Les étudiants des Gobelins ne sont pas retenus dans cette catégorie du festival parce qu’ils bénéficient d’un énorme privilège. En effet, depuis plusieurs années, les génériques des deuxièmes années du CFT Gobelins ouvrent les séances de toute programmation du festival (le MIFA faisant exception). À raison d’un générique différent par jour (six au total), les travaux de fin d’étude du CFT Gobelins sont forcément projetés, d’où leur absence dans les sélections de films de fin d’études. Néanmoins, les étudiants restent, quant à eux, sur le même pied d’égalité que les étudiants issus d’autres écoles, puisque c’est l’occasion pour eux aussi de montrer l’étendue de leur travail. Et parfois, si le projet est suffisamment pertinent, il peut aboutir à un développement en série, comme cela a été le cas en 2000 avec Les enfants font leur cinéma, générique réalisé par Thomas ROMAIN (deuxième année des Gobelins cette année-là) qui s’est vu offrir un contrat de développement de son générique par ANTEFILMS. Aujourd’hui ce projet porte le nom de Garage Kids (présenté dans le numéro 79 d’AnimeLand, La France s’anime p.28). Thomas quant à lui est aussi connu comme co-réalisateur du pilote Molly Star Racer (Sav ! The World prod.).
Près d’une cinquantaine de projets ont été sélectionnés, voici ceux dont nous apprécions l’humour, l’ambiance, le scénario, la réalisation ou tout à la fois. En route pour une visite guidée dans l’univers des jeunes créateurs. Probablement, à cause d’une formation technique dense, les courts-métrages, souvent réalisés parallèlement à la formation, se caractérisent par une durée qui n’excède que rarement la douzaine de minutes. Temps qui reste néanmoins suffisant pour se faire une idée des capacités nouvellement acquises par les jeunes réalisateurs. L’enjeu d’une telle programmation et de taille, il est même double. D’une part, pour les écoles formant de futurs animateurs, d’autres part pour les réalisateurs eux-mêmes. Pour les écoles, c’est la qualité de leur enseignement qui va être estimée : le risque s’exprime en termes de qualité finale du projet (l’originalité étant l’apanage des jeunes créateurs). Dans ce cas, présenter des projets uniquement viables grâce à leur originalité n’est pas toujours aisé. L’autre enjeu, certainement le plus redoutable, c’est celui que représente le court-métrage en tant que tel : c’est la toute première carte de visite de l’auteur. Combien décrochent un contrat d’embauche après s’être illustré sur les écrans d’Annecy et le cas échéant, sont récompensés par le jury ? Nombreux étaient les films de fins d’études, leurs factures techniques n’étaient pas toujours excellentes, mais c’est autant la technique que l’émotion qui se dégageait de ses oeuvres qui aura orienté nos choix. Deux techniques se sont distinguées, le dessin animé et l’animation en volume, un court-métrage en 3D a retenu notre attention : A Short Film.
A short Film (Royaume -Uni, GCADT-Glamorgan Centre for Art and Design and technology)
A short film marie 3D et décors de prise de vue réelle. Véritablement l’intérêt ne porte que sur l’animation, le décor lui, reste statique. L’action est censée se passer au Japon et l’histoire raconte les déboires d’une petite japonaise prisonnière d’une bulle. Ce n’est pas tant le sujet qui interpelle ici, mais les clins d’oeil à l’animation japonaise. En effet, la première scène montre une gamine en train de regarder la fin d’un épisode de Urusei Yatsura (Lamu, réaction de quelques spectateurs approuvant le clin d’oeil sympathique), et le panda n’était pas sans rappeler Genma de Ranma 1/2, voire Panda Kopanda. En dehors de ses penchants pour l’animation nippone, Short film est suffisamment court pour ne pas être ennuyeux, mais assez long pour envahir les mémoires le temps d’une projection. Originaire du Royaume-Uni, Jamie WOODHEAD est une réalisatrice qui, pour son projet de fin d’études, a opté pour un humour léger et bon enfant, mais en dehors du côté petite fille au pouvoir magique, qu’a-t-elle retenue de l’animation nippone ? Affaire à suivre.
Tauro (Allemagne, HFF-Hochschule für Film und Fernesehen)
Si le thème “cornes” vous intéresse, ce court-métrage réalisé en 2D traditionnelle, en illustre parfaitement la symbolique à travers une évolution graphique et surtout chronologique. Le réalisateur a pris le parti de montrer comment le taureau a été représenté en tant que gibier (préhistoire) ou en tant que mythe (le Minotaure) au cours des siècles qui ont suivi son apparition. Le thème taurin que l’on retrouve aux quatre coins du monde aurait peut-être mérité une déclinaison plus longue de sa thématique et plus fournie. Trois minutes, c’est un peu frustrant.
Katarina (Israël, Bezalel Academy Of Art and Design)
Court, efficace, jovial, ce projet de fin d’études est plaisant sans être transcendant. La danseuse Katarina brave quelques tabous par sa joie de vivre lors d’une fête villageoise. Mais, finir en sous-vêtement à la fin d’une danse traditionnelle de mariage ce n’est pas forcément de bon aloi même si la jeunesse justifie que l’on brave certains interdits. L’audace dont fait preuve le personnage ne suffit pas en 2mn 15, à susciter un intérêt qui aille au-delà de sa sélection. C’est en revanche une bonne chose qu’un court-métrage aussi vivant soit présent dans des sélections où la morosité des sujets semble être monnaie courante.
Shh (Australie, VCA-Victoria College of Arts)
Adam ROBB, retenez bien ce nom, il ne serait pas impossible qu’il s’illustre comme l’un des futurs auteurs satiriques d’Australie, qui bousculera son monde dans l’univers de l’animation. Andrews HORNE auteur de Leuning (série de court-métrage), lui aussi australien, ne joue les troubles fête que par moments et exprime beaucoup plus les travers des sociétés occidentales par la dérision. Adam ROBB excelle dans la satire, sans être cynique pour autant, et installe des situations qui s’enchaînent avec une géniale virtuosité. Il utilise un graphisme minimaliste : dessins d’enfants symboliques avec un rond pour la tête, un ovale ou un triangle pour les yeux, des bâtons pour les membres supérieurs et inférieurs et l’affaire est jouée. Avec un tel graphisme, il peut facilement animer ses personnages et varier leurs expressions tout aussi aisément. Mais il surprend parce qu’avec ce graphisme enfantin allant jusqu’au gore et provoquant le rire parce qu’on attend un décalage aussi marqué. “Shh !” est l’interjection anglophone correspondant à notre “Chut !” et qui, pour ce dessin animé, tente d’imposer le silence à un nourrisson. Il lui propose différentes solutions pour le calmer avec des interventions dignes de La linéa (la main participe à la mise en scène), mais le nourrisson continue son tintamarre. Excédée, la main lui ouvre le cerveau. Commence alors un dédalle de situations, d’idées, de préjugés, où toutes sortes de scories mentales montrent, avec un humour noir parfois très poétique, les travers de nos sociétés qui ont déjà gangrené l’esprit d’un nouveau-né.
Fenêtre avec vue (Fenderie Mit Aussicht, Allemagne, KHM-Kunst Hochschule für Median Köln)
Techniquement pour du dessin animé on a vu mieux, graphiquement tous les goûts sont dans la nature. Mais alors que reste-t-il donc à ce dessin animé pour qu’il ait attiré notre attention ? L’idée. Elle repose sur le désir et ses illusions. La notion de désir est exprimée ici par l’intermédiaire d’une fenêtre : désir profond de ce que l’on veut voir : un coucher de soleil permanent, une clairière, une femme en pleine séance de gymnastique. Une fenêtre sur vue est en fait une invention technologique qui entretient une illusion. Une “fenêtre avec vue” peut se commander auprès d’un commerçant et, comme tout produit de consommation, certaines sont plus appréciées que d’autres. Ce court-métrage nous rappelle combien les choses que l’on désire ne sont pas si éloignées à l’instar de cette femme qui recherche l’homme de sa vie et de cet homme en manque d’affection, chacun consommant une ” fenêtre avec vue “, illusion de ce qu’ils sont réellement l’un pour l’autre.
Jouant sur toutes les possibilités qu’offre le cadrage, la réalisatrice, Vera LALYKO, profite de notre condition de spectateurs pour nous piéger dans son système, nous faisant participer, malgré nous, à l’illusion que peut représenter son court-métrage. Voilà comment une étudiante valorise son travail dont la qualité générale n’est pas transcendante grâce à un concept intéressant exploité astucieusement par sa mise en scène.
Enfants du miel (Allemagne, KHM)
Si un prix de l’angoisse devait être décerné à un court-métrage c’est sans conteste à Anja STUCK, réalisatrice des Enfants du miel, que l’on aurait attribué ce titre. L’angoisse repose sur le choix de l’éclairage. Le sépia étant dominant, rappelle la couleur du miel, mais en dehors de ça la seule confection de la marionnette et l’expression de son regard suffisent à déranger l’esprit qui réclame que ce spectacle, quelque peu morbide, se termine. Non, il n’est pas question d’horreur mais juste d’un point de vue sur une situation simple. Le génie de la réalisatrice est de raconter l’histoire de la reine des abeilles prenant son repas qu’un lièvre en quête de sucreries viendra chambouler. N’eût été le surréalisme de toute la mise en scène, ce court-métrage serait certainement passé aux oubliettes de la mémoire.
Kuvastin (Le Reflet, Finlande, Turku arts Academy)
Kuvastin aurait pu prétendre à une récompense, n’eut été la confection des personnages. En dehors de ce détail artistique, certes non négligeable, Kuvastin dispose d’un bon scénario. Le personnage principal n’est pas sans rappeler l’Elephant man de David LYNCH. En effet, le visage masqué d’un torchon blanc, il arrive dans la vie d’un couple de troubadour. Vraisemblablement il n’a pas mangé depuis plusieurs jours et trouve une hospitalité chaleureuse auprès de ce couple. Il soupe en leur compagnie tout en gardant son intrigant couvre-chef ainsi que le mystère qui l’entoure. Un brin curieux, les hôtes, surtout le mari, dissimulent difficilement leur gêne. L’infortune frappe le mystérieux personnage. Stupeur générale, sa tête n’est ni plus ni moins qu’une caméra. Il tente de se cacher, mais ses hôtes sont ravis par tant de différence. Hélas, ses performances techniques vont créer un malentendu dans le couple, ce qui donnera lieu à une tragédie : pouvant filmer et projeter tout ce qu’il voit, l’homme caméra devient un rival que l’appareil photo souvenir du mari ne peut égaler.
Pour un projet de fin d’études, l’animation est un peu saccadée, mais les émotions que transmettent les personnages sont suffisamment saisissantes pour palier le manque d’expérience du jeune réalisateur. Quant à la construction du scénario, elle tient largement ses promesses sur 10 minutes. À découvrir.
Prasavci (République Tchèque, Famu-Faculty of Film and TV)
Prasavici est de ces courts-métrages qui ne sont ni exceptionnels ni géniaux. Il y a tout ce qu’on attend d’un bon projet : une bonne histoire, une animation correcte, des personnages attachants ; l’efficacité en somme. S’il n’y avait pas un brin d’humour noir, ce serait un court-métrage auquel la banalité aurait fait obstacle. Des créatures préhistoriques sont aux prises avec des prédateurs impartiaux : des T-Rex. Le mari part à la cueillette, mais revient trop souvent riche de terreur et appauvri d’un membre : une main perdue la veille, sa queue le lendemain. C’est pas une vie ! Mais voilà qu’un événement vient changer la donne, les anciens prédateurs sont tous exterminés, la lutte pour la survie s’achève, une nouvelle vie commence.
Techniquement, la confection des marionnettes est certainement tout aussi aboutie que celle de Das Rad (court-métrage qui a reçu le prix du meilleur film d’école 2002 -voir AnimeLand 83) et c’est certainement ce qui le démarque des autres projets d’animation avec marionnettes.
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