Après avoir accueilli l’an dernier entre autres invités étrangers les japonais ÔTOMO Katsuhiro et TANIGUCHI Jirô, distingué ce dernier en lui décernant le prix du « Meilleur scénario » pour Quartier Lointain (tome 1), remis celui du « Meilleur album » à l’américain Chris WARE pour Jimmy Corrigan, et enfin initié les Rencontres Internationales, où débattent en public auteurs de pays ou horizons différents, il est difficile de ne pas reconnaître la volonté du Festival d’Angoulême de s’ouvrir sur des courants et des cultures souvent peu représentés médiatiquement. Suite à la superbe édition 2003, le Festival a de nouveau tenté de concilier au sein d’une même ville et pendant 4 jours, des oeuvres et univers qui n’ont parfois rien, hormis leur désignation de « bande dessinée », en commun. Morceaux choisis d’une richesse qui confine au grand écart.
Rahan et Nekomix
Cannes de la BD, Angoulême est d’abord un marché, où s’étalaient comme d’habitude sous la bulle-chapiteau du Champ de Mars les grosses légumes de l’édition, à côté des plus modestes. Dans une allée bondée, Jean-Christophe MENU, auteur et dirigeant de l’Association, lorgnait sur le stand de la petite maison d’édition coréenne Sai Comics. La jeune auteur Vanyda, l’an dernier logée sous la bulle New York réservée aux fanzines, s’en est expatriée en compagnie de La Boîte à Bulles, éditeur de son Immeuble d’en face (lire notre article). Tenant davantage de la caverne d’Ali Baba, la bulle New York bouillonnait, entre Nekomix et ses concours de dessin, ses fanzines venus aussi bien d’Italie que de Scandinavie, en passant par l’Angleterre avec notamment le lauréat 2004 du meilleur fanzine, Sturgeon White Moss. On croisait également ici et là des éphèbes de papier aux allures clampiennes, toujours plus nombreux au fil des ans.
Commerciale ou quasi bénévole, la BD hors les stands révèle à Angoulême une palette allant de la « BD à papa » à la plus expérimentale. À côté des expositions mastodontes Loisel et Rahan, la seconde tendance trouvait en Underboom, festival off dont c’était la 6e édition, un représentant de choix. Coloré et intriguant, avec ses expositions Moulinex et Hollywoodoo (d’affiches de films revisitées), Underboom rejoignait l’atelier Sint Lukas dans les manifestations décalées marquantes du Festival. Sint Lukas, école allumée de BD flamande, proposait dans une salle de classe de vrais-faux cours de BD d’un quart d’heure. L’expérience, d’après la rumeur, valait le détour. Autre atelier, autre ambiance, avec le collectif angoumoisin Sanzot, dont l’exposition était scénographiée autour des étapes de la réalisation d’une BD. C’est ce même désir de faire partager au public le versant « création » du 9e Art qui avait amené certains responsables du Festival à organiser l’an passé des Rencontres Internationales. Leur seconde édition fut marquée, de nouveau, par l’éclectisme.
Tintin et les X-men
Etaient ainsi notamment conviés, séparément mais dans la famille « peintre et dessinateur », Lorenzo MATTOTTI et Dave MC KEAN. MATTOTI détailla son parcours à la lumière de ses recherches graphiques, entre Feu (album au pastel gras où « ce sont les couleurs qui racontent l’histoire »), L’homme à la fenêtre (où il revient à la « ligne fragile », au trait très fin, comme tremblé) et son récent carnet de voyage sur Angkor. Quant à l’univers de MC KEAN, qui évolue dans le monde des comics, il pouvait aussi s’apprécier à travers l’exposition Narcolepsy qui lui était consacrée, où se mêlaient BD, peinture, cinéma, photographie et design graphique. Un exemple parmi d’autres que séparer la BD des autres Arts n’a guère de sens chez nombre d’auteurs.
C’est le cas du néerlandais Joost SWARTE (L’Art moderne), féru d’architecture et de design, et inventeur en 1977 du terme « ligne claire » qui désigne le courant dont HERGE fut l’un des pères fondateurs. Face à Ted BENOIT, qui reprit récemment, au dessin, la série Blake et Mortimer sur 2 tomes, SWARTE a expliqué sa fascination pour Tintin, en raison de son dessin très lisible (« avec la ligne claire, on peut donner la même importance à des éléments situés loin qu’à d’autres proches, puisque c’est le même trait qui crée personnages et décors »), mais aussi pour les comics américains. Lesquels furent représentés par deux apôtres des super-héros et notamment des X-men, Jim LEE et la star Chris CLAREMONT. Mais les comics sont aussi remplis de super-ringards, figures d’un underground nord-américain incarné cette année par Chris WARE et SETH.
La rencontre entre WARE, lauréat du meilleur album en 2004, coincé et sympathique, et SETH (Le commis voyageur), jumeau canadien de David BOWIE, dandy drôle et charmant, fut réjouissante, occasionnant, outre des remarques passionnantes sur la BD, quelques paroles savoureuses. Ainsi, SETH, à propos de ces « boys-scouts » que sont les super-héros : « je les aime bien, mais des gens assez cons ont décidé d’en faire des créatures sérieuses ». On retiendra aussi la gêne de WARE zappant frénétiquement les diapositives de ses dessins de nu. Plus sérieusement, les deux auteurs apprécient la BD japonaise, WARE citant le manga d’avant guerre Norakuro de TAGAWA Suihô, SETH ayant lui récemment découvert TEZUKA à travers Phénix. La « fiction autobiographique » développée notamment par SETH, fut aussi au centre de la rencontre entre Marjane SATRAPI et son éditeur Jean-Chistophe MENU, croisé plus haut. On notera qu’à l’instant même où l’espagnol Carlos NINE s’exprimait en public, le Président grolandien Christophe SALENGRO se faisait exécuter à coup de tarte à la crème sur la place du Palet.
Salengro et Urasawa
Pays invité, Groland s’était installé en force avec exposition et bière à gogo. Une rue seulement séparait la délégation grolandaise de la Maison des Auteurs, transformée en Paquebot pour présenter le travail des 22 auteurs résidents.
Dans cette multitude, où se situait le Japon ? Outre les stands des éditeurs de manga et l’école d’Osaka et sa discrète exposition, il était surtout présent via les 5 nominations aux prix du Festival. Ainsi, 20th Century Boys de URASAWA Naoki concourrait dans la catégorie « Série » ; Ping Pong de MATSUMOTO Taiyô, dans celle du « Dessin » ; Planètes de YUKIMURA Makoto, pour le « Scénario » ; enfin, dans la nouvelle catégorie « Patrimoine », mettant en avant des oeuvres ayant marqué l’histoire de la BD, étaient sélectionnés Ayako de TEZUKA Osamu et Coup d’éclat de TATSUMI Yoshihiro (lire notre article). Au final, seul 20th Century Boys fut distingué par un prix officiel du Festival (lire notre article), Gen d’Hiroshima (lire notre article)(tome 2) de NAKAZAWA Keiji recevant le Prix Tournesol décerné par les Verts.
Dernier virage, avec le Grand Prix de la Ville d’Angoulême remis à ZEP (Titeuf) par un jury composé d’ex-grands prix et présidé par un Régis LOISEL jugeant le palmarès « trop élitiste ». Et pour cause, l’auteur de Peter Pan, qui ne connaît pas Manu LARCENET, prix du meilleur album avec Le combat ordinaire, juge « les Japonais de 20th Century Boys » (URASAWA est-il plusieurs ?) « pas populaires » (il ne semble pas davantage connaître cet auteur de best-sellers) et trouve « sans intérêt » les « BD où les auteurs racontent leurs histoires de cul ou de tous les jours » (oh !). C’était dimanche matin, dans les colonnes de La Charente Libre. Heureusement, samedi soir, le cocktail d’anniversaire des 10 ans de l’éditeur Ego comme X avait permis d’écouter Jean-Luc LE TENIA, « Meilleur chanteur français du monde » selon Didier WAMPAS, clamer : « C’est parce que je suis trop beau et trop intelligent que les filles ont peur de moi, elles n’osent pas m’approcher pourtant elles le voudraient. N’ayez pas peur, j’ouvre les bras ».
Comment ne pas trouver son bonheur à Angoulême dans ces conditions ?
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