AnimeLand : Vous êtes conseillère de programmes pour l’unité jeunesse de France 2, pourriez-vous nous présenter votre politique d’achat et de diffusion ?
Stéphanie DUNAS KREPPER : Nous achetons environ 400 épisodes par an, mais pour le choix des programmes nous ne faisons pas appel à des psychologues. Les projets sont d’abord présentés à Sophie GIGON, directrice des programmes jeunesse, par Karine LEYSIN, conseillère de programme aux achats, puis, au minimum, deux personnes de l’unité jeunesse visionnent la série ou le dessin animé et donnent leur avis. Cette façon de procéder marche plutôt bien. Notre politique étant avant tout de divertir, jusqu’à présent nous n’avons jamais eu de problème. La seule exception fut la série Chair de Poule. Comme nous n’étions pas sûr de l’impact que pouvait avoir cette série sur les jeunes, nous l’avons testée avec un panel d’enfants ainsi qu’avec l’aide de plusieurs psychologues.
AL : Quelles ont été leurs conclusions ?
S.D.K : Ils en ont conclu que Chair de Poule ne faisait peur que pendant la durée de l’épisode. Contrairement à X-files qui laisse une angoisse latente chez le spectateur, avec les histoires de Chair de Poule, les enfants savent très bien que les thèmes abordés dans l’épisode ne peuvent arriver dans la réalité.
AL : Sur la question des émotions telles que la peur, l’angoisse ou la tristesse les opinions des psychologues divergent. Certains les jugent positives car elles permettent à l’enfant de s’extérioriser et de se soulager. Quelle est votre approche ?
S.D.K : Nous n’avons pas ce genre de problèmes, car nous ne souhaitons pas provoquer d’angoisse chez notre public. Nous voulons leur offrir une vision de la vie où chaque expérience bonne ou mauvaise peut être positive. Lorsqu’un épisode aborde le registre de la tristesse ou par exemple le suicide comme dans la série Et alors, nous veillons à ce que ce ne soit pas une situation sans issue positive. Si nous sentons qu’il y a un risque, nous préférons renoncer à diffuser l’épisode concerné.
AL : Vous semblez aborder un public plus âgé, est-ce que cela vous donne justement plus de latitude pour aborder certains sujets ?
S.D.K. : En effet nous avons un public plus âgé donc plus exigeant. Le coeur de la cible est celui des 11-14 ans, même si nous constatons qu’une bonne part des 15-24 ans nous regardent, voire un public plus âgé. C’est la preuve que les problèmes d’adolescents sont universels et ne se résolvent pas au lendemain des 18 ans fêtés. Pour satisfaire notre public nous abordons par conséquent des thèmes où ils peuvent se reconnaître : amitié, relations parents/adolescents, relations fraternelles…. Toute la difficulté est de trouver le ton juste. On ne peut pas être trop moralisateur, mais on ne peut pas être non plus trop explicite. Par exemple nous sommes amenés à aborder des thèmes dont la limite est floue, comme le sexe. Nous suggérons donc les situations au lieu de les montrer. Cependant parfois une série peut évoluer, alors qu’au début elle s’adressait à un public pré-adolescent, elle peut à la deuxième ou troisième saison s’adresser à un public pré-adulte. Dans ce cas nous la sortons de nos créneaux jeunesse pour la diffuser dans un créneau plus adulte. Le CSA nous a montré des conditions très claires : pas de jeune héros dans la vie active, c’est réservé à un autre créneau horaire comme par exemple pour Friends.
AL : Justement ne constatez-vous pas un décalage entre la cible visée et la cible atteinte. Les enfants ne sont-ils pas mûrs de plus en plus tôt ? Par exemple lorsque l’on lit dans les ouvrages de Denise STAGNARA qu’à l’âge de 10-11 ans un enfant sur deux a déjà vu un film porno, on peut s’interroger sur la pertinence des précautions prises.
S.D.K : Je pense effectivement que les enfants entrent dans l’adolescence de plus en plus tôt et c’est un phénomène que nous prenons en compte. Pourtant même si nous constatons que des tranches d’âges inférieures au public ciblé nous regardent, il s’agit, à mon avis, surtout d’un phénomène d’entraînement lié au fait que dans une famille c’est souvent le plus âgé qui a la télécommande et qui impose alors à ses petits frères et soeurs les programmes qu’il souhaite voir. Cependant la solution n’est pas forcément de montrer les choses de façon trop explicite.(…) Le système scolaire et les parents ont également leur rôle à jouer.
AL : Justement comment voyez-vous le rôle des parents, Geneviève DJENATI auteur du livre La psychanalyse des dessins animés critiquait le manque de clarté des chaînes quant à la tranche d’âge ciblée.
S.D.K. : (…) Nous avons eu dernièrement le cas d’un père de famille qui nous a envoyé un mail pour nous dire que nos programmes étaient choquants pour sa petite fille de 8 ans. Nos programmes ne s’adressent pas prioritairement aux enfants de cet age. Peut-être que la politique d’harmonisation au sein de groupe France Télévision n’est pas évidente aux yeux du spectateur ; cette harmonisation passe par un partage des programmes : les preschool peuvent se retrouver sur France 5, les 4-10 ans sur France 3 et les 11-18 ans sur France 2 .En attendant, les parents peuvent dans la mesure du possible s’intéresser a ce que regardent leurs enfants pour pouvoir leur expliquer ce qu’ils voient. Notre rôle n’est pas de remplacer les parents en moralisant, mais de divertir.
AL : On peut constater la quasi absence de dessins animés dans vos programmes au profit des séries lives est-ce une volonté de votre part ?
S.D.K. : Nous savons fort bien que les enfants, à partir de 9-10 ans ont un besoin accru de confrontation de leurs expériences à la réalité qu’ils peuvent partager avec les autres. Les séries live sont alors proches de leurs aspirations. Et c’est pourquoi nous développons aussi des séries animés avec des héros adolescents qui traversent des situations très quotidiennes auxquelles le public de chaque âge peut facilement s’identifier (…)Nous avons actuellement en développement 12 séries lives et 12 séries animées. Pour redonner goût au dessin animé, nous avons privilégié les comédies légères d’une durée courte de 13 ou 7 minutes au lieu des 26 habituelles. Nous recherchons à développer tout type de répertoire aussi bien dans le graphisme que dans l’histoire. Nous souhaitons que les adolescents puissent s’identifier au travers de nos séries, peut importe le contexte ou l’univers dans lequel évoluent les personnages.
AL : Le Japon est justement l’un des rares pays à proposer des dessins animés pour adolescents, il est étonnant de ne pas en voir sur votre chaîne. Est-ce que leur absence est un choix venant de votre politique de diffusion ?
S.D.K. : Nous n’avons aucun a priori sur la nationalité du produit, certains d’entre nous ont grandi en regardant des DA japonais, nous nous penchons donc sur les productions nippones. A une époque, nous avions même créé kaze manga, une émission consacrée aux DA japonais, malheureusement, cette émission n’a pas eu des scores d’audience convainquants. Le manga reste également destiné a une frange spécifique du public.
AL : Cherchez-vous une certaine complémentarité avec France 3 pour éviter de rentrer en compétition par chevauchement de publics cibles ?
S.D.K. : Tout à fait. Les trois chaînes du service public se sont réparties les tranches d’âges de façon complémentaire. France 5 s’occupe des préscolaires de 2 à 5 ans, France 3 de la tranche 4-10 et nous de la tranche 11-14 ans. En ce qui concerne les DA nous ne voulions pas mettre le spectateur devant un choix, c’est pourquoi Wombat City qui est le seul DA que nous diffusons pour l’instant ne passe qu’à 10h40 quand France 3 a terminé de diffuser ses programmes jeunesse à base d’animation.
AL : On a parfois l’impression d’une surenchère sur la variété graphique. Est-ce qu’à force d’imposer un renouvellement permanent du graphisme, on ne finit pas par le brider en l’empêchant d’arriver à une certaine maturité ?
S.D.K. : Même si nous avons un goût avéré pour la variété et l’innovation tant dans le style que dans les techniques utilisées, notre rôle n’est ni d’écrire ni de dessiner. Nous accompagnons les réalisateurs dans une ligne commune. La plupart du temps c’est eux qui nous amènent spontanément des projets novateurs et variés qui vont de la 2D flash à la 3D en passant par la plasticine (pour les Grabonautes ) ou encore la combinaison d’images réelles et dessinées (Delta State). Mais le point le plus important reste l’histoire.
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