qu’il finit comme d’autres de mes films, même si cette fois, je voulais laisser une place à l’espoir. Je suis désolé, mais j’adore détruire ce que j’ai construit soigneusement (rires) ! ». Sujet approfondi en réponse à une question du public, à propos du « pessimisme ambiant » des oeuvres d’ÔTOMO, qui « va parfois à l’encontre des productions japonaises, pleines de rires et de grands yeux » : « Je ne me force pas à ne pas faire comme les autres. Par exemple, depuis mon enfance, j’aime beaucoup faire des maquettes de véhicules. Or, pour moi, la réalisation de la maquette ne constituait pas une finalité en soi. Pour moi, la finalité, c’est le moment où ça casse ! ».
Différences de technique / inspirations hollywoodiennes
Au niveau technique, l’animateur de la conférence mettait le doigt sur les différences de graphisme entre des oeuvres telles que Cannon Fodder, Akira, ou encore Steamboy. Une hétérogénéité vécue comme une fatalité par ÔTOMO : « L’idéal pour moi serait de travailler toujours avec la même équipe, comme le font par exemple MIYAZAKI ou OSHII. Ils ont beaucoup de chance ! Mais moi, je ne sais pas pourquoi, je ne peux pas travailler avec la même équipe, peut-être parce que je demande trop de choses… Peut-être parce que je viens du manga, un monde extérieur à l’animation ! Cela dit, je crois aussi que je cela me plaît de changer de style de dessin à chaque fois. Il en va de même pour la musique : j’écoute du jazz, de la world musique … Cette fois-ci, j’ai privilégié la musique hollywoodienne ».
Hollywood, une influence qui revient peu souvent dans les propos du maître. Pourtant, sous son pessimisme apparent, se cachent des aspirations flower power, issues de sa fascination pour les films américains des années 70 tels que Bonnie and Clyde, Easy rider, Butch Cassidy… « Dans les années 70, ces films représentaient la philosophie « jetez vos parents, la maison, et soyez autonomes ! » C’était les hippies, Hollywood… Cette influence se fait ressentir dans mes premiers manga, mais mes films d’animation ne sont pas comme ça. »
Les projets
Premiers manga que l’on n’est apparemment pas près de voir édités en France. À un intervenant qui s’inquiétait de savoir pourquoi les oeuvres antérieures à Domu n’étaient pas traduites en français, le mangaka répondit sans appel : « Je voudrais que vous oubliiez tout ce que j’ai fait avant Domu ! (rires). Pour le moment, je n’ai pas envie de republier ce que j’ai fait auparavant. J’ai plutôt envie de réaliser de nouveaux manga. »
Une suite à Akira ? Malgré l’avidité teintée d’insistance de quelques fans (« y aura-t-il une suite à Akira ? ») bravant la mine contrite de l’interprète (« vous voulez dire Steamboy ? »), ÔTOMO resta ferme : « Non, absolument pas ».
Et si le maître se déclare intéressé par le film live, ce n’est pas tant celui par celui d’Akira – « j’ai lu le scénario du projet live qui est en cours aux Etats-Unis ; je ne l’ai pas trouvé très intéressant, alors ils sont en train de le réécrire. » – que par des projets persos : « Je suis en pleine réflexion concernant l’historique et l’aspect visuel du cinéma live. En effet, aujourd’hui, avec les procédés digitaux, on a plus de liberté pour les films live, il n’y a qu’à voir les films d’OSHII. Ce n’est pas comme autrefois, il faut faire des concessions, mais on a davantage de liberté. J’aimerais bien essayer ! »
Vers une internationalisation de l’animation
Aux fans sans doute alarmés par les tentatives d’approche de studios américains « j’ai en effet reçu une proposition de Dreamworks, mais elle est arrivée au moment où je travaillais sur Steamboy, j’ai donc dû la décliner. Depuis, plus rien, donc je pense qu’ils ont dû abandonner ! » – qui s’inquiéteraient d’une certaine uniformisation de l’animation, ÔTOMO reste serein : « le cinéma japonais est plus fort que ça ».
Et les femmes dans tout ça ?
Enfin, à la question un brin audacieuse de l’animateur sur la misogynie présumée du réalisateur – « On vous a souvent reproché de ne pas offrir de visibilité à des personnages féminins dans vos films. Est-ce pour redorer le blason de la femme que vous avez créé le personnage de Scarlett ? » – ÔTOMO répondit dans un éclat de rire : « au départ, j’avais dessiné Scarlett avec une expression très bizarre. Tout le monde a détesté ! C’est le chara designer TOMARU qui lui a dessiné son visage très mignon ». Gageons que Steamgirl, la suite présumée à Steamboy, donnera à ÔTOMO tout loisir de donner sa propre vision de la féminité.
A lire : le compte rendu du vernissage à la Galerie Arludik.
A venir sur le site : entretien filmé avec M. ÔTOMO, la revue de presse du film, et un compte rendu des avant-premières du film à travers la France.
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