L’histoire
Olivier, apprenti Sage (individu manipulant la magie noire et blanche) de l’ordre de Buasaria, quitte son pays pour partir en voyage. Il secourt une certaine Ori, une magicienne hors pair qui devient une compagne de route. Il vise le continent mythique “G”, tandis qu’elle essuie les assauts de ses six frères et soeurs. Avec Suzu, elfe noire chargée de ramener Olivier, et Shazan, devin s’avérant être un Saint chevalier déchu, le groupe sera complet. Olivier, possédé par le « Black Olivier » (un esprit maléfique vivant dans son corps), entre en conflit avec ses amis et Ori doit lui couper le bras. Elle quitte alors ses compagnons et incorpore une bande de brigands. Parallèlement, le groupe d’Olivier s’arrête dans le château d’un seigneur féodal qui aimerait bien dépecer le jeune homme ! Pressentant le danger, Ori revient in extremis, mais le fils de la maison parvient à s’échapper. Cherchant un moyen de remplacer son bras, Olivier retourne voir son Ordre, en vain. Bien que mutilé, il n’abandonne pas l’idée de repartir vers “G”.
Gestalt
Dans le titre de ce manga, on trouve le mot gestalt (« forme » en allemand). Les psychologues allemands KÖHLER (né en 1887), WERTHEIMER (1880-1943) et KOFFKA (1886-1941) furent les premiers à lancer le Gestaltisme : une théorie psychologique et philosophique refusant la division des phénomènes psychologiques, physiologiques ou physiques en éléments distincts, afin de les appréhender comme des touts indissociables. De fait, l’évolution d’un élément entraîne l’évolution de l’ensemble du phénomène. Au Japon, ce fut l’Académicien KANAE Sakuma (1888-1970) qui introduisit le Gestaltisme.
Dans le manga, le terme gestalt se justifie car les actions des protagonistes s’influencent mutuellement. Le contact entre les membres se manifeste sous la forme de l’introspection (plusieurs personnages recèlent différentes personnalités), de l’ouverture vers autrui (vie en groupe, rencontres, adversaires), de la connaissance et du respect de l’environnement (nature, magie, dieux).
Heroïc fantasy japonais
Qui dit heroic-fantasy, dit mythes (shinwa) et légendes (densetsu). Le genre littéraire setsuwa bungaku rassemble ces récits anciens, transmis oralement, sous forme de textes entre les années 800 et 1300. Dans Chôjû densetsu gestalt, la quête des héros s’apparente à un pèlerinage, l’omniprésence de la religion, au sein ou en dehors du groupe, accentue cet aspect. Au Japon, la coutume des pèlerinages remonte à la période de Nara (710-794) et, sous l’impulsion du Bouddhisme, se propage dans le peuple à l’époque Heian (794-1185). Comme ces pèlerinages s’effectuent en groupe, l’équipe de compagnons dans une épopée de type héroic-fantasy peut être l’extension de cette pratique religieuse.
Le personnage récurent de l’heroic-fantasy est le chevalier (ici, incarné par Shazan). La chevalerie japonaise est nommée Ninkyô et est une voie spirituelle créée par des hors-la-loi dans un passé où les structures féodales sont très rigides. S’appuyant sur des valeurs idéales (aide au faible, lutte contre le fort, oubli de soi-même, dévouement aux autres), le Ninkyô s’est perpétué par l’intermédiaire du théâtre et des conteurs populaires. À présent, son sens initial s’est modifié et s’est associé à la morale de l’univers des yakusa…
Le parcours initiatique des héros les mène par mont et par vaux. Rappelons que les Japonais commencèrent véritablement à se déplacer dès l’ouverture de 5 grands axes collectivement appelées Gokaidô (Tokaidô, Nakasendô, Kôshûkaidô, Ôshûkaidô, et Nikkôkaidô), tous sous le contrôle direct du shôgunat. Les TOKUGAWA s’en servirent pour unifier les provinces et asseoir leur autorité. Chaque daimyô, dont le territoire était coupé par ces routes, devait les entretenir et fournir des étapes-relais. Aujourd’hui, le pays jouit d’un système de transport performant. Le train à grande vitesse Shinkansen qui relie les principales villes, a été mis en service en 1964. L’extrême développement des organismes de transport public et privé, la quasi absence de grèves, le respect du voyageur et le manque de place pour garer son auto sont d’indéniables atouts favorisant l’utilisation du chemin de fer, du métro et du bus. Néanmoins, il reste encore des coins mal desservis qui, en contrepartie, gardent un charme naturel. Les vols internationaux, eux, ont commencé après 1964, année des olympiades Tôkyoïtes. Les prix étant exorbitants, il faut attendre 1985, année où la valeur du yen augmente suivi du décollage du Jumbo Jet, pour que le japonais moyen se tourne vers l’étranger (17 millions de touristes en 1998).
L’attirance des Japonais pour le surnaturel
Les Japonais ont de tout temps été attirés par le surnaturel. Le Shintô et le Bouddhisme ésotérique, entre autres, privilégient la magie (Jujutsu) pour asservir les puissances supérieures. Ainsi, de nombreuses danses et fêtes rituelles recèlent une portée magique. Cependant, ce pouvoir se retrouve aussi dans les charmes, amulettes, voire la nourriture traditionnelle ! En vérité, la magie est fortement ancrée dans la culture japonaise, se matérialisant à travers les gestes de la vie quotidienne. KOUGA a fait de Shazan un devin. La divination (Bokusen, Uranai) a toujours trouvé son public au pays du Soleil Levant. Là-bas, diverses techniques existent pour prédire l’avenir. Les plus rudimentaires sont le chauffage d’omoplates de cerfs, quant aux plus courantes, elles consistent en un jeté de baguettes sur le sol… Les Japonais inventent sans cesse de nouvelles manières de prédire le futur. L’avenir serait-il un jeu ?
L’heroic-fantasy se caractérise également par la présence d’amulettes et talismans, notamment mentionnés dans Chôjû densetsu gestalt. De taille réduite et rectangulaire, les amulettes (gofu, omamori, ofuda) garantissent diverses protections. Elles trouvent leur place sur l’autel familial, ou dans un sachet en brocart à porter sur soi. Le charme protecteur mayoke arbore une forme naturelle telle que coquillages, pomme de pin, champignons et s’épingle sur la porte des maison au Nouvel An. Nous pouvons aussi citer le Somin shôrai, petite colonne octogonale surmontée d’un chapeau pointu qui éloigne la malchance. Dans le manga de KOUGA, Ori et Olivier se servent d’amulettes notamment pour respirer sous l’eau, et l’une des soeurs de Ori pense conquérir l’amour d’un guerrier grâce à un talisman.
L’auteur
KOUGA Yun, née le 9 juillet 1965 à Tôkyô, débute en tant que mangaka en 1988 après s’est distinguée dans le monde des dôjinshi. Inconditionnelle d’HAGIWARA Kazushi, elle apprécie TOGASHI Yoshihiro et adore les jeux vidéo, les voyages, et le cinéma. Pour en savoir plus, rendez-vous sur son site.
Auteur prolifique, elle dessine plusieurs titres en même temps. Son manga La vie en rose est d’ailleurs sortie dans notre verte contrée chez Soleil. Le trait de l’artiste est évident, fluide et gracieux. Sa mise en scène, sans être révolutionnaire, obéit aux normes du shôjo mais offre une clarté bienvenue. Les fleurs, qui inspirent tant poètes et artistes japonais, poussent sous sa plume et leurs caractères éphémères rivalisent de beauté, car symbolisant les saisons et les moments de la journée.
Dans Chôjû densetsu gestalt, les protagonistes sont élancés et poseurs, les femmes sont fines et la gente masculine a de larges épaules. Ori se contorsionne pour être sexy dans n’importe quelle situation, Olivier est d’apparence androgyne et Shazan est le type mystérieux que toute série se doit d’exposer. Influencée par le jeu vidéo, l’auteur met en scène une pléiade de personnages secondaires dignes d’un RPG !(1). Les décors sont quasi-inexistants, et l’histoire est baignée d’anachronismes (moyens de locomotion, objets, tenues vestimentaires). Les chapitres sont entrecoupés de petites parodies au cours desquelles les héros sont transportés à notre époque, ou vivent les aventures d’autres personnages du manga. Le scénario est assez fouillis et ne décante qu’à partir du volume 6.
Sans être la meilleure oeuvre de l’artiste, Chôjû densetsu gestalt reste malgré tout d’une lecture agréable.
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