L’occupation américaine (1945-1952)
En 1945, le Japon sort ruiné de la Deuxième Guerre mondiale. La famine menace sa population alors que le marché noir se généralise. En outre, il a perdu dans la défaite son immense et éphémère empire colonial asiatique. Il doit donc rapatrier, de 1945 à 1947, plus de 6 millions de ses ressortissants expatriés, charge supplémentaire pour son économie exsangue. Les Japonais en ont assez du militarisme, du nationalisme et de leurs ravages. Désormais davantage tournés vers le pacifisme, ils sont prêts à reconstruire le pays dans un esprit de coopération avec l’occupant américain.
Le général MAC ARTHUR est nommé commandant suprême des forces alliées au japon (en anglais et en abrégé : SCAP). Il prend la tête d’un organisme du même nom et, devenu une sorte de “shogun” américain, engage l’archipel nippon sur la voie d’importants changements vers plus de démocratie. Ceux-ci s’effectuent sous les auspices d’une administration occupante composée en majorité d’officiers américains, travaillant de concert avec un gouvernement de civils japonais.
Une nouvelle constitution est promulguée en 1947. Elle rétablit un régime des partis. La préséance à la Diète est accordée à la Chambre des représentants (486 membres, élus pour 4 ans), qui choisit le Premier ministre, par rapport à une Chambre des conseillers (250 membres, élus pour 6 ans). Cette dernière remplace l’ancienne Chambre des pairs. De plus, depuis 1946, l’empereur HIROHITO, maintenu dans sa fonction, a officiellement cessé à se réclamer d’une ascendance divine, et l’article 9 de la Constitution comporte une “renonciation à la guerre” du peuple japonais.
À cela s’ajoutent la mise en place d’une réforme agraire, ainsi qu’une refonte du système judiciaire et scolaire, sur le modèle américain.
Parallèlement, une épuration est menée pour écarter les anciennes sphères dirigeantes militaristes. Le Tribunal de Tokyo, pendant du Tribual de Nuremberg en Allemagne, siège de 1946 à 1948, faisant notamment exécuter sept hauts responsables déchus, dont le général TOJO.
Néanmoins, l’occupant américain évite diplomatiquement à l’empereur HIROHITO de comparaître ou d’être seulement cité comme témoin devant cette instance. En outre, la purge atteint ses limites tandis que le monde se divise en deux blocs, et que se développe un contexte de guerre froide entre l’URSS et les États-Unis. Ces derniers, dans leur désir de faire du Japon un allié fiable dans le camp occidental, se résolvent de plus en plus à ménager les cadres de l’ancien régime ; d’autant plus que la Chine devient bientôt communiste (1949) et que se profile la guerre de Corée (1950-1953).
Dans un premier temps, la démocratisation avait été à l’ordre du jour, le droit de vote étant étendu aux femmes ou les libertés des syndicats et des partis politiques, y compris le Parti communiste, étant rétablies. Dans un deuxième temps, le régime d’occupation se fait plus restrictif dans ce domaine et le redressement économique du Japon devient l’objectif prioritaire d’Américains soucieux de s’adjoindre un pays capitaliste ami en Asie. Ainsi, les mesures coercitives d’abord prises contre les grandes entreprises (zaibatsu) compromises avec les militaristes sont allégées.
Le traité de San Francisco (8 septembre 1951) met un terme à l’état de guerre entre les États-Unis et le Japon, qui recouvre officiellement son indépendance. Il s’accompagne d’un traité de sécurité qui lie les deux pays en matière de défense, les Américains continuant à occuper Okinawa et conservant des bases militaires. Quarante-huit autres nations signent le traité, à l’exception notable de l’URSS. Un accord particulier intervient entre Chinois et Japonais en 1952. La même année, le SCAP est dissous et l’occupation américaine prend fin.
Une économie florissante (1952-1973)
Le pays du Soleil levant, à défaut de pleinement se démocratiser, s’attache à redresser son parc industriel mis à mal par son isolement international durant les années 1930, puis par les destructions du Second Conflit mondial. Il bénéficie pour redémarrer de financements américains, stimulés par la guerre de Corée.
Des années 1950 à nos jours, les efforts des Japonais se portent sur le développement successif de différents secteurs moteurs pour leur économie : les industries lourdes (métallurgie et chantiers navals) ; les produits manufacturés de grande consommation (textile, électroménager, photographie et automobile) ; puis les domaines de pointe (électronique, informatique, robotique, biotechnologies et multimédia). Outre un marché intérieur important sur lequel il peut s’appuyer, le Japon en reconstruction mise sur ses exportations pour s’enrichir. Ainsi, il parvient à écouler ses productions dans de nombreux pays d’Asie malgré le souvenir défavorable lié à l’occupation de certains d’entre eux par l’ex-armée impériale. En outre, son commerce extérieur conquiert de nouveaux marchés plus lointains, aux États-Unis et en Europe.
Divers facteurs favorables accompagnent ce renouveau industriel. Le handicap constitué par la dépendance en énergie et en matières premières de l’archipel nippon est réduit par la baisse du coût des transports d’hydrocarbures. Mais, surtout, celui-ci peut compter sur une main-d’oeuvre nombreuse, bien formée et se contentant de bas salaires. Un patronat paternaliste, évitant l’affrontement avec des syndicats coopératifs, assure la sécurité de l’emploi et un avancement à l’ancienneté.
Des années 1960 aux années 1980, le Japon poursuit sa croissance économique florissante. Habile à capter les savoir-faire étrangers, après avoir inondé ses marchés extérieurs de produits imités de ses concurrents occidentaux, il surclasse désormais ces derniers par la qualité de ses productions.
Dans ce domaine, un rôle primordial est joué par le MITI (Ministry of International Trade and Industry). Ce super Ministère de l’Industrie et du Commerce extérieur diffuse dans le pays de l’information économique et technologique recueillie partout dans le monde. De plus, par son intermédiaire, l’État japonais intervient fortement, d’une manière inhabituelle pour un pays capitaliste, aux côtés de ses entreprises. Un tel dirigisme implique que toute société s’adresse au MITI avant d’exporter une marchandise. En outre, pour gagner des marchés à l’extérieur, les Japonais n’hésitent pas à recourir à des méthodes commerciales agressives, comme la vente à prix trop bas dans un premier temps pour tuer la concurrence (dumping). À l’inverse, pour protéger son marché intérieur, le MITI utilise des formes détournées de protectionnisme en édictant des réglements fastidieux et restrictifs limitant l’importation de produits étrangers…
Dans les années 1960, le PNB (Produit National Brut) du pays augmente de 10 % par an. En 1964 est inaugurée la ligne du Shinkansen (TGV japonais) entre Osaka et Tokyo et la capitale organise les Jeux olympiques d’été(1), deux symboles forts de la prospérité retrouvée. En 1968, le Japon devient, devant la République fédérale d’Allemagne, la troisième puissance économique mondiale, derrière les États-Unis et l’URSS.
Si l’article 9 de sa nouvelle constitution l’interdit de guerre en dehors de ses frontières, il se dote pourtant d’une armée professionnelle, appelée pudiquement forces d’autodéfense. Ces dernières répondent notamment au besoin de faire face à la menace de la Corée du Nord et aux exigences de l’alliance militaire avec les États-Unis. Leur budget reste longtemps inférieur à 1 % du PNB, mais leurs effectifs passent de 75 OOO à près de 240 000 hommes de 1950 à la fin du siècle.
Depuis 1955 jusqu’en 1993, la vie politique japonaise est dominée par le Parti libéral-démocrate (PLD ou Jiyu-Minshuto), conservateur. Cette longue période au pouvoir va être cependant marquée par sa division en factions rivales et de la corruption (scandales Lockheed en 1976 ou Recruit en 1988).
Les reconductions du traité de sécurité militaire avec les États-Unis (1960 et 1970) entraînent de grandes manifestations. Le débat suscité par l’alliance avec les Américains agite les tenants d’un retour du nationalisme nippon et, à l’opposé, la Gauche et l’Extrême-Gauche qui se fourvoie parfois dans le terrorisme (Faction armée rouge). En 1972, Okinawa est restituée au Japon mais la question de l’évacuation des bases américaines des îles Ryukyu reste aujourd’hui d’actualité.
La même année, à l’imitation des Américains, le Japon esquisse un rapprochement avec la Chine dont il espère des retombées économiques. Un traité est signé en 1978. Au milieu des années 1970, les suites judiciaires de la contamination au mercure de la population de Minamata (Kyushu), remontant à 1956, interpellent l’opinion publique japonaises sur les risques de pollution, revers d’une industrialisation à outrance non maîtrisée.
Poursuite de la croissance et crises (de 1973 à nos jours)
Malgré son problème de dépendance énergétique et la très forte augmentation du prix du baril de pétrole, le Japon résiste bien aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Il connaît encore une croissance soutenue dans les années 1970 et 1980, en continuant de miser sur ses exportations. Certes, le chomâge fait son apparition, mais demeure plus faible que dans un Occident qui lui envie sa situation.
Il réussit également le redéploiement de son économie et son adaptation à la mondialisation en marche en faisant porter son effort sur les industries à haute valeur ajoutée et en délocalisant ses usines dans les pays de sa périphérie asiatique.
États-Unis et Europe prennent d’ailleurs des mesures douanières pour se protéger de ses exportations massives, entre autres d’automobiles. Les Occidentaux s’inquiètent aussi de l’importance des investissements nippons sur leur sol tandis que que la valeur du yen s’accroît, en faisant une devise forte (1985).
Les années 1986 à 1989 se caractérisent par l’envolée de la spéculation à la bourse de Tokyo et la flambée des prix de l’immobilier.
En matière de politique, NAKASONE Yasuhiro (né en 1918), Premier ministre de 1982 à 1987, motivé par une politique agressive de l’URSS (Afghanistan), ravive les relations avec les États-Unis. Il parle d’une “communauté de destin” entre les deux pays ; notion vite devenue obsolète avec la fin de la guerre froide (perestroïka). La période est cependant marquée par son néonationalisme. Il instaure la pratique décriée, reprise par plusieurs de ses successeurs jusqu’à nos jours, de la visite annuelle au sanctuaire shintoïste de Yasukuni (Tokyo), en hommage aux soldats morts de l’ex-armée impériale.
Personnage au centre du contentieux polémique lié au passé militariste du Japon, l’empereur HIROHITO (ou SHOWA) meurt en 1989, après 62 ans de règne. Son fils AKIHITO (né en 1933) prend sa succession. Ainsi débute l’ère Heisei (“Paix et Accomplissement”).
Après avoir connu un sommet dans ses activités économiques autour de 1989, le Japon doit faire face au début des années 1990 à un renversement de la tendance boursière après l’emballement de la période faste 1986-1989. La bourse de Tokyo s’effondre. L’éclatement la “bulle” spéculative et foncière entraîne la faillite de nombreuses entreprises, banques, promoteurs et mine la confiance des ménages qui freinent leur consommation (crise de Heisei). Ce contexte morose est entretenu par les bouleversements internationaux survenus à la charnière des années 1989-1991 : écrasement du “printemps de Pékin”, fin du bloc communiste et première guerre du Golfe.
En 1994, le Japon connaît un chômage réel de 5 à 6 % et multiplie les plans de relance. Il n’est plus le principal créancier du monde. Les choses empirent en 1997. Les effets de la crise asiatique semblent sonner le glas du système japonais de l’emploi garanti à vie et renforcer les troubles psychologiques d’une population partagée entre modernité et tradition, qui se prend à douter. Mais la deuxième puissance économique mondiale reste riche et dispose de nombreux atouts pour rebondir.
Dans cette société postindustrielle, de surconsommation et de surinformation, l’esprit de groupe fait place à l’individualisme et certains trouvent de nouvelles certitudes auprès des 180 000 sectes qui prospèrent dans le pays. L’une d’elles, la secte Aum, organise un spectaculaire attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995 (12 morts et 5 000 intoxiqués). Au début de la même année, un grave séisme avait déjà détruit en partie Kobe (près de 6 500 morts et 500 000 sinistrés).
Dans le domaine politique, le presque inamovible Parti libéral-démocrate, discrédité par des scandales, doit faire face au désintérêt et à l’abstentionnisme croissant des électeurs. Il cède brièvement le pouvoir en 1993, avant de revenir aux affaires en 1996. Ces dernières années sont marquées par la participation au gouvernement du Komeito, parti bouddhiste fondé en 1964, lié à la puissante et inquiétante secte Soka Gakkai.
Sur le plan international, en dépit de sa défaite durant la Deuxième Guerre mondiale, le Japon aspire aujourd’hui à jouer un rôle politique en rapport avec sa puissance économique. Membre de l’ONU depuis 1956, il ambitionne d’occuper un siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de cette organisation. Dans ce but, il a montré sa bonne volonté en participant au financement de la première guerre du Golfe ou en envoyant des soldats participer à des opérations de paix hors de ses frontières sous l’égide de l’ONU dans les années 1990. Pour cela, il a dû passer outre le caractère exclusivement défensif de ses forces d’autodéfense, suscitant les réactions des tenants du pacifisme ou, au contraire, des partisans d’une révision de l’article 9 de la Constitution. Le débat sur cette question reste vif en 2003 tandis que les Japonais se demandent s’il vont envoyer un contingent militaire participer à l’occupation de l’Irak à l’issue de la deuxième Guerre du Golfe.
Cependant, si le Japon a déjà conquis une position internationale éminente, il le doit d’abord à ses prouesses économiques. Pour tenir réellement sa place dans le concert des nations, il ne pourra pas faire plus longtemps l’économie de tordre le cou à certains de ses vieux démons : révisionnisme concernant son passé militariste, lourd contentieux avec les pays asiatiques dominés durant la Deuxième Guerre mondiale, recrudescence du nationalisme, maintien tenace d’un certain anti-américanisme, etc.
Néanmoins, le pays du Soleil levant brille aussi dans le monde grâce à sa culture. Outre le japonisme de la fin du XIXe siècle, ses arts traditionnels recommencent ainsi à fasciner l’Occident notamment après l’attribution du Lion d’Or du Festival de Venise au film Rashomon de KUROSAWA Akira en 1951. Mais, aujourd’hui, se sont des domaines artistiques réputés à tort plus mineurs qui font énormément pour la renommée internationale du Japon, comme les manga et les anime…
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