Si nos desperados de l’espace aspirent à frapper aux portes du Paradis, certains critiques préfèrent eux rester les pieds sur terre, voir même fricoter du côté des portes de l’enfer. Et de l’enfer à la Terre, et de la Terre à l’Eden, il n’y a souvent qu’un pas !
Le royaume des enfers
Peu nombreux mais avec la hargne aux lèvres, les détracteurs de Cowboy Bebop ne font pas dans la dentelle et n’hésitent pas à nous servir les pires lieux communs et autres clichés que l’on croyait à jamais disparu de leurs vocabulaire. « Trop long, dialogues lourdingues, trop prétentieux, pas bien animé, patchwork bordélique… » Tous les poncifs du genre issus des traumatisés du Club Dorothée s’énumèrent dans un déferlement frôlant de peu le mépris total !
Certaines scènes divisent ainsi les critiques. Si les dialogues du film emportent l’enthousiasme de Nova Magazine, Zurban cloue ceux-ci au pilori ! « A la tête du gang de limiers, un cowboy de l’espace plutôt cool et une minette friponne à la nippone, minijupe et bas d’écolière. C’est inventif, divertissant, mal animé comme un manga mais beaucoup trop long. (…) La BO jazz-rock-country comble les creux et fait taire à point nommé les personnages qui devisent sur la mort avec un flegme fatigant. A voir, si l’on est fan du genre ». Résumons : quelles que soient ses ambitions, un mangass, ça reste un mangass, et toc ! Quand aux bas d’écolières de Faye Valentine, nous les cherchons encore.br> Mais la palme du cliché méprisant vient de Ciné Télé Revue : « Et une “japoniaiserie” de plus, une ! ». On se croirait revenu 15 ans en arrière ! Surtout que le rédacteur de cette perle reconnaît que la série d’origine connut un immense succès et « a conquis rapidement le jeune public du monde entier ». C’est dire combien celui-ci tient en haute estime le « jeune public »…
Pour conclure le supplice et comme le titre l’indique, nous ne parlons ici que de presse. Mais il serait alors dommage de passer à côté de cette perle télévisuelle issue du Journal du Cinéma de Canal Plus : « Après les films de Pokémon et de Dragon Ball Z, voici le film de Cowboy Bebop »…Des commentaires ?
On est bien sur Terre
Ils sont parmi ceux qui ont su garder la tête froide et peser le pour et le contre, tout en prenant plaisir à un film qui, s’il ne révolutionne pas le genre, apporte sa pierre à l’édifice de la série B d’action intelligente !
Nova Magazine : « Sous ses airs de rétro-SF, Cowboy Bebop réussit l’alliance du divertissement populaire et de la réflexion métaphysique ». Le magazine n’hésite pas d’ailleurs à comparer le potentiel populaire et intelligent des films d’animation nippons avec celui des films de Pixar. Idem pour les Inrockuptibles : « De la science fiction où s’épanouissent sens du divertissement et profonde réflexion ».
Technikart pour sa part, joue la carte des comparaisons flatteuses en une phrase percutante bien qu’un peu caricaturale : « Bruce Lee + John Woo + Mickey Spillane + Tarantino + Blade Runner = CowBoy Bebop. Qui dit mieux ? ». Caricaturale certes, mais étayée par : « Cowboy Bebop est, de la sorte, symptomatique de l’obsession des Japonais à recycler tout ce qu’il y de mieux chez les autres en l’adaptant à leurs propre univers ». Néanmoins, et comme nombre de ses collègues qui ont aimé le film (autant que la série), le rédacteur de cette chronique souligne son manque d’atmosphère (pour d’autres, il s’agit du fun ou de la psychologie des personnages) propre à la série et qui est malheureusement ici le parent pauvre.
Palme de la chronique la plus originale, Positif est d’emblée séduit par le joyeux capharnaüm esthétique du film mais regrette le manque de charisme du héros Spike Spiegel. Passé cette introduction en demi-teinte, Positif tire à boulets rouge sur … l’adaptation française, non pas dans la qualité du doublage, mais dans sa traduction ! « On ne peut pas recommander un film asiatique diffusé en anglais. (…) On passerait éventuellement l’éponge en tenant compte de l’aspect cosmopolite du cadre, mais les sous-titres sont parfaitement incohérents : (…) « Tu es un original » est traduit par « Espèce d’enfoiré ». Le fait que CowBoy Bebop ne soit que l’adaptation d’une série télé n’excuse en rien le manque de respect des traducteurs (…). On espère que cette bande « d’originaux » croisera Spiegel au détour d’une rue sombre. » Wow ! Il est fâché le monsieur, mais qui le blâmera ?
L’Ecran Fantastique consacre une pleine page au film. Malgré une critique très positive qui énumère nombre des morceaux de bravoure du film (frôlant de peu le spoiler !), le rédacteur admet que si l’ensemble ne manque pas de rythme, « l’ensemble a parfois l’allure d’un patchwork, épisodes empilés où manquent certains liens ». Cela ne l’empêche pas de donner la note maximale au film dans le tableau des critiques du magazine.
Les portes du paradis
Les Elus ne ménagent pas leur verve rédactionnelle en créditant leurs efforts par de gros dossiers bien remplis (interviews, analyses, CV du réalisateur qui a notamment travaillé sur deux opus d’Animatrix…) ou par des phrases chocs mais chics (France Soir, Figaroscope, ou Story Board qui parle carrément d’événement de la rentrée) !
Micro Dingo, le magazine du net, du charme et de l’humour, consacre ainsi un dossier didactique de quatre pages uniquement centré… sur la série TV ! Le tout est complété par un petit encart sur le film, simple mais efficace, mais dans lequel l’auteur regrette la perte de l’esprit délirant de la série d’origine…
Studio pour sa part rejoint bon nombre de ses collègues, en faisant un parallèle entre les événements du 11 septembre 2001 et le contexte terroriste du film. « Le thème pourrait mener à toutes sortes de dérives mais le scénario, intelligent, a su éviter les écueils ». Et pour ceux qui pourraient croire que le film de Cowboy Bebop fait une exploitation scabreuse de ces tragiques événements, Première rappelle pour sa part que le film est sorti au Japon durant l’été 2001 ! Voilà qui dissipe toute ambiguïté…
Télérama, malgré une énôôôôrme erreur confiant la paternité de l’oeuvre à … HOJO Tsukasa (City Hunter, Cat’s Eyes), n’en finit pas de déverser compliment sur compliment sur le film de WATANABE Shinichiro : « inventif, extrêmement soigné, (…) personnages bien troussés (dont un « méchant » furieusement romantique) ». Allez, on leur pardonne ?
De tous les magazines cinéma « grand public », seul Fantastique Zone ose une pleine couverture sur le film ! Un pari risqué renforcé par un dossier de 4 pages : 3 pour le film et une pour la série TV. L’analyse du film passe par de nombreuses métaphores sur les rites païens liés à Halloween, l’onirisme de la mise en scène, le tout porté par un rédacteur sous le charme direct de Vincent, le méchant du film : « Chaman ? Sorcier ? Vincent se veut tout cela et plus encore : l’éveilleur des consciences ! ».
Du côté des magazines spécialisés, Coyote Magazine consacre 5 pages de dossier dont 4 sur… une longue, mais très intéressante interview du réalisateur. Pour ce qui est de la critique (courte mais élogieuse), cherchez-la plutôt dans le texte d’introduction du dossier. Comme quoi la qualité du film découlerait d’une évidence… Pourquoi pas ! L’interview quant à elle se révèle surprenante d’originalité, avec nombres de questions pertinentes comme sur les analogies entre le 11 septembre et le contexte du film, certains personnages secondaires, ou encore à propos du regard de l’artiste sur son oeuvre !
Un ange grognon
A force de faire des comparaisons entre tel ou tel film, de citer les multiples (et justifiées ?) références auquel fait allusion l’oeuvre de WATANABE Shinichiro, certaines critiques ont tôt fait d’exaspérer d’autres de leurs collègues. Attention : rédacteur pas content !
« “En dépit de scènes violentes, de quelques longueurs et d’un traitement typé série TV pas aussi exceptionnel que celui du Voyage de Chihiro, il règne dans ce Blade Runner nippon une très bonne ambiance…” Voici synthétisé en une phrase le tissu d’âneries qu’une partie de la critique française, paradoxalement inculte en cinéma, ne manquera pas de débiter au sujet de Knockin on the Heaven’s Door ». Ce brûlot nous vient tout droit de Japan Vibes. Si on ne peut nier une bonne intention de départ, l’aspect provocateur risque d’en rebuter certains. Un brûlot en partie hors propos, étant donné que le réalisateur n’a jamais caché l’aspect hétéroclite de ses aspirations ! Autre prédiction un peu hâtive : quasiment aucune critique n’a eu l’indélicatesse de comparer Cowboy Bebop à une quelconque autre oeuvre de MIYAZAKI Hayao. Ceux qui redoutaient alors que ce dernier n’étouffe ses compatriotes venu tenter l’aventure en Occident peuvent ainsi se rassurer…
Ce que l’on comprend moins, c’est qu’avec cette introduction, le rédacteur semble imposer l’idée que le film est un genre à part entier… Ce qui ne l’empêche pas, un peu plus loin, d’énumérer en des longs chapitres nombre d’autres références cinéphiliques célèbres (mais surtout pas Blade Runner, hein !) ayant servi au même film ! Néanmoins, le journaliste précise que ce mélange pourra séduire celui qui saura se laisser porter par les « les beautés du métissage ».
Loin des ses contradictions, le bonhomme nous offre tout de même de fines analyses de personnages, de symboliques bien trouvées (l’équipe du Bebop est une famille qui ne se trouve jamais !), et conclut comme nombre de ses collègues que le fragile équilibre du film entre son scénario et son esthétique fait partie de son charme. S’ensuivent deux passionnantes interviews du réalisateur et de la compositrice KANNO Yoko, ou l’occasion d’énumérer nombres d’anecdotes savoureuses ! On découvre ainsi un cinéaste sous influence, mais capable d’ingérer celles-ci pour en sortir quelque chose de neuf. On apprend aussi que Ed est en fait la caricature animée de KANNO Yoko. Ayant appris le piano toute seule comme une grande, KANNO Yoko aurait la tentation de lâcher la musique pour la photo !
Autre originalité de ce dossier déséquilibré mais ô combien intéressant, celui-ci se retrouve à quasiment 80 % transposé mot pour mot dans le magazine Mad Movies ! Et pour cause, puisque dans les deux magazines, l’intervieweur est assurément la même personne, alors que l’avis est signé par deux noms différents (mais qui apparemment ne forment la encore qu’un seul et même individu) ! Même si le procédé peut surprendre, il n’est pas un cas isolé et se pratique de temps en temps dans le milieu de la presse. Pas de quoi fouetter un chat du moment que toutes les rédactions sont d’accord…
Enfin, un mot sur la bande son : à une exception près, 100% des critiques adorent la bande originale du film ! Ce qui ne manquera pas de faire sourire de nombreux fans de KANNO Yoko, pour qui cette BGM est considérée par beaucoup comme l’une des ses moins réussies. CowBoy Bebop a encore donc de quoi alimenter de nombreux débats jusqu’en… 2071.
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