Ancien leader de bandes de motards, terreur des bas-fonds, puceau et ancien cancre, surnommé “l’ultime parasite humain le plus glandeur de toute l’université Eurasia”, Eikichi Onizuka s’est lancé un défi : devenir professeur d’éthique sociale, et surtout, le plus grand prof de tout le Japon : le Great Teacher Onizuka. Il trouve alors un emploi dans un lycée de Tokyo rongé par l’absentéisme, la violence et l’ijime (voir article à ce sujet). Face à l’attitude démissionnaire des parents, professeurs et élèves, Onizuka n’aura de cesse de tenter de résoudre les problèmes inhérents à l’école nippone… Mais avec ses propres méthodes.
Le G.T.O. ne dispense pas de cours, du moins au sens où l’école l’entend. Et c’est bien là sa première “marque de fabrique”. Les cours consistent d’habitude en du “par coeur”, il en fait une expérience différente à chaque fois. Les cours sont dispensés dans une salle de classe, les siens le seront sur le toit de l’école, dehors ou dans la rue…Partout pour ainsi dire, car l’éducation, c’est partout et tout le temps.
Derrière les apparences, G.T.O. donne tout son sens à l’expression “Méfiez-vous de l’eau qui dort”, ou même “l’habit ne fait pas le moine”. S’auto-ridiculisant volontairement, il désamorce la “peur” que tout élève a du professeur. Mission accomplie : ses élèves rient de lui, se moquent même, parfois l’humilient…Ou plutôt tentent de l’humilier. Car Eikichi. maîtrise son ego à tel point qu’il accepte de “jouer” ce jeu dangereux, y souscrivant volontairement. Alors, comment ridiculiser celui qui n’a plus d’ego ? Comment blesser un homme qui montre qu’il s’en fout ? Mission accomplie encore, les élèves n’ont pas peur de lui, mais ne peuvent pas pour autant le rabaisser. Pris au dépourvus, les lycéens finissent par comprendre qu’il est plus fort qu’eux, plus fort que les professeurs aussi, qu’il échappe au schéma, à ce schéma qu’ils refusent tous. Peu à peu, il devient un ami, un confident, un exemple, une idole même…Mais surtout, ce qu’un professeur doit être : un guide.
Dans un sens, on pourrait dire que le but du G.T.O. est de rétablir la communication Prof élève en incarnant un enseignant plus enfant qu’adulte ; mais le but est en fait double, car au fil des aventures, c’est la relation élève – élève qu’il sauve au fil des pages. Onizuka leur apprend à vivre ensemble, à se supporter, à se tolérer en tant qu’individus, et en tant que groupe. Pour ce faire, il doit affronter les “groupuscules” d’élèves, sorte de clans, comme il s’en forme dans toute école. De même, Eikichi se caractérise et s’oppose en cela aux jeunes qu’il encadre, par l’image qu’il donne de lui. Anticonformiste notoire, son aspect obsédé sexuel, bordélique ou sale présente en fait une vision plus réaliste de d’aux-mêmes. Une façon de dire : “regardez-moi, je suis le vrai fond d’humanité que vous faites taire en vous, fait de nombreux défauts, mais aussi de beaucoup de qualités”. Là donc où les jeunes sont finalement très conformistes dans leurs attitudes, répondant à des systématiques de clans, réagissant moins par choix que par suivisme, en croyant par là se fondre dans un groupe, Onizuka montre qu’ils ne font que suivre le plus fort, tels des moutons de Panurge. Mais il ne se substitue pas lui-même à cet esprit de clan, poussant les jeunes à redécouvrir leur libre arbitre, la capacité à faire des choix, mêmes opposés à ceux du groupe. En les aidant à s’accepter eux-mêmes, il les aide à reprendre leur vie en main, à devenir plus que des adultes : des humains.
Les méthodes du G.T.O. ont aussi de quoi surprendre. Loin de pratiquer la discussion à tous prix, il a bien compris que certains cas ne se résolvent que dans une crise, que l’enfermement des êtres est parfois tel qu’il faut défoncer certaines portes pour obtenir une vérité, un aveu ; pour que la douleur, mère de la violence, sorte enfin, pour que l’élève brisé se purge du poison qui ronge son esprit. Pour certains personnages, c’est une trahison, une amitié déçue, pour d’autres, un viol, ou des actes de violence familiale.
La violence est ainsi présentée dans G.T.O. comme un langage : aussi évident cela puisse paraître, encore fallait-il le mettre en scène et en images. La violence des jeunes, on l’aura compris, veut exprimer des blessures personnelles et plus profondes qu’il n’y parait. Celle du G.T.O., plus désarmante, car incompatible avec une vision pédagogique lambda, est exutoire : elle constitue une sorte de thérapie du cri primal pour de jeunes que la société, faute de les éduquer, essaie de dresser. Dresser à se taire, à ne pas réagir, à ne pas se révolter, à suivre une volonté commune au détriment du libre arbitre, à ne pas devenir un de ces clous qui ne veulent pas s’enfoncer. Eikichi ne fait pas que prendre la défense du plus faible. Il ne les plaint pas, ne les conforte pas ainsi dans leur rôle de victime, mais au contraire, les pousse à réagir, à se prendre en main, à s’assumer et à faire face. Deux cas sont remarquables : le premier est celui d’un jeune garçon, Noboru, souffre-douleur de ses camarades, marqué par le Ijime, rejeté de tous. Onizuka. lui apprendra à réfréner l’envie de vengeance, à reprendre confiance en lui et à agir sans se soucier du regard des autres. L’autre cas est celui d’une jeune fille nommée Tomoko, un peu simple mais dotée d’une forte poitrine, raillée et méprisée par ses camarades. Le G.T.O. apprendra à ces derniers à la respecter, et aidera Tomoko à s’accomplir dans la vie active.
Mais Onizuka ne s’interesse pas seulement aux les élèves en difficulté et/ou aux victimes de brimades. Il s’attaque à la véritable origine des ennuis : les adultes.
Peu à peu, on comprend que l’attitude de ces jeunes est souvent la conséquence d’un rapport conflictuel avec un ou plusieurs adultes. Défauts d’éducation, réactions violentes, rejets de leurs responsabilités parentales, les problèmes des parents présentés dans G.T.O. sont presque toujours en rapport avec la vie active au Japon. FUJISAWA porte ainsi à travers Onizuka un regard critique sur la qualité de vie du Japonais moderne. Le travail accapare ces parents, le carcan social les empêche eux-mêmes de se révéler à leurs propres enfant : ils incarnent finalement ce modèle avec lequel la nouvelle génération est en rupture. Les professeurs sont évidemment le point de critique le plus détaillé dans la série. Onizuka étant l’anti-prof conformiste, il se retrouve fatalement aux prises avec le classicisme mou d’un monde professoral marqué de cécité. La « démission éducative » des profs est ainsi mise en exergue et la distance prof élève avec elle. Mais c’est aussi aux relations entre professeurs que FUJISAWA s’attaque. Notamment lors du conflit qui oppose le G.T.O. au sous-directeur Uchiyamada, archétype de la génération des baby-boomers nippons. Onizuka se lancera également sur les traces d’un prof désaxé et pervers, et luttera finalement contre un autre archétype, incarné par Misuzu Daimon, jeune Principale moderne au cynisme glacial, persuadée qu’il faut combattre le mal par le mal.
Le G.T.O. lutte également contre cet état d’esprit typiquement “adulte”, qui consiste à se mettre sur un piédestal et à se considérer omniscient. Là où les autres condamnent, il accorde le bénéfice du doute. Là où tous jugent les apparence, il va chercher les causes plus profondes, car il sait qu’elles existent…
Parce qu’il y en a toujours.
Le Great Teacher Onizuka a ceci de particulier qu’il réunit en un seul et même personnage les deux mondes opposés que sont celui des adultes – plus précisément des professeurs- et celui des élèves. Onizuka est ainsi ce trublion incontrôlable qui finit par faire plus de bêtises que ses propres élèves (les estomaquant en permanence par son absence de rigidité sociale, par le rejet naturel qu’il a de l’autorité) et rétablit l’ordre social par le respect et la morale.
Loin de n’être qu’un ado potache et mal grandi, Onizuka est bel et bien un adulte dans un monde d’élèves. Son expérience de la Vie lui confère un statut de “professeur”, ne serait-ce que par le regard lucide qu’il porte sur toute chose. L’autorité qu’il refuse, c’est celle du conformisme et des certitudes.
C’est donc bel et bien une autre façon d’enseigner que propose le G.T.O, prodiguant ses “leçons” aux professeurs autant qu’aux élèves. Il connaît d’ailleurs les mêmes difficultés, les mêmes réticences, le même cynisme chez les enseignants que dans son action chez les élèves, marquant par là que les adultes ont souvent autant à apprendre que leurs cadets. Mépris, méchanceté gratuite, jalousie, désir de vengeance, haine destructrice, manipulations diverses visant à discréditer notre héros…Les uns comme les autres font preuve d’immaturité et de démission. Le G.T.O. leur prodiguera ses « conseils » de la même manière, avec le même côté abrupt et désarmant, avec le même humour souvent crétin, mais avec la même franchise, et la même efficacité. Le ton est d?ailleurs donné par FUJISAWA dès le second volume, dès sa première “leçon” : Pour aider la jeune Mizuki à régler ses problèmes, c’est à l’indifférence de ses parents que le Great Teacher va tout d’abord s’attaquer
Qu’est-il advenu d’Eikichi Onizuka ? 25 tomes plus tard, notre héros n’a pas changé d’un pouce. Tous ceux qu’il a approchés, par contre s’en sont retrouvés fondamentalement bouleversés, transformés.
La leçon du G.T.O. est avant tout faite d’écoute, de tolérance, de courage et d’humour. Un message qu’il apporte aux élèves comme aux adultes, et qui fait de lui un héros. Le G.T.O. agit ainsi comme un révélateur, tel une lumière braquée sur nos lâchetés et nos erreurs de jugement, éclairant chaque être et en révélant la part d’ombre. Un personnage différent, unique, quasiment incroyable, presque irréel.
C’est peut-être là que le manga trouve ses limites. “Trop beau pour être vrai” a-t-on envie de lancer. Connaît-on un homme, quel qu’il soit, capable d’une telle maîtrise, d’une telle lucidité, d’une telle intelligence ? Il faudrait qu’un héros se lève pour porter la bonne parole ! Et c’est bien là le seul décalage avec le réel que possède l’oeuvre. En définitive, quelle vision du corps enseignant semble la plus réaliste : celle d’un G.T.O., ou celle d’un Battle Royale ? Peut-on se permettre d’être aussi optimiste que FUJISAWA, ou bien le réalisme passe-t-il par une vision systématiquement négative? Ce choix est l’affaire de chacun. Au pire, on peut, avec un sourire pincé et un regard entendu, se dire que “tout cela n’est qu’un manga, de la BD, et qu’il ne faut pas confondre l’art et la réalité”… Une façon de se dire qu’il est nécessaire d’abandonner ses idéaux pour rentrer dans le monde adulte ! Une vision des choses qu’à l’instar du G.T.O., nous ne partageons pas, si l’on considère que ce sont bien les idéaux qui fondent l’évolution humaine.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.