Dead or Alive, ce sont des scènes de flingage hallucinatoires et de la tendresse, les lumières agressives de Shinjuku et des plages tranquilles aux eaux turquoises, des mafieux taïwanais et des robots, des tueurs auxquels poussent des ailes d’anges, de la scatologie, du sang et des larmes. C’est le cinéma de MIIKE Takashi dans toute sa splendeur et ses excès. Une fausse trilogie qui ne ressemble à aucune autre (une singularité qui se mesure d’autant plus en ces temps de revival du concept), le seul lien entre les 3 films étant le duo récurrent d’acteurs principaux. DOA, c’est en effet aussi un couple au glamour comme seul aujourd’hui le cinéma asiatique sait en créer, magnifique, mais aussi grotesque et attachant au point de provoquer un pincement au coeur lorsque se clôt définitivement leur aventure commune. Mythique au Japon et parmi les fans du réalisateur, DOA est la preuve par 3 que MIIKE, même emporté par ses divagations, manie magistralement la caméra, et que le plus énorme des délires n’empêche pas l’émotion.
Déglingue virtuose
La réputation du cinéaste, du moins dans nos pages (voir notre interview et nos articles sur Audition et Ichi the Killer), n’est plus à faire. De la filmographie de MIIKE, le spectateur français n’a pu découvrir au cinéma que l’excellent et terrifiant Audition (2000) et le provocateur Visitor Q (2001). Lors de sa dernière édition, en septembre 2003, l’Etrange Festival créa l’événement en proposant une « Nuit Dead or Alive », heureux présage d’une sortie en salles de l’inédite trilogie. Pièce maîtresse d’une filmographie encombrée (MIIKE a signé une petite soixantaine de réalisations, tous supports et formats confondus), DOA est une nouvelle illustration de la capacité du réalisateur à passer d’un registre à l’autre, du policier à l’anticipation avec une pause, entre les deux, en forme de chronique nostalgique.
Réalisé comme un one-shot en 1999, le premier opus suit le parcours en parallèle d’un inspecteur de police et d’un truand, le premier pistant le second lors d’une enquête sur les connections entre mafias nippone, chinoise et taïwanaise. Une trame classique, tout comme son issue qu’est l’inévitable affrontement, traités cependant de façon radicale. Morceau de bravoure du film, le prologue assomme le spectateur qui assiste, médusé, à plusieurs tueries cradingues dans le Tôkyô des plaisirs, présentées en montage alterné sur des hurlements de guitare électrique. Plus posée par la suite, la mise en scène de MIIKE, inventive et construite autour de plans ingénieusement conçus, s’appuie également sur un choix d’angles souvent originaux, avec en aval, un montage virtuose.
Doux, durs et dingues
Le succès du film au Japon poussa les producteurs à proposer une suite, malgré une conclusion sans appel, à MIIKE. Le cinéaste accepta, et livra un deuxième volet totalement différent du premier. Les mêmes deux interprètes principaux jouent cette fois les tueurs à gages, amis d’enfance qui se retrouvent après des années de séparation. Imprégné de nostalgie pour la période de l’enfance, DOA 2 joue sur le contraste entre les sentiments des personnages et l’exécution de leurs missions. Saisissante, la scène centrale de massacre entre yakuzas est d’autant plus cauchemardesque qu’est filmée en parallèle la représentation théâtrale à laquelle participent les deux héros, l’un déguisé en lion, l’autre en kappa, devant un parterre d’enfants riant aux éclats. Des trois films le plus émouvant, DOA 2 est aussi peut-être le plus drôle : l’apparition du réalisateur de Tetsuo et Gemini, TSUKAMOTO Shinya, en magicien débile, tient presque du génie, sans parler des 3 jeunes tueurs, beaux et ridicules, lancés aux trousses des héros.
Après la (relative) quiétude de DOA 2, MIIKE a souhaité faire une suite « encore plus dingue » qui « donnerait une vraie conclusion à l’ensemble ». Aussi le réalisateur n’y est-il pas allé avec le dos de la cuillère. Fauché (tourné en vidéo à Hong Kong, avec 3 bouts de ficelles et des acteurs parlant 3 langues différentes, sans aucun doublage pour unifier les dialogues), DOA 3 est pourtant un film à l’ambition dépassant de loin celle d’un blockbuster américain ! Le résultat est un improbable film d’anticipation où se croisent humains zombifiés et droïdes dans le Yokohama de 2346, pétri de références SF et d’hommages au cinéma de Hong-Kong, qui fleure bon, malgré son professionnalisme, la potacherie par son outrance et son manque de moyens. La fin ne décevra pas ceux qui espèrent quelque chose d’ « énaurme ».
Tout ça s’engloutit sans encombre, tant MIIKE combine sincérité et recul par rapport à son cinéma. Le duo d’acteurs formé par AIKAWA Sho et TAKEUCHI Riki est un autre des atouts de la saga DOA.
Il et Lui
L’un a une moue d’Elvis nippon, avec banane assortie, et est un monstre d’élégance. L’autre, beau visage aux traits acérés, passe sans état d’âme du costume-cravate au look poussin tout juste sorti de l’oeuf (en jaune de la tête aux pieds). Le premier a le geste ample et lent. Le second affiche énergie et nervosité. Sublimés par une mise en scène complice, TAKEUCHI Riki et AIKAWA Sho, MIIKE l’a compris, se complètent parfaitement. Tous deux stars de l’important marché nippon des films destinés à la vidéo, TAKEUCHI et AIKAWA sont de vieux routiers des films de yakuzas et autres polars violents. Leur association sur DOA tient de l’alchimie : on en découvre toute la force en suivant le couple au long des 3 films. Adversaires, puis amis à la vie à la mort, et enfin « frères » ennemis, les deux hommes, crédibles même dans les situations les plus saugrenues, charismatiques et sympathiques, parviennent à nous tirer des larmes en pleine déglingue. Ils sont le charme, et l’humanité, de DOA.
Dead or Alive (1999), réalisé par MIIKE Takashi, avec AIKAWA Sho, TAKEUCHI Riki, 1h45, sortie le 14 janvier 2004.
Dead or Alive 2 (2000), du et avec les mêmes, 1h35, sortie le 21 janvier 2004.
Dead or Alive 3 (2002), idem, 1h30, sortie le 21 janvier 2004.
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