L’année 2003 fut faste concernant les sorties animées au cinéma, d’autant que
jamais auparavant autant de titres français n’avaient été proposés sur une période
si courte. Ce mois de décembre voit la consécration de plusieurs années de travail
de la part d’un studio d’animation français dont la renommée n’est plus à faire
: la sortie au cinéma de La prophétie des grenouilles de Folimage.
Tempête en décembre
Le sujet du film est simple. Tom vit avec sa famille d’adoption, composée de Ferdinand
un vieux loup de mer, et Juliette, d’origine créole. Près de leur ferme vit la
famille de la petite Lili, qui garde un zoo. Ses parents partant en expédition
pour ramener des crocodiles, confient leur fille et leurs animaux à la garde du
brave Ferdinand. Les grenouilles de la région s’inquiètent : d’après leurs calculs,
un déluge est sur le point de tout submerger. Si elles pensent pouvoir y survivre,
le sort des humains, inconscients du danger, pourrait être tout autre. Mais voila
déjà le déluge, et les animaux et les humains n’ont que le temps de se réfugier
dans la grange transformée en Arche de fortune…
Lire la critique
du film.
Prophétie d’un succès ?
Si un souffle nouveau semble faire bouger l’animation française, ce n’est pas
ce qui a motivé le plus Folimage, qui a travaillé pendant six ans sur ce long
métrage. Folimage est un studio qui s’est fait connaître pour ses productions
courtes aux styles et à la narration inimitables. Vivier de talents internationaux,
on ne compte plus les prix amassés au cours des années dans tous les festivals
du monde. Folimage, c’est aussi la garantie d’un aspect pédagogique (une “malle”
est d’ailleurs disponible auprès de Folimage pour les équipes éducatives, seul
son prix limite pour l’instant son utilisation intensive pour apprendre la magie
de l’animation aux enfants) qui tient tant à coeur des distributeurs français,
surtout à la TV. C’est cet aspect qui est largement développé dans Ma petite
planète, et plus récemment dans Hopital Hilltop. Si toutes les méthodes
d’animation sont développées dans les courts métrages de Folimage (dessin, papier
mâché, objets métalliques, pâte à modeler…), c’est le dessin qui est utilisé
pour La prophétie des grenouilles, signé ici Iouri TCHERENKOV, tandis
que les décors sont signés Jean-Loup FELICIOLI (Les tragédies minuscules).
Un style particulier qui rappelle de nombreuses publications pour enfants, le
trait étant soutenu par une mise en couleur similaire aux crayons gras.
Sans être une révolution, ce style particulier, qui semble être la patte de Folimage,
va sans doute déchaîner une polémique dans les médias mais aussi chez les professionnels
de l’animation. Le flop de Kaena face au grand succès des Triplettes
de Belleville en juin dernier a révélé le potentiel de sujets animés mais
“adultes”. Du succès et de l’accueil de ce film dans les salles obscures, dépendent
beaucoup d’autres choses. Outre la mise en chantier d’autres projets, c’est encore
une fois l’image de l’animation qui sont en cause. Ce film, qui semble labellisé
tout entier pour un public très jeune, comporte quelques faiblesses, moins techniques
que scénaristiques. Ce côté “pour enfants”, Jacques Rémy GIRERD, réalisateur du
film, s’en défend pourtant, et il s’en est expliqué, entre autre autres sujets,
devant notre micro.
AnimeLand : Quelle a été votre réaction face au public de la projection de presse (une avant première a été programmée avant la sortie officielle du 3 décembre) ?
Jacques-Rémy GIRERD : Je me suis mis dans un coin de la salle et j’ai pu observer les regards des gens qui voyaient le film. Enfants comme adultes, tous ont le même regard : un regard d’enfant. Et ça c’est vraiment gratifiant. On les fait tous replonger à l’époque de leurs dix ans.
AL : Est-ce une volonté affichée de la part de Folimage de vouloir faire du tout public ?
JRG : Non, je n’ai jamais fait ça. Au contraire, il n’y a pas de cible,
il n’y a pas d’idée de marketing derrière cela. J’ai toujours fait les films que
j’avais envie de faire, que j’avais envie de montrer à mes enfants, les films
que j’ai dans le coeur, même si cela peu sembler un peu cucul… Je fais un film
pour entrer en contact avec un public et on dirait que ça marche. Bien que l’alchimie
du public se fasse au moment de la sortie, la plupart des projections auxquelles
j’ai assisté m’ont donné l’impression que les adultes comme les enfants réagissent
très bien. Il y avait des enfants de 2 ou 3 ans, et ils n’ont pas bougés pendant
1h30 ! A partir du moment où un film est sincère, qu’il raconte une histoire qui
est touchante, qu’il utilise la palette des sentiments et des émotions, en chiadant
un peu son truc… Je crois qu’on ne fait pas des films pour les enfants, on fait
des films pour tous. Fait-on de la peinture pour les 8 à 10 ans ? Non.
AL : Ce film, qui est un peu la consécration de la longue carrière de Folimage, avec des courts métrages, puis des séries TV, va-t-il modifier l’activité du studio, augmenter les projets TV et cinéma pour toucher un public encore plus vaste ?
JRG : On a fait beaucoup de courts, de séries TV, et maintenant ce long
métrage… Mais nous avons encore beaucoup de projets de courts métrages ; certains
se réalisent en ce moment, idem pour les séries TV. Peut-être un nouveau long
métrage… Je travaille depuis un an sur un film qui s’appelle Mi-ail Mi-goût,
qui va prendre la suite de La prophétie. Il faut regarder les projets
de près, certains sont pour la TV, d’autres pour le cinéma ; les choix se font
naturellement.
AL : De quelle façon précisément ?
JRG : J’ai fait pendant 12 ans des séries, ce que je ne regrette pas du
tout. Ensuite j’ai eu envie de faire de grandes histoires, avec L’enfant au
grelot, maintenant je continue avec La prophétie des grenouilles…
Tout le monde n’est pas toujours prêt à faire ce bond pour le long métrage, il
faut beaucoup d’énergie pour maîtriser la chose, beaucoup de maturité ; même si
j’ai mis longtemps à me faire à l’idée que ce soit un long pour le cinéma et non
pour la TV (rires) ! Naturellement, un projet dans son essence, on voit
où il va aller ; en six ans à Folimage, cependant, on ne m’a pas montré d’autres
projets de long métrage…
AL : Et ces projets vous viennent comment ? L’idée vient-elle de vous, de l’extérieur
ou de collaborateurs de longue date qui se proposent à lancer un projet parfois
un peu fou ?
JRG : C’est un peu de tout. Je ne décide pas pour les autres, mais il y
a des gens à Folimage qui sont là depuis 12 ou 15 ans, qui ont gravi tous les
échelons, et qui sont maintenant porteurs de projets. Il faut dire qu’il y a beaucoup
de créateurs à Folimage, d’illustrateurs, de gens qui viennent de la BD. Ils sont
déjà des velléités de création, comme par exemple Sylvain VINCENDEAU, dont vous
avez déjà parlé (AnimeLand #83) : il prépare un 48 minutes pour la TV (Le
chevalier au lion) qui, bien que s’éloignant du long métrage, va clairement
vers le grand format. Pascal LENÔTRE, qui a fait Hopital Hilltop, a quant
à lui d’autres projets de séries. D’autres personnes ont des projets en développement…
Je crois qu’à Folimage, chacun peut trouver sa place, mais très peu de projets
viennent de l’extérieur, parce que nous avons déjà beaucoup de peine à faire nos
propres projets. Déjà, la réalisation de La prophétie des grenouilles
a duré pas mal d’années… Ca bloque un peu les choses.
AL : C’est un projet qui a duré 6 ans semble-t-il ? Combien de personnes ont dû travailler dessus ?
JRG : Plus de 250 personnes ont travaillé dessus. C’est long et difficile,
donc il est nécessaire de faire quelque chose qui tienne un peu la route. Il y
a eu le noyau de Folimage, un gros tiers de l’équipe, mais il a fallu trouver
des collaborateurs pour avancer plus vite, on ne pouvait se permettre d’y travailler
12 ans d’affilé. On s’est un peu agrandi, mais en terme de locaux on s’est surtout
tassés (rires). Cela n’a pas beaucoup changé l’ambiance du studio. Ce
qui change par contre, entre travailler à 30 et à plus de 100 personnes à la fois,
c’est qu’on passe de la tribu à quelque chose de beaucoup plus large, et forcément
on ne connaît plus tout le monde de façon intime. Moi, en tant que réalisateur,
j’ai volontairement fait abstraction d’une partie des gens. Je me suis cantonné
aux postes clé (auteurs, animateurs, voix, musique…), parce que je ne pouvais
pas entretenir une relation suivie avec 200 personnes. Je ne connais pas les intervallistes
par exemple ; je ne suis pas intervenu à ce niveau, j’ai délégué à des chefs d’équipe.
AL : La technique utilisée est assez particulière : les dessins sont
réalisés à la main, mais les effets sont travaillés sur ordinateur.
Avez-vous utilsié des techniques que vous ne connaissiez pas auparavant,
ou était-ce déjà un acquis ?
JRG : C’était entièrement nouveau ! Pendant plusieurs années, on a eu toutes
les peines du monde à accepter les images par ordinateur : ce qu’on nous proposait
allait toujours dans le sens de la réduction des coûts, du temps de travail, des
équipes, donc quelque part dans le sens d’un appauvrissement. On n’était pas prêt,
on ne sentait pas le “plus” que pouvait nous apporter cette technique. Quand on
l’a “senti”, on l’a accepté, et principalement sur La prophétie des grenouilles.
On a largement puisé dans cet outil. Mais mon principe a toujours été de dire
stop quand on sentait trop la machine dans l’image : je voulais que le rendu reste
traditionnel. L’idée était de partir sur des illustrations au crayon de couleur
animées : il fallait retrouver toute la qualité picturale, les modelés, la lumière,
le tracé, la matière de l’illustration. Il fallait donc travailler à la main.
L’ordinateur est venu ensuite ramasser tous ces morceaux, et amener toute sa richesse
colorée de teinte, de transparence, tout ces petits effets. Dans la séquence du
déluge, il y a eu parfois plus de100 couches, ce qui aurait été impossible autrefois
! Cet outil nous a apporté un énorme plus dans la gestion des images, dans la
mise en couleurs, dans le traitement des ombres, mais rien n’a été généré par
ordinateur. Les textures et ombres ont été dessinées à la main, puis scannées.
Ce qui nous a permis de conserver ce dessin d’enfant continuellement.
AL : Ce style volontairement naïf est quand même aussi une marque Folimage.
C’est voulu dès le départ, ou ce style s’est-il développé de lui même ?
JRG : C’est vrai qu’il y a un peu une marque Folimage, les gens qui sont au
studio se reconnaissent d’ailleurs dans cette façon de faire. Et puis j’ai confié
le graphisme à Youri TCHERENKOV, qui a aussi un sentiment graphique de départ
similaire. Je ne dirais pas que c’est naïf, il s’agit davantage du domaine de
l’illustration, et il y a une sorte de réalisme poétique qui me plaît dans son
travail. Il est là depuis longtemps aussi, ses films ont contribué à créer
la “marque Folimage”… Et le décorateur Jean-Loup FELICIOLI a lui aussi amené
– dans le traitement de la lumière et des décors – cet esprit dont on ne s’échappe
pas, parce qu’on aime ça. Ce n’est pas un carcan. En revanche, ce que nous n’apprécions
pas, c’est cette sorte de "décollage" entre le décor et les personnages,
comme on en voit souvent aux Etats-Unis et au Japon, avec ces traités à plat et
ces ombres un peu synthétiques. On a cherché à retrouver l’esprit de l’illustration,
et l’ordinateur a contribué quelque part à cette cohérence graphique générale
de l’image.
AL : Mis à part l’image, il y a une qualité sonore chez Folimage, que ce soit
concernant la composition musicale, ou le travail des comédiens doubleurs… Ces
choix se sont-ils imposés d’eux-mêmes ?
JRG : Ce sont des voix de création, et non des voix de doublage, et c’est
par cela que nous avons commencé. Ensuite, on a fait le dessin. Pour GALABRU,
je l’entendais clairement comme cela quand j’ai développé son personnage de pachyderme.
Pour les carnivores, ils sont quatre, il fallait penser à l’équilibre et l’harmonie
entre ces voix… J’adore les comédiens, j’avais envie de travailler avec eux.
Travailler avec Michel PICCOLI, c’est un rêve. Ce sont des gens qui savent mesurer
le temps, tenir sur une heure et demie, et j’avais aussi besoin de m’appuyer sur
cette force, pour faire exactement ce que je voulais. La seule chose que GALABRU
ne sache pas faire par contre, c’est éternuer (rires) ! Les voix sont
importantes pour le réalisme, la sincérité. L’univers sonore est très soigné.
Côté musique, je travaille avec le même compositeur depuis 20 ans, Serge
BESSET : il a suivi le travail sur le film depuis l’écriture, ce qui n’est pas
courant, et ses musiques nous ont nourri par la suite. Certaines ont évolué, d’autres
ont disparu… Mais finalement, tout cela se marie très finement. On a travaillé
sur cette musique à la mesure près tous les deux.
AL : Concernant les dialogues, il y a parfois des expressions “fleuries” qui
sont assez inhabituelles dans les productions animées. Ferdinand traite par exemple
les carnivores de « couillons »…
JRG : Je n’avais pas envie de me censurer en permanence en me disant qu’il
doit y avoir un niveau de langage pour les enfants, qu’on doit être politiquement
correct… On ne peut pas en faire trop, bien entendu, mais qu’il y ait quelques
gros mots, cela me semble naturel. Il faut faire attention, c’est vrai, il faut
mesurer l’impact de tout ça. Par exemple, la petite fille dit au gamin « demande
donc à ta mère de faire ton éducation sexuelle », et lui dit : « baise
moi le tralala »… Mais beaucoup de gens m’ont dit que c’était peut être
un peu osé. Finalement, deux ans après, j’ai fait revenir le gamin pour qu’il
dise « brise moi le tralala ». Là je me suis censuré, mais c’est la seule
fois. Le capitaine Haddock ça me plait aussi (rires)… C’est aussi le
genre de choses qui plaisent énormément aux enfants ! Mais du moment que c’est
sincère, je ne trouve pas ça gênant.
AL : Justement, comment se fait-il que les poules n’aient pas droit à la parole ? Est-ce en rapport avec leur sort funeste, une façon de leur clouer le bec ?
JRG : … Une belle expression ! On a pensé que les poules devaient rester de simples poules. Sans une voix humaine, les tuer devenait moins pénible à l’image.
Tuer les cochons, c’eut été un vrai crime, alors que les poules… On mange du
poulet, ce n’est pas si grave. Comment illustrer la mort ?
AL : A un autre moment dans le film, avouons-le, il y a cette scène que l’on ne comprend pas, où Ferdinand part à cheval pendant le déluge, tandis que les animaux vont d’eux même vers la grange…
JRG : Et on ne sait pas où il va, c’est ça ? En fait pour cette séquence,
au départ, on devait le montrer s’énervant sur la pompe pour la chambre à air,
et comme ça ne marchait pas, on faisait intervenir les éléphants… C’était marrant,
mais ce n’était pas à la hauteur de l’événement. Je n’étais pas satisfait. Dans
le livre, je l’ai gardé, parce qu’il faut bien l’expliquer. Mais dans un pareil
moment que fait-on ? Pour moi, Ferdinand, c’est un peu DE GAULLE fuyant vers Baden
Baden… La fuite à Venise. J’aimais bien cette idée qu’il parte à toute allure,
se saoulant dans cette espèce d’ivresse, de course et de fuite, et là, il a la
révélation. Il voit cette lune qui l’inonde et qui gonfle, et il prend la mesure
des choses, il est inspiré. Il revient vers la grange… Ellipse, puis on se rend
compte que le bateau a été fait comme ça. Je trouve que parfois, on n’a pas envie
d’affronter les choses. Cela amène du trouble et du mystère dans la façon de solutionner
cette affaire. Cela me parait plus intéressant que de raconter de façon plus pédagogique
comment on fait ce bâteau.
AL : L’autre point se situe sur la fin, lorsque les parents de Lili n’ont pas vécu le déluge…
JRG : La question à se poser à ce moment, c’est : « au fond, cette
histoire, est-ce qu’elle est vraie ? ». Ce personnage de Lamotte m’amuse…
Ils n’ont rien vu, ils sont passés à côte. Je trouve que là, la fable remet un
peu les choses d’aplomb. Cela peut ouvrir à beaucoup d’interprétations. Ce sont
des personnages qui amènent un décalage, de l’humour, on ne finit pas sur un simple
happy end.
AL : Et les grenouilles dans tout ça ? On ne les voit qu’au début, alors qu’elles ont droit au titre…
JRG : On s’est demandé si on devait les conserver. On les a mis plusieurs
fois à la fin, elles sont venues, elles sont reparties… Moi, je trouve ça intéressant
que les grenouilles claironnent dès le départ : « notre rôle c’est la météo,
on n’en sait pas plus ». Elles annoncent, et puis voila ! Chaque fois qu’on
a voulu réactiver ce rôle, ça ne nous plaisait pas, cela faisait artificiel. On
a finalement choisi l’optique « notre rôle s’arrête là, débrouillez vous !
», et les enfants ne se posent pas trop la question !
Remerciements à Laurence GRANEC et Karine MENARD, et bien évidemment à Folimage et Jacques-Rémy GIRERD.
Lire la critique
du film
Pour en savoir plus, lire AnimeLand #87 et #97.
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