Estampes au Grand Palais

Le Monde flottant d’Edo à Paris

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L’événement rassemble 50 peintures, sur rouleaux et paravents, et 150 estampes, venues du Musée Guimet des Arts Asiatiques de Paris et de collections étrangères, principalement japonaises. Un art qui reflète une période faste de la culture nippone que fut l’Ere Edo, ainsi nommée après le changement de capitale instauré par le Shôgunat TOKUGAWA, maître du pays jusqu’en 1868.

« Frivole »

L’ukiyo-e (« images du Monde flottant ») naît avec l’époque Edo, à l’orée du XVIIe siècle. Cette forme d’art voit le jour avec la nouvelle société qui prend son essor dans la capitale. Après des siècles de guerre civile, le Japon entre dans une ère de paix. Conséquence de cette stabilité, le commerce prospère ; une nouvelle classe sociale s’enrichit, celle des marchands. Qui dit prospérité dit optimisme et divertissement : Edo, et d’autres villes japonaises d’importance, voient fleurir les quartiers de plaisir, délimités par des murs qui leur garantissent, en leur sein, une totale liberté(1). Le shôgunat ferme les yeux sur cet univers qui échappe aux règles habituelles de la société civile. C’est un monde d’excès, de licence, où se côtoient maisons de thé et théâtre kabuki. On vient s’y amuser, mais aussi s’y faire croquer le portrait ou acquérir celui d’un acteur célèbre, d’une courtisane en vue. Ce monde est baptisé « Monde flottant » : littéralement, « ukiyo » signifie « le frivole », « le fluctuant ». Le terme renfermait à l’origine un autre sens, lié à une conception ancienne du bouddhisme, celui d’un « monde de douleur ». Son acception nouvelle exprime l’idée d’une recherche du plaisir dans un monde terrestre dominé par l’éphémère. Nombre de portraits de l’époque sont ainsi porteurs de sensualité comme de détachement mélancolique.

L’intérêt de l’exposition du Grand Palais réside, outre la présentation d’oeuvres d’exception, dans la mise en parallèle des diverses formes prises par l’estampe : les fameux portraits d’acteurs et de courtisanes, figures centrales du « Monde flottant », côtoient les affiches publicitaires, les paravents et les rouleaux pornographiques.

« De qui sont ces manches ? »

La première partie de l’exposition met en avant de splendides paravents de grande taille, de l’Ecole Kanô, gaufrés et dorés. Dans leurs scènes de festivités, les personnages évoluent au sein de paysages qui occupent, pour peu de temps encore, une place importante au sein de l’oeuvre. Personnages et décors (sites célèbres ou jardins imaginaires) forment un équilibre : mais peu à peu, les premiers vont devenir l’élément central de l’estampe japonaise(2), avec la multiplication des portraits individuels. Sont ici dépeintes des scènes de pique-nique sous des cerisiers en fleurs, ou des séquences de danses et de jeux.
Plus surprenants, les paravents désignés sous le nom de tagasode (littéralement « De qui sont ces manches ») représentant des kimonos pliés sur des portants de bois. Cette mode prit sa source dans un poème ancien, lequel évoquait des kimonos aux manches parfumées une pratique lancée par les femmes de l’aristocratie, reprise par les courtisanes des « quartiers réservés ». Ces paravents, quand ils ne sont pas réalistes dans le rendu des plis du tissu ou du poids du vêtement, approchent l’abstraction par leur juxtaposition de carrés aux motifs colorés.
L’exposition présente aussi quelques albums illustrés, qui ont peu à voir avec les manga que nous lisons aujourd’hui : certes, texte et image sont présents sur une même page, mais sans mise en forme narrative. On retient surtout les quelques « uki-e » ou « vues flottantes », proposées, peintures utilisant la perspective et dont la profondeur donne presque le vertige. Les artistes japonais inspirés par la perspective dite occidentale utilisèrent cette représentation nouvelle de l’espace pour peindre des intérieurs bondés de maisons de thé, dans la contemplation desquels on se perd avec délectation pendant plusieurs minutes.

Mais c’est surtout dans le portrait, en pied ou en gros plan, que s’est épanoui l’art de l’ukiyo-e.

« Beautés »

La beauté des femmes, prostituées, courtisanes, geishas ou actrices, des quartiers de plaisir, est abondamment représentée dans les estampes des XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi en est-il des « beautés de l’Ere Kanbun » (1661-1673) : peintes sur des rouleaux verticaux, elles se détachent sur un fond nu, comportant généralement un court texte calligraphié.

Avec la polychromie, maîtrisée en 1765, les femmes d’Edo acquièrent une grâce nouvelle. La xylographie (ou technique de gravure sur bois), venue de Chine au VIIIe siècle, s’impose au XVIIe siècle comme un formidable moyen de reproduction des « images du Monde flottant ». Dès lors, les portraits des beautés des quartiers réservés se vendent à foison. Elles sont présentes sur les calendriers, magnifiquement associées au passage des saisons, comme dans les rouleaux pornographiques, désignés sous le terme de shunga ou « images de printemps ». L’exposition consacre des espaces cloisonnés, légèrement en marge du reste de la manifestation, à ces rouleaux qui ne cachent rien des prouesses de leurs protagonistes, ni de leurs attributs. D’autres portraits sont moins explicites, tels que ces femmes « prenant le frais sous un saule » ou figurant dans de délicates scènes de bain. Qu’elles dévoilent ou non leurs atours, les figures féminines de l’ukiyo-e ont en commun une grande sensualité.

Les estampes parmi les plus exceptionnelles sont sans conteste celles réalisées par KITAGAWA Utamaro (1753-1806), dont un tiers des oeuvres sont des portraits féminins. Après de nombreux portraits en pieds, KITAGAWA introduisit le très gros plan dans l’estampe, en se focalisant uniquement sur le visage du sujet. Son style, raffiné et vivant, accorde une grande place à la physiognomonie(3), le portrait révélant le caractère du personnage. Parmi les autres artistes qui magnifièrent la beauté féminine d’Edo, citons EISHOSAI Chôki, dont l’exposition présente plusieurs oeuvres. Le Grand Palais n’oublie pas les acteurs, autres protagonistes de l’ukiyo-e, saisis dans leur rôle de prédilection.

Malgré son prix dissuasif (11 euros en plein tarif, 8 euros en tarif réduit), cette manifestation est une réussite, surtout dans son approche pour une fois en ces murs explicative. Et une occasion rare d’approcher un univers, encore aujourd’hui, fascinant.

Le site officiel : http://www.rmn.fr/monde-flottant/

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